«Jean-Sébastien m’inspire», -Vincent-Guillaume Otis
Michèle Lemieux
Parce que son frère, Jean-Sébastien, vit avec une déficience intellectuelle, Vincent-Guillaume Otis est touché par la cause depuis toujours. Celui qui campe Patrick Bissonnette dans District 31 contribue à faire avancer les choses à titre de porte-parole de la Semaine québécoise de la déficience intellectuelle, mais aussi en tant que papa de trois enfants, pour lesquels il incarne des valeurs de tolérance.
Vincent-Guillaume, la série District 31, dans laquelle vous jouez, fait toujours autant réagir...
Oui, le phénomène continue de créer l’émoi. Luc (Dionne, l’auteur) a déjà annoncé une cinquième saison. Je serai de retour, tout comme le noyau principal d’acteurs. Nous lisons nos textes comme un roman policier...
Lorsque vous finissez les tournages, la rupture de rythme est-elle intense?
Oui, c’est tout un changement de rythme! District 31, c’est un Ironman! Outre les tournages, il faut apprendre nos textes. Ça dure huit mois. Quand ça se termine, il y a ce que j’appelle un sevrage. Au début, il y a quelques jours de béatitude, puis suit le moment où on se demande quoi faire... Cela dit, ma vie, c’est ma famille. J’ai une vie de famille très occupée, très active. Très rapidement, je reprends le collier, même si dans les faits, je ne lâche jamais. Je donne beaucoup aux miens, même lorsque je travaille, ce qui fait en sorte que j’ai peu de vie sociale pendant quelques mois. C’est un choix. Après District 31, je redeviens un père à temps plein.
Croyez-vous être plus disponible que la plupart des parents?
En effet. Je dis toujours que je peux aller au Biodôme le mardi après-midi et non le samedi après-midi... C’est un gros avantage... Même si tourner une quotidienne est exigeant, je ne travaille pas les fins de semaine. Cette année, j’ai décidé de prendre ces trois mois et demi de pause. J’ai toujours travaillé beaucoup, notamment avec Ruptures. J’ai le goût de m’arrêter.
Est-ce parce que vous en ressentez le besoin?
Je ne suis pas brûlé, j’ai juste envie d’en profiter. J’ai un grand qui entrera au secondaire, un petit qui entrera au primaire. J’ai envie de profiter encore plus du temps avec eux. C’est un privilège de pouvoir m’offrir cela et je l’apprécie énormément.
Vous poursuivez par ailleurs votre engagement auprès de la Société québécoise de la déficience intellectuelle.
Oui, c’est ma 12e année, je crois. Chaque année, je me demande s’ils vont me garder... (rires) Chaque fois, je leur dis de se sentir à l’aise de trouver un nouveau visage, car c’est important pour leur cause. La présidente Anik Larose et moi, nous avons grandi ensemble. Lorsque Babine est sorti, Anik a trouvé que j’avais interprété mon personnage avec beaucoup de sensibilité. Elle ignorait que mon frère vivait avec une déficience intellectuelle. Nous sommes des alliés depuis ce jour. Je refusais de parler de mon frère avant que le film soit sorti. Je ne voulais pas me servir de cela. Même Luc Picard l’ignorait. Je le lui ai annoncé après avoir décroché le rôle.
Après toutes ces années, quel bilan dressez-vous de votre engagement?
Je vois un intérêt envers la cause et l’intégration des personnes qui vivent avec une déficience intellectuelle. Je crois que les choses se sont améliorées, mais c’est un engagement à très long terme. Il ne faut pas relâcher, car il n’y a pas d’acquis. C’est très, très fragile. Il y a moins de tabous en général. Les barrières tombent. C’est à cela que sert la semaine de sensibilisation. C’est l’ignorance qui amène la peur et l’intolérance. Mes enfants, je les vois évoluer. Ils sont élevés avec des valeurs et sont conditionnés par ce que mon frère est pour moi et pour eux.
Diriez-vous qu’ils sont ouverts à la différence?
Tout à fait. Je vois l’importance de la famille, de l’éducation. Il y a 12 ans, quand j’ai commencé cet engagement, j’étais le frère d’un homme vivant avec une déficience intellectuelle. Depuis que je suis père, je suis conscient de l’importance de discuter avec nos enfants. Il faut saisir toutes les occasions de les reprendre, non pas pour les chicaner, mais pour les aider à réaliser le mal que les mots peuvent créer. Comme parents, nous avons une responsabilité et nous devons l’assumer. Nous sommes des modèles pour nos enfants. Ils reproduisent ce qu’ils voient à la maison.
Dans votre vie personnelle, avez-vous vite pris position?
Oui, très tôt, je m’interposais quand des gens disaient des choses et pas seulement concernant la déficience intellectuelle, mais aussi le racisme. Ça me touchait. J’ai une très belle vie, je n’ai pas été victime d’intimidation, je n’ai pas été exclu. Au contraire! On estime qu’entre 1 et 3 % des gens vivent avec une déficience intellectuelle, c’est beaucoup de monde... J’ai vite senti une responsabilité et de la fierté envers mon frère. Mes parents m’ont appris cela. Chez nous, il n’y avait pas de place pour la honte. Avec le temps, j’ai compris que j’ai été chanceux de vivre dans ce milieu, mais qu’il est possible d’avoir honte, et c’est correct d’en parler. Lors de mes conférences, beaucoup de jeunes viennent me voir pour me remercier d’avoir abordé cette question. C’est normal de vivre cette situation. En tant que frère ou sœur, on n’est pas le parent...
La vie vous semble-t-elle plus facile pour votre frère maintenant?
Oui, je le vois. Mon frère est très débrouillard. Il va là où la vie est la plus belle et la plus facile. Il travaille dans une école où il s’occupe de la maintenance. Il a ses activités, son réseau d’amis. Il prend l’autobus. Il a animé un cabaret avec moi et ça a réveillé chez lui la fibre artistique. Nous avons coanimé le lancement de la Semaine québécoise de la déficience intellectuelle (SQDI). Il a été bon, en plus! Il a du talent! Mon frère a eu 40 ans. Pour les parents dont l’enfant a une déficience intellectuelle, il faut penser à la suite des choses.
Où en est-on, socialement, dans l’aide apportée?
Il y a un accompagnement jusqu’à l’âge de 18 ou 20 ans, mais après, ils sont laissés à eux-mêmes. L’hébergement et les soins sont des enjeux très stressants pour les parents, et ce sont des investissements à long terme. Il faut penser à l’après. Qui s’occupera de notre enfant? Nous travaillons avec le gouvernement pour établir des processus plus courts et moins onéreux et pour faire reconnaître la proche-aidance.
Votre frère est-il pour vous un enseignant à certains égards?
Oui. Il l’a toujours été. Dans ses actes, dans ses gestes, il l’est. Il y a chez lui cette ouverture à la vie, cette présence et cette résilience. Il m’amène à prendre ce que la vie m’apporte au moment où elle me l’apporte. Et à ne pas trop anticiper. À apprécier les petits bonheurs. Pour lui, le voyage est aussi intéressant que la destination.
- Vincent-Guillaume Otis et la comédienne Gabrielle Marion-Rivard sont les porte-paroles de la Semaine québécoise de la déficience intellectuelle, qui se poursuit jusqu’au 21 mars. On peut soutenir la Société québécoise de la déficience intellectuelle en faisant un don ou encore en offrant des objets dans les boîtes bleues.
- Retrouvez l’acteur dans District 31, du lundi au jeudi, à 19 h, à Radio-Canada.