Jean-Marc Vallée, un créateur têtu
Guy Fournier
De tous les créateurs que j’ai connus, Jean-Marc Vallée est sûrement le plus obstiné et le plus têtu.
Pour un homme comme lui, les anglophones emploient le mot « dedicated ». Je pourrais donc écrire que Vallée était un créateur « dédié », mais ce mot ne le définirait pas aussi bien que le mot anglais. Il y a quelque chose de mystique dans « dedicated », comme il y avait chez Vallée un attachement quasi religieux pour le cinéma.
Les réalisateurs détestent souvent les salles de montage. Ceux qui connaissent comment se fabrique un film savent qu’il y a un monde entre le tournage et le montage. Le tournage, c’est l’effervescence, le branle-bas, presque le chaos. Comme un capitaine en pleine tempête, le réalisateur y est maître après Dieu. Ce voyage turbulent à l’issue incertaine peut durer un mois, deux mois, parfois plus. Il faut au capitaine des nerfs solides. Ceux de Jean-Marc étaient d’acier.
Seul dans une salle de montage, Vallée exultait. Dans la quasi-obscurité du lieu, son regard fixait chaque image avec intensité pour en tirer des séquences signifiantes. Jean-Marc travaillait au montage avec la patience et la lenteur d’un joaillier. Il cherchait à mettre en valeur chacune des images comme s’il s’agissait de pierres précieuses.
LA NAISSANCE DE C.R.A.Z.Y.
C’est dans la pénombre et l’atmosphère monacale d’une salle de montage que furent conçus tous les films de Jean-Marc Vallée, en particulier C.R.A.Z.Y., le plus personnel et le plus québécois de tous. Vallée y a passé un temps fou pendant qu’il remuait ciel et terre pour obtenir les droits des chansons qui avaient meublé son adolescence. Ce sont ces musiques qui avaient construit l’homme qu’il était devenu.
J’étais à Toronto en mars 2006 lorsque C.R.A.Z.Y. remporta 11 prix Génie. Le film rata seulement le trophée de la photographie, signée Pierre Mignot. Quant à moi, il aurait bien mérité ce prix-là aussi. J’imagine que le jury aurait trouvé indécent qu’à Toronto un film québécois rafle tous les trophées.
À l’issue du gala, je courus retrouver les acteurs et les artisans qui venaient d’assister au triomphe. C’était vraiment le triomphe de Vallée, car même les acteurs couronnés d’un trophée comme Danielle Proulx et Michel Côté refusaient de prendre le moindre crédit.
Quand je félicitai Paul Jutras, qui avait remporté le Génie du meilleur montage, il refusa net, lui aussi, de s’attribuer le moindre mérite.
« Jean-Marc a tout fait, me dit-il, avant d’avouer à mi-voix qu’il ne travaillerait plus avec lui, car il est intransigeant jusqu’à l’obsession ».
LA MUSIQUE AVANT TOUTE CHOSE
Ce perfectionnisme de Vallée, qui ne laissait place à aucune concession, j’en connaissais un bout. J’ai travaillé quelques années comme auteur avec la dramaturge et scénariste Chantal Cadieux (Providence, Mémoires vives, Une autre histoire, etc.), qui fut durant 15 ans la conjointe de Jean-Marc. Elle fut donc à même de constater à quel point il était totalement absorbé par son travail lorsqu’il écrivait et préparait un film.
Cet homme plutôt solitaire, qui pouvait même paraître revêche, fondait comme glace au soleil en écoutant de la musique. C.R.A.Z.Y. est la preuve de l’importance qu’elle prenait dans sa vie.
Ce n’est pas sans raison qu’il fut l’un des premiers à reconnaître le talent notable d’Alexandra Stréliski. Comme il fut l’un des premiers à croire au documentaire de Marie-Julie Dallaire, Comme une vague, une ode envoûtante à la musique et au pouvoir des sons.
Que Jean-Marc Vallée disparaisse le jour de Noël est une étrange ironie lorsqu’on se rappelle que c’est une fête qu’abhorrait Zachary, l’adolescent de C.R.A.Z.Y. que personnifiait Marc-André Grondin.