Jean-Marc Vallée: l’homme qui aimait
Josée Legault
Dimanche soir, frôlant minuit, à la première rumeur de sa mort, je n’y croyais pas. Jean-Marc Vallée ? À 58 ans ? Au sommet de sa forme physique, intellectuelle et créative ? Impossible.
Or, l’inconcevable était vrai. Du décès annoncé de Desmond Tutu à celui de Jean-Marc Vallée, ce lendemain de Noël fut sombre et terriblement triste.
Tout récemment, comme tant d’autres, j’avais revu à la télé son film C.R.A.Z.Y. – l’histoire courageuse d’un jeune homme en quête de son identité homosexuelle face à un père aimant, mais perdu devant l’inconnu.
Magnifique. Touchant. Humaniste. Drôle et dramatique à la fois. Des acteurs et des actrices merveilleusement bien dirigés. Avec amour, tendresse et respect. Une trame musicale riche, enlevante, inoubliable.
Pour C.R.A.Z.Y. comme pour toutes ses œuvres, ses films ou miniséries tous acclamés de par le monde, la « signature » Jean-Marc Vallée est unique. Devoir parler de lui au passé n’a cependant aucun sens.
Pas à 58 ans. Pas avec les décennies de création qu’il lui restait encore dans le corps et dans l’âme. Il le faudra bien pourtant. Tout comme il a fallu apprendre à le faire en 1997 pour Jean-Claude Lauzon, un autre jeune réalisateur d’exception, emporté tragiquement à 43 ans.
Grande admiration
Je n’ai jamais eu la chance d’échanger avec Jean-Marc Vallée. En fait, je l’ai presque déjà rencontré. Un après-midi d’avant la pandémie, dans notre quartier commun du Plateau-Mont-Royal, je l’avais aperçu sur le coin d’un trottoir.
Il était avec un ami, un collègue ou, qui sait, peut-être un de ses deux fils. Il pointait une maison et la beauté architecturale de ses corniches. Je n’ai pas osé briser ce joli moment d’une interruption trop admirative de ma part.
Le hasard était d’autant plus prenant que j’étais à visionner, pour une énième fois, sa formidable minisérie Big Little Lies. Primée et acclamée avec raison.
Comme pour C.R.A.Z.Y. et tous ses films, ce qui impressionne le plus dans Big Little Lies est son propos. Son propos lucide et éclairé sur ce qu’il y a parfois de plus laid, mais aussi de plus beau chez l’humain.
C’est la solidarité et la force inouïes de ses personnages féminins, dont celui joué par Nicole Kidman. Malgré son couple « doré », ses beaux enfants et sa maison de rêve, on y découvre peu à peu une victime de violence conjugale, verbale, physique, sexuelle et financière.
Le cœur, toujours
Avec finesse d’esprit et empathie, Jean-Marc Vallée y démonte l’infâme mécanique tapie derrière la violence conjugale et les trahisons amoureuses. Pour quiconque l’aura vécu, ou le vit encore, la démonstration chirurgicale qu’il en fait résonne très fort.
Finalement, toute son œuvre aura décortiqué brillamment des histoires de vies qui, parfois inventées, parfois inspirées de faits vécus, nous touchent jusqu’au plus profond du cœur.
Le cœur. Toujours. Celui d’un jeune père s’arrêtant de battre à la fin de la vidéo de Cold Little Heart – la chanson mythique de Michael Kiwanuka, choisie par Jean-Marc Vallée pour ouvrir chaque épisode de Big Little Lies.
Le cœur. Celui de Reese Witherspoon, une de ses actrices adorées, dont elle disait hier qu’il s’était brisé à la nouvelle brutale de la mort de son grand ami.
Le cœur. Celui de Jean-Marc Vallée, fort, aimant, créateur, passionné, intense, sensible, grand et généreux.
N’est-ce pas toujours le cœur qui meurt en dernier ?
Toutes nos condoléances à ses enfants, à sa famille entière, ses amis et ses nombreux collègues.