Stupeur et indignation après l’arrestation musclée
Jérémy Bernier | Journal de Québec
Le jeune homme au centre d’une brutale intervention policière à Québec s’explique mal la violence qui a été utilisée à son endroit, alors qu’il était déjà maîtrisé.
« Je voudrais juste comprendre pourquoi ils ont fait ça. Ils sont censés nous protéger », déplore Pacifique Niyokwizera.
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Les images troublantes ont circulé abondamment sur le web depuis samedi.
On y voit entre autres le jeune homme noir être violemment mis au sol par des policiers qui lui ont ensuite jeté de la neige au visage.
Les faits se sont produits à la sortie des bars, samedi matin, près du Dagobert, sur Grande Allée. Une altercation a débuté à l’intérieur de l’établissement entre plusieurs individus avant de se poursuivre à l’extérieur, où les policiers sont intervenus.
« Je me suis approché d’un policier pour expliquer la situation, mais il a sorti son poivre de Cayenne et m’en a jeté dans les yeux. C’est là que ça a dégénéré », soutient M. Niyokwizera, l’individu qu’on voit être arrêté par les agents de la paix sur la vidéo.
Écoutez l'entrevue de l'entraîneur de boxe de Pacifique Niyokwizera, Éric Martel-Bahoeli, avec Benoit Dutrizac sur QUB Radio:
« Mon visage brûlait »
Rencontré par Le Journal, le jeune homme de 18 ans raconte qu’il a ensuite été roué de coups par « trois ou quatre policiers », jeté contre une voiture, puis au sol, avant de se faire pousser de la neige au visage.
« J’ai commencé à crier, mon visage brûlait [...] », se rappelle-t-il. Son œil bouffi et son visage couvert d’ecchymoses en témoignent toujours, 24 heures plus tard.
Écoutez le tour des actualités de Philippe-Vincent Foisy et Carl Marchand sur QUB Radio:
Une fois dans l’autopatrouille, plusieurs propos désobligeants faisant référence à son quartier et des sous-entendus concernant les gangs de rue auraient fusé, selon son récit.
Les agents l’auraient ensuite fait descendre près de la gare du Palais. Il aurait été obligé de refaire le chemin inverse en espérant qu’il retrouverait ses amis ; un policier a jeté son téléphone lors de l’altercation.
Plaintes
Si le jeune homme affirme qu’il n’a rien à se reprocher dans cette affaire, précisons qu’on ne connaît pour le moment qu’un seul côté de l’histoire (voir autre texte).
D’ailleurs, Pacifique Niyokwizera a déjà obtenu une amende pour entrave au travail des policiers en septembre dernier.
Il compte tout de même porter plainte auprès du Service de police de la Ville de Québec, tout comme plusieurs de ses amis qui étaient présents lors de l’incident.
« Des gestes comme ça, ça n’a pas sa place ! Il faut que justice soit faite », peste de son côté Jerry Muscadin, qui aurait lui aussi été matraqué et poivré dans l’intervention policière.
« Nous [les Noirs], on subit tout le temps. Si on avait été blancs, ça aurait été différent », conclut-il.
Écoutez l’entrevue de Fabrice Vil, avocat, entrepreneur social et chroniqueur:
La classe politique « troublée »
«j’ai demandé au Commissaire à la déontologie policière de se pencher sur cet événement. Comme vous, citoyens et policiers, je souhaite que toute la lumière soit faite sur cette histoire.»
– Geneviève Guilbault, ministre de la Sécurité publique
À la suite des incidents survenus dans la nuit de vendredi à samedi à Québec, j’ai demandé au Commissaire à la déontologie policière de se pencher sur cet événement. Comme vous, citoyens et policiers, je souhaite que toute la lumière soit faite sur cette histoire.
— Geneviève Guilbault (@GGuilbaultCAQ) November 30, 2021
« On ne peut pas faire autrement qu’être troublé. Ça nous fait prendre conscience d’une réalité à laquelle on est rarement confronté à Québec.»
– Bruno Marchand, maire de Québec
« J’ai pris connaissance des images troublantes de cette arrestation. La lumière doit être faite sur cet événement. »
– François Legault, premier ministre du Québec
« Lorsque j’ai vu les images, j’ai trouvé ça excessivement choquant, excessivement troublant. »
– Dominique Anglade, cheffe du PLQ
«On ne doit pas tolérer ça au Québec. »
– Paul St-Pierre Plamondon, chef du PQ
« Inadmissible », selon d’anciens policiers
Les actions posées par des agents du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) dont les images ont circulé sur le web samedi ne sont pas acceptables, d’après des policiers retraités.
« C’est une utilisation de la force qui n’est pas nécessaire, c’est inutile », déplore Guy Ryan, inspecteur à la retraite du Service de police de la Ville de Montréal.
Selon lui, les coups portés au visage du jeune homme noir et la neige qui lui a été balayée dans la figure alors qu’il était déjà au sol sont des gestes gratuits.
L’ex-policier de la Sûreté du Québec, François Doré, est du même avis.
« Ce qu’il s’est passé n’a pas lieu d’être, point à la ligne. Indépendamment de l’histoire antérieure, c’est inadmissible », tranche M. Doré.
Caméras corporelles
Les deux anciens membres des forces de l’ordre soutiennent que ces actes font mal paraître l’ensemble de la profession, alors que ce ne sont qu’une poignée d’individus qui en sont responsables.
Dans l’une des vidéos montrant l’intervention, on entend d’ailleurs un autre policier tenter de calmer le jeu tout en démontrant son désaccord, à mots couverts.
« Je m’excuse. Regarde, je ne prends pas position, c’est juste que... prenez ça relax, il n’y a pas de danger », dit-il.
Pour M. Ryan, cette situation démontre l’importance d’équiper les agents de la paix de caméras corporelles. Ça permettrait de protéger autant le policier que la personne arrêtée.
Pas de policiers noirs
M. Doré, quant à lui, peine à comprendre pourquoi il n’y a toujours pas de policiers noirs à Québec. La communauté noire est de plus en plus importante à Québec, il faut qu’elle soit représentée, souligne-t-il.
Rappelons qu’en mai 2021, la Ville de Québec déployait un plan d’action pour permettre une meilleure représentation des minorités visibles au sein du SPVQ.
« Ça préoccupe tout le monde. On est conscient qu’il y a des objectifs à atteindre et [tout porte à croire] qu’on va les atteindre rapidement », a fait savoir le maire de Québec, Bruno Marchant, lors d’une mêlée de presse hier.
« On ne connaît pas toute l’histoire »
Il faut être prudent avec les images qui ont été diffusées, prévient la Fraternité des policiers et policières de la Ville de Québec (FPPVQ) puisqu’on ne voit qu’un seul côté de la médaille.
« Quand on voit une portion d’une intervention policière et qu’on ne sait pas ce qu’il s’est passé avant, c’est facile de juger. Mais on ne connaît pas encore toute l’histoire », indique Martine Fortier, présidente de la FPPVQ.
Elle souligne qu’il existe diverses techniques de diversion pour faciliter la maîtrise d’un individu. Bien qu’elle ne puisse confirmer que c’est ce qu’il s’est passé dans ce cas-ci, de jeter de la neige au visage d’un individu pourrait en faire partie.
Enquête
Par ailleurs, le chef du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ), Denis Turcotte, a rappelé hier qu’une enquête interne était en cours pour faire la lumière sur les événements.
Les rapports des agents de police, les ondes radio et les caméras de surveillance de la Grande Allée seront notamment analysés pour juger de la situation.
« Je m’engage à ce que l’enquête soit faite rondement [...] Je ne tolérerai aucune discrimination », a fait savoir M. Turcotte lors d’une mêlée de presse.