«Si j’avais changé de porte, je ne serais pas là aujourd'hui...» - Castonguay
Jean-François Chaumont
Émilie Castonguay caressait le rêve d’atteindre la LNH depuis ses jours sur un banc d’école à l’université. Historiquement, ce métier restait réservé pour les hommes. Un obstacle qui n’a jamais freiné sa quête.
Avant elle, une seule femme avait occupé un poste de directrice générale adjointe avec une équipe de la LNH. C’était Angela Gorgone avec les Ducks d’Anaheim lors de la saison 1996-1997.
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En entrevue au Journal de Montréal dans un corridor du Rogers Arena pendant un entraînement des Canucks, Castonguay a offert une réponse des plus honnêtes sur le classique sujet d’une rare femme dans la jungle du hockey.
«Je suis parfois à boute de ce sujet, a répliqué la DG adjointe des Canucks. Et je cherche à m’en dissocier. Je ne blâme pas les médias. Ce n’est pas de votre faute. Vous trouvez ça cute et beau et vous voulez en construire une belle histoire. Mais je vois ça d’une autre façon.»
«J’ai vécu mon parcours d’une façon différente. Je suis sorti de l’école, je jouais au hockey à l’université et je voulais travailler dans le monde du hockey. Je cherchais la meilleure façon pour y arriver. Je voulais me donner tous les outils pour construire mon chemin. Pour un homme, il y a parfois une route différente. Un gars peut jouer 20 ans dans la LNH et il y restera après sa carrière. Pour une femme, c’est impossible. Tu ne joues pas dans la LNH. Je me cherchais des options. J’ai regardé un gars comme Julien BriseBois qui était un avocat. J’ai étudié en finances et en droits.»
Aucun nom sur un frigidaire
En cette journée internationale des droits des femmes du 8 mars, Castonguay sait qu’elle risque d’influencer d’autres jeunes étudiantes ou hockeyeuse qui rêveront de suivre ses traces.
«Je pense que ça le fera par ricochet, a-t-elle répliqué. Et tant mieux si je peux inspirer d’autres jeunes femmes. Mais j’ai un message à leur dire. Elles doivent bâtir leur propre route.»
«J’utilise souvent une image. Je sors de l’école et je me retrouve devant plusieurs portes avec des carrières possibles. Il y a plusieurs personnes en attente devant chacune des portes. J’ai vu la porte hockey et LNH. J’ai choisi cette porte. Il y avait une grosse ligne et je savais que la porte ne s’ouvrait pas souvent. J’aurais pu me dire qu’il y avait 50 hommes dans la file d’attente et aucune femme. Mais je n’ai jamais pensé de cette façon. Je ne voyais pas ça d’une façon de genre. Si j’avais changé de porte, je ne serais pas là aujourd’hui.»
«Si tu vois un boulot que tu aimes et que tu as les compétences, tu dois foncer. J’ai de la misère à me dire que c’est une question de genre. Je n’avais pas une liste de femmes inspirantes sur mon frigidaire. Je n’ai jamais pensé de cette façon.»
L’influence de Pierre Gauthier
Castonguay n’a pas hésité une seule seconde pour identifier son mentor dans ce milieu. Jeune étudiante, elle avait rencontré Pierre Gauthier à son époque comme directeur général du Canadien de Montréal. C’était peu de temps avant son départ du CH en mars 2012.
«Pierre m’avait dit : tu veux être DG, c’est bien beau. Mais as-tu une idée de tout ce que j’ai fait pour me retrouver dans ce siège ? Il m’a raconté son parcours. Il m’avait offert un conseil assez simple. Si tu veux travailler dans le sport, tu dois travailler dans le sport. Tu as juste à commencer à une place. Et tu dois t’y consacrer à 150%.»
«Il m’avait prévenu que je devais parier sur moi, a-t-elle poursuivi. Il n’y aurait personne pour m’engager en sortant de l’école sans avoir aucune expérience. Tu dois pelleter ton chemin. Je n’ai jamais oublié ça. Il m’a pris sous son aile depuis ce jour. Il ne m’avait pas donné un boulot, il ne m’avait pas engagé, mais il restait présent pour m’apprendre des choses avec des conseils. J’ai pris ça comme un très beau cadeau. Je garde encore une relation spéciale avec Pierre. Il m’a appris l’art d’évaluer des joueurs, l’art de recruter des joueurs, l’art de bien lire une convention collective et bien d’autres aspects. »
«Quand on avait des débats, il trouvait souvent que j’étais pro-joueur. Il me voyait dans un poste avec l’Association des joueurs. J’ai finalement pris le chemin d’une agente de joueurs. J’ai lancé mon agence immédiatement après mon barreau. J’ai recruté des joueurs, j’ai développé des joueurs, j’ai négocié des contrats, j’ai touché à l’aspect marketing.»
D’agente d’Alexis Lafrenière, le premier de classe du repêchage de 2020 avec les Rangers, Castonguay est maintenant l’adjointe de Patrik Allvin, le DG des Canucks. Elle vit son rêve à Vancouver, dans la ville où sa sœur Valérie, décédée tragiquement en 2008, lui avait prédit qu’elle dirigerait cette équipe.
«Le dernier mois est pas mal intense. Je travaille près de 14 heures par jour. J’ai mis ses cendres à une place très spécifique à Vancouver qui est proche d’ici. Quand j’aurai du temps à la fin de la saison, j’irai me recueillir à cet endroit. Je prendrai le temps de vivre le moment. Je pourrai réaliser un peu mieux ce qui se passe.»