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L'article provient de TVA Sports

«J’ai été rancunier envers le CH pendant 3 ans...»

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Anthony Martineau

2020-06-05T18:08:26Z
2023-10-12T23:39:21.163Z
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Il était un jeune joueur sur lequel les Canadiens de Montréal fondaient beaucoup d’espoir. Après une fantastique carrière junior où il venait d’amasser 402 points en 265 matchs (incluant trois saisons de plus de 100 points), Marc-André Thinel a été repêché en 5e ronde par le Tricolore en 1999. 

Les attentes envers le Québécois étaient, à l’époque, très élevées. Après tout, il avait, au fil de son passage dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec, présenté de meilleures statistiques que des espoirs reconnus tels Jason Pominville, Radim Vrbata et Antoine Vermette.       

20 ans plus tard, Marc-André Thinel, qui n’a finalement disputé aucun match dans la LNH, est relativement peu connu des amateurs du CH. Mais la réalité est complètement différente en France, où le Québécois est, en date d’aujourd’hui, carrément perçu comme «une légende». 

Mis de côté plus souvent qu’à son tour par le Tricolore alors qu’il était pourtant dans la fleur de l’âge, Marc-André Thinel est parvenu à prouver qu’être ignoré par une équipe de la LNH n’est pas une finalité en soi... 

Changements internes      

Après un parcours junior pratiquement sans failles, le CH propose à Thinel un contrat de trois ans, que le Québécois, évidemment, accepte. 

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Mais à l’été 2001, plusieurs changements surviennent dans l’organisation des Canadiens. 

«Tous les dirigeants qui étaient derrière ma sélection ont été congédiés après la signature de mon premier contrat. Réjean Houle et Pierre Dorion ont notamment fait partie des éclopés. André Savard a alors hérité du poste de directeur général. 

«André aimait bien mon style de jeu, et il communiquait bien avec moi. Il me disait ce qu’il voulait que j’améliore. Il souhaitait notamment que je travaille sur ma masse musculaire. Même si je n’aimais pas du tout travailler dans un gymnase, j’ai mis les bouchées doubles cet été-là. Je voulais vraiment faire bonne impression à mes débuts dans l’organisation.»      

Et les efforts de Thinel rapportent. Il connaît un excellent premier camp d’entraînement avec le CH. 

«J’étais parvenu à disputer trois ou quatre matchs préparatoires. J’ai finalement fait partie des derniers joueurs retranchés. Cela m’a donné beaucoup de confiance pour la suite des choses.»

Accueil étrange       

Thinel entame donc sa première saison professionnelle dans la Ligue américaine. À l’époque, les joueurs retranchés par le CH doivent se rapporter aux Citadelles de Québec. 

Ayant connu un excellent camp d’entraînement avec le «grand club», le Québécois s’attend à obtenir un rôle d’importance à Québec. Mais la réalité est vraiment toute autre. 

«Ils m’ont tout de suite placé sur le quatrième trio et j’y suis resté toute l’année. Il y a des choses que je ne comprenais pas. Ils voulaient que je performe, mais je me rappelle notamment d’un segment de 10 matchs où j’ai été jumelé à Gino Odjick et Louie DeBrusk. C’était contradictoire. Je devais produire offensivement, mais on ne me donnait pas les chances de le faire.»      
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Les vétérans de l’équipe, comme Patrick Poulin, Benoit Gratton et Éric Landry, disent toutefois à Thinel de ne pas s’en faire. 

«Ils m’ont dit qu’eux aussi étaient passés par un processus du genre. J’ai donc pris mon mal en patience, en me disant que mon tour finirait par arriver...»

Deuxième tentative       

La saison suivante, l’équipe des Citadelles de Québec est dissoute. Le club-école des Canadiens se retrouve donc à Hamilton. 

Cette année-là, il existe toutefois un partenariat entre Hamilton et Edmonton et le bassin de joueurs présents au camp d’entraînement est, conséquemment, énorme. 

«J’avais connu un camp correct avec les Canadiens. En arrivant à Hamilton, c’était bondé de joueurs. L’équipe avait cependant réussi à négocier une entente avec le club-école des Stars (Grizzlies de l’Utah) pour m’y envoyer en compagnie de quelques autres joueurs.»

En Utah, on donne une meilleure opportunité à Thinel. 

«Je jouais davantage. On me faisait évoluer sur le deuxième trio et on m’utilisait vraiment selon mes forces. Parfois, toutefois, je ne jouais pas. J’ai donc disputé quelques matchs dans la Ligue East Coast. Mais globalement, cette saison-là m’a redonné confiance, car j’ai été utilisé lors de situations offensives.»

Le Québécois complète sa deuxième saison professionnelle avec 20 points en 44 matchs dans la LAH. 

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Inexplicable      

Les mois passent et Thinel, qui s’apprête alors à disputer la troisième et dernière année de son contrat initial, s’entraîne dur pendant l’été. Il veut impressionner. 

Mais les Canadiens le retranchent de leur camp d’entraînement après seulement deux semaines. Thinel ne comprend pas. Et il n’est pas au bout de ses surprises. 

«J’arrive à Hamilton et on me dit que je suis retranché dans la Ligue East Coast. J’étais décontenancé. Je savais que je pouvais jouer beaucoup plus haut.»      

Dans la ECHL, Thinel, alors âgé de 22 ans, récolte 42 points en 45 matchs et il tente par tous les moyens d’attirer les regards. 

Le troisième saison professionnelle du patineur originaire de Saint-Eustache se termine toutefois sur cette note amère... 

Une relation tendue       

Évidemment, Thinel, qui voit comment les Canadiens semblent vouloir «gérer son dossier», ne s’attend pas à poursuivre sa carrière au sein de l’organisation. Et pourtant... 

«Ils m’ont offert un autre contrat! J’étais vraiment surpris et je ne comprenais pas tout, mais j’ai accepté. Je voulais juste une chance.

«Un lock-out a été décrété dans la LNH après cette signature. Donc je me suis retrouvé dans la Ligue américaine, mais avec plein de gars de la LNH. Les chances n’étaient pas de mon côté, comme on dit...»

Mais le Québécois parvient tout de même à faire sa place avec l’équipe. Il connaît même un très bon début de saison sur le plan offensif, mais rapidement, il se rend compte que l’entraîneur en poste, un certain Doug Jarvis, ne fera absolument rien pour l’aider. 

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«Je ne m’entendais vraiment pas bien avec lui. Et je n’étais vraiment pas son style de joueur. Il s’en foutait complètement! Il voulait que je joue strictement défensivement, mais il me rabrouait si je n’obtenais pas de points. Encore aujourd’hui, je souhaite du succès à tout le monde avec qui j’ai évolué au fil de ma carrière. Mais je n’ai aucun intérêt par rapport à ce qui peut arriver avec Doug Jarvis.»      

L’équipe se taille une place en séries, mais Thinel n’est pas utilisé par l’entraîneur, malgré une respectable récolte de 21 points en 58 matchs. 

«Je sais qu’il y a énormément de joueurs qui auraient mérité une chance. Mais je sais aussi, au fond de moi, que j’avais le potentiel pour que l’équipe essaie au moins quelque chose de concret avec moi. Après cette saison-là, j’étais tanné. J’ai commencé à regarder vers l’Europe.»

Pendant ses recherches, Thinel, encore une fois, est pris de stupeur. Les Canadiens lui font une nouvelle offre. 

«Je ne comprenais absolument rien, honnêtement. André Savard avait appelé mon agent en lui disant que c’était une belle occasion de repartir de zéro avec les nouvelles règles post-lock-out. Mais moi, j’ai toujours été quelqu’un qui jouait au hockey pour avoir du plaisir. Et ça faisait quatre ans que je n’en avais plus du tout. 

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«J’étais sur le point de tout lâcher. Pendant les discussions entre Savard et mon agent, mon meilleur ami Carl Malette a signé un contrat en France. Il était un peu dans la même situation que moi. Il m’a demandé d’aller le rejoindre. Je voulais vraiment retrouver le plaisir de jouer, alors j’ai refusé l’offre des Canadiens et je suis parti pour la France avec mon chum.»      

Marc-André Thinel s’engage avec Rouen et quitte pour l’Europe, ne sachant pas du tout, à cet instant précis, qu’il ne reviendra jamais jouer en Amérique du Nord... 

Dépaysement total       

Près de 15 ans plus tard, Thinel n’a rien oublié de son arrivée en France. Du haut de ses jeunes 24 ans, il découvrait l’Europe pour la toute première fois. 

«Au début, j’ai trouvé ça très dur. C’était très dépaysant. Nous étions atterris à Paris un dimanche matin. Carl Malette et moi avions loué un appartement en plein centre-ville de Rouen, donc l’équipe nous y avait emmenés. 

«On a soudainement eu envie d’aller faire l’épicerie. Mais en France, à l’époque, on a constaté que toutes les épiceries étaient fermées le dimanche. On a aussi eu à s’habituer avec le fait que les restaurants n’ouvraient qu’à midi ou 19h30.       

«Heureusement, les gens ont été formidables sur le plan humain. Nous avons été accueillis comme des rois. Ils aiment l’accent des Québécois! Il y avait toujours quelqu’un pour nous dire quelque chose de bien, donc l’adaptation a été plus facile de cette façon.»

Une touche retrouvée      

Sur le plan hockey, Thinel retrouve sa touche d’antan. Il complète sa première saison en France avec une récolte de 58 points... en 26 matchs! 

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Et il ne ralentit pas la cadence lors des campagnes suivantes. Aujourd’hui, après 15 saisons en France, il revendique 687 points en 439 matchs. Ce total, tenez-vous bien, lui confère le troisième rang des pointeurs de toute l’histoire du circuit français! 

Lors de l’arrêt des activités lié à la pandémie de coronavirus, il se retrouvait à seulement quelques points de s’emparer du deuxième rang. 

Questionné à savoir si ce genre d’exploit faisait de lui quelqu’un que l’on reconnaissait en France, Thinel, un peu gêné, répond par l’affirmative. 

«Ce n’est pas un titre que j’aime parce que c’est gênant un peu, mais ici, ils m’appellent "la légende". Honnêtement et humblement, je suis quand même connu ici. Je considère quand même avoir laissé ma marque.       

Thinel considère aussi que son parcours a probablement servi à inspirer certains hockeyeurs professionnels à choisir la France comme terre d’accueil.

«Je suis ici depuis 15 ans et j’ai pu voir comment le hockey a évolué en France. J’ai été l’un des premiers à quitter la Ligue américaine pour venir m’installer ici. Avant moi, c’était plus des gars du junior AAA ou de la LHJMQ qui traversaient l’Atlantique. Depuis quelques années, il y a de plus en plus de gros noms qui débarquent ici.

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«Le hockey, à Rouen, c’est vraiment le sport numéro un, même si plusieurs pensent encore que c’est le soccer. En Europe, les propriétaires ont vraiment beaucoup d’argent, mais ils n’injectent rien dans leurs formations. L’argent provient vraiment des commanditaires. Notre aréna contient 3000 places. Il est rempli à chaque partie, mais 3000 billets vendus ne paient pas le salaire d’une équipe entière...

«Mais parce que le club est bon, on attire beaucoup de commanditaires dans les loges et les finances du club vont très bien. C’est un gros avantage pour nous.»

Nouveau mandat       

Malheureusement pour Thinel, c’est dans les tristes circonstances de la pandémie de COVID-19 qu’il aura dernièrement choisi d’accrocher ses patins. Avouons qu’un joueur à la carrière comme la sienne aurait mérité un départ plus glorieux...

Mais ne croyez pas son aventure à Rouen terminée pour autant! 

«Cela faisait déjà un an ou deux que j’avais des discussions avec le président du club sur mon futur. Mais je n’avais pas vraiment la tête à discuter de ça, car j’étais concentré sur le hockey. Sauf qu'il m’a appelé pendant le confinement et il m’a proposé les titres d’entraîneur adjoint et de directeur général adjoint. Alors c’est ce que je vais faire l’an prochain.       

«Notre directeur général a été joueur, entraîneur, puis DG. Il projette de prendre sa retraite bientôt. Je veux suivre son parcours. C’est un exemple pour moi.»

Un retour au Québec?       

Lorsqu’on lui demande s’il compte un jour revenir au Québec, Thinel y va de cette réponse. 

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«J’ai toujours dit que je souhaitais rentrer au Québec un jour. Mon frère, avec qui j’ai joué junior et à Rouen, me manque. Il est à Saint-Jérôme. Tous mes amis sont aussi au Québec. Ma copine française et mes enfants adorent le Québec, alors ce n’est pas un problème de ce côté-là. 

«C’est sûr que c’est envisageable d’y retourner. Mais comme je n’ai pas joué dans la LNH, je ne peux pas juste revenir, m’asseoir chez moi et ne rien faire. C’est pour cela que je projette de demeurer ici dans les prochaines années. Mais c’est certain que je vais rentrer un jour!»

Des regrets?       

Évidemment, il est facile de dire, en ne regardant que les statistiques, que Marc-André Thinel aurait pu s’établir comme un bon joueur dans la LNH. Après tout, il a souvent récolté plus de points, au niveau junior, que des joueurs ayant ensuite eu une longue carrière dans la LNH. 

Malgré l’immense succès qu’il a connu en France, a-t-il des regrets?

«J’ai toujours pensé que j’aurais pu jouer dans la LNH. J’ai été rancunier envers Montréal pendant deux ou trois ans. Après, j’ai grandi un peu et ça s’est calmé. Mais encore aujourd’hui, je peux te dire que je voyais, à l’époque, certains joueurs faire leur place dans la grosse ligue, et je m’estimais meilleurs qu’eux.       

«Avec du recul, toutefois, je réalise qu’il y a énormément de bons joueurs et qu’il n’y a pas de place pour tout le monde dans la LNH. Tu dois être à la bonne place au bon moment. Je n’ai peut-être pas été assez patient. Mais je n’étais pas heureux dans la Ligue américaine. 

«Là-bas, ton voisin de casier peut, quand tu as le dos tourné, essayer de te faire ombrage pour obtenir une chance. Moi, je voulais qu’on me donne une chance, mais je ne voulais pas non plus qu’il arrive malheur à l’un de mes coéquipiers. 

«Parfois, dès que tu faisais une erreur, les gars se mettaient à chialer pour que le coach entende et décide de te défavoriser. Je n’avais pas cette fibre-là en moi. C’était un peu malsain. Oui, j’ai des regrets et je ressens un peu d’amertume, mais en bout de ligne, je suis heureux de mon parcours en France. J’ai une famille et nous sommes comblés. C’est l’important, à ce stade-ci.» 

Difficile de le contredire là-dessus! 

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