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L'article provient de 24 heures

«J’ai des périodes de crise où je mange tout ce que je trouve»: l'hyperphagie, ce trouble alimentaire méconnu

Photomontage Marilyne Houde
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Photo portrait de Genevieve            Abran

Genevieve Abran

2023-10-23T14:30:00Z
2023-10-23T14:38:49Z
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«J’ai des périodes de crise où je mange tout ce que je trouve»: trois femmes qui ont souffert d’hyperphagie se confient sur ce trouble alimentaire peu connu.  

Vanessa* avait 7 ans lorsque ses parents l’ont amenée voir une nutritionniste pour la première fois.   

«La nutritionniste a convaincu mes parents que si je m’alimentais de la façon dont je m’alimentais, j’allais grossir, même si je faisais beaucoup de sport et que mes parents faisaient attention à ce que je mangeais», raconte la jeune femme aujourd’hui âgée de 23 ans.  

À force de restrictions alimentaires sévères, Vanessa a développé une relation malsaine avec la nourriture. Et les rencontres avec cette nutritionniste qui lui faisait des reproches à chaque «écart de conduite» l’ont poussée à se rebeller, raconte-t-elle. C’est à cette époque qu’elle a commencé à consommer de grandes quantités de nourriture et à souffrir d’hyperphagie. 

C’est quoi, l’hyperphagie?

L’hyperphagie, aussi appelée hyperphagie boulimique ou accès hyperphagique, fait partie de la famille des troubles du comportement alimentaire.   

Une personne qui souffre d’hyperphagie peut consommer une quantité de nourriture significativement plus grande que ce qu’une personne mangerait en moins de deux heures, explique Josée Lavigne, responsable des volets éducation et prévention chez ANEB Québec. 

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Contrairement à d'autres troubles alimentaires, il n'y a pas de comportement compensatoire après la période crise. Ce que ça veut dire, c’est qu’après avoir ingéré une quantité importante de nourriture, les personnes souffrant d’hyperphagie ne feront pas de l'activité physique de manière excessive, n'utiliseront pas de laxatif ou ne se feront pas vomir pour compenser cette perte de contrôle. 

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Une personne qui souffre d’hyperphagie va:

  • Manger beaucoup plus rapidement que la normale. 
  • Continuer de manger même si elle éprouve un inconfort physique.
  • Manger beaucoup sans avoir faim.
  • Manger seule par gêne.  
  • Se sentir dégoûtée, déprimée ou coupable de manger autant. 
  • Répéter des crises au moins une fois par semaine durant au moins trois mois. 

«Je marche sur des œufs»

Pendant la plus grande partie de son adolescence, Vanessa a été suivie dans un hôpital spécialisé en troubles du comportement alimentaire. Ce n’est que récemment qu’elle a compris qu’elle souffrait d’hyperphagie. Depuis qu’elle a quitté le nid familial, l’étudiante doit refaire face à ses démons.  

«Depuis que je suis en colocation à Montréal, quand je prépare mes repas, j’ai peur de trop manger devant mes colocs, et qu’on me juge. Je marche sur des œufs, parce que j’ai peur à tout moment que je fasse une crise et qu’on me voie dans cet état», admet Vanessa.   

«J’ai des périodes de crise où je mange tout ce que je trouve, parce que j’ai peur de ne plus y avoir accès», confie celle qui songe aujourd’hui à consulter une nutritionniste pour se défaire de son trouble alimentaire une bonne fois pour toutes.  

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Une diète après l’autre

À partir de l’âge de 9 ans, Fatima* comptait les calories qu’elle ingérait, sous les recommandations d’une diététiste. Au secondaire, elle a enchaîné les diètes amaigrissantes. C’est à 18 ans que l’hyperphagie s’est manifestée pour la première fois, lorsqu’elle s’est retrouvée seule en appartement.  

«Pour toutes les fois où j’avais tellement faim quand j’habitais chez ma mère, que je devais manger en cachette, je mangeais compulsivement», confie celle qui encore à l’époque suivait des régimes dans l’espoir de perdre du poids.  

«Quand j’atteignais une étape où j’échouais ma diète, je mangeais compulsivement des quantités très très grandes de nourriture. Je ne voulais pas manger cette nourriture, mais je n’étais pas capable d’arrêter, jusqu’à ce que la crise finisse d’elle-même», se souvient la femme aujourd’hui dans la quarantaine. 

À l’époque, personne ne parlait d’hyperphagie. «Je n’avais pas de référence pour me faire comprendre que j’avais un trouble alimentaire», regrette-t-elle.  

Pour guérir son trouble alimentaire, Fatima a mis une croix sur les régimes.  

«J’ai compris que pour aller mieux, pour arrêter d’avoir des épisodes où je mange trop, il fallait que j’arrête les diètes, que je reprenne contact avec ce que c’est de manger équilibré, de me nourrir pour mes besoins et d’arrêter d’avoir peur des calories», souligne-t-elle.   

Rêver d’un corps «parfait»

Christine a mis 20 ans à réaliser qu’elle souffrait d’hyperphagie. 

Adolescente, sa mère l’obligeait à suivre des régimes Weight Watchers, alors que ses frères pouvaient manger autant de sacs de chips qu’ils voulaient. 

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«Pendant plusieurs années, je me disais que si seulement je pouvais maigrir, tout serait parfait dans ma vie», poursuit la femme de 69 ans.

Au début de l’âge adulte, elle s’est mise à manger sans arrêt. «Je mangeais selon mes envies. Si quelqu’un mangeait, si c’était l’heure de manger, entre mes cours à l’université. Je ne savais pas c’était quoi, avoir faim», confie-t-elle.  

À l’âge de 30 ans, elle a consulté des spécialistes pour changer sa relation avec la nourriture. 

«J’ai été capable de voir le problème et de ne plus être en mesure de nier ce que je faisais, que ce n’était pas bon pour ma santé et que c’était complètement hors de contrôle», explique celle qui ne considère toujours pas être complètement guérie.  

Est-ce qu’on peut guérir son hyperphagie?

C’est tout à fait possible de se remettre de l’hyperphagie. C’est même le trouble du comportement alimentaire avec le meilleur pronostic de guérison, affirment deux expertes avec qui 24 heures a parlé.  

«Pour les gens qui vont complètement guérir de l’hyperphagie, la nourriture reprend une place saine dans leur tête», explique la psychologue Janick Coutu.  

Les personnes qui ont suivi beaucoup de régimes pour perdre du poids augmentent leurs risques de souffrir d’hyperphagie, ajoute la spécialiste. Un historique familial de troubles du comportement alimentaire ou d’autres dépendances comme l’alcoolisme, ainsi qu’une faible estime de soi et une difficulté à gérer ses émotions peuvent aussi accroître les risques de développer de l’hyperphagie.  

Des facteurs socioculturels comme le culte de la minceur et la grossophobie peuvent aussi peser dans la balance, précise Josée Lavigne d’ANEB. 

Pas juste les personnes grosses

Les personnes qui sont à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte sont les plus nombreuses à souffrir d’hyperphagie, soutient Josée Lavigne. Contrairement à plusieurs autres troubles alimentaires, l’hyperphagie affecte presque autant les hommes que les femmes.  

Les personnes grosses ne sont évidemment pas les seules à souffrir d’hyperphagie, insiste Janick Coutu. 

Dans certains cas, l’hyperphagie peut provoquer d'autres problèmes de santé comme le diabète, l’hypertension et certains cancers, mais aussi la dépression et l’anxiété, souligne la psychologue. 

*Les personnes qui ont témoigné dans cet article ont demandé l'anonymat.

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