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L'article provient de Le Journal de Québec
Société

Gymnastique Canada: frappée et dénigrée par son entraîneuse

Une ancienne gymnaste montréalaise raconte ses années difficiles au sein du programme canadien

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Photo portrait de Jessica Lapinski

Jessica Lapinski

3 avril 2022
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Alexandra Landry a disputé la dernière compétition de sa carrière aux Jeux olympiques de Londres, en 2012. Ce qui devait être le pinacle de sa jeune vie de gymnaste a plutôt été une libération, après des années marquées par des abus physiques et psychologiques qui la hantent encore aujourd’hui.  

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Landry est au nombre des 270 signataires de la lettre ouverte demandant à Sport Canada de mettre sur pied une enquête indépendante.  

Tous condamnent ce qu’ils qualifient de « culture toxique » et de « pratiques abusives » chez Gymnastique Canada. 

La Montréalaise d’origine avait 15 ans lorsqu’il lui a été exigé par une entraîneuse de ne manger que du melon d’eau et de ne boire que de l’eau durant la seule journée au cours de laquelle l’adolescente ne s’entraînait pas. « Et si j’avais encore faim, on me disait de me brosser les dents et d’aller me coucher. » 

Landry était une athlète d’élite, qui pratiquait 10 heures par jour. Mais son corps ne convenait pas aux standards de son entraîneuse.  

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« En gymnastique rythmique, c’est beaucoup axé sur ce à quoi on ressemble sur le tapis, explique Landry au Journal. Au moment où mon corps a commencé à changer, j’ai subi beaucoup de harcèlement psychologique par rapport à mon poids. » 

Alexandra en pleine action lors d’une compétition.
Alexandra en pleine action lors d’une compétition. Photo courtoisie

« J’ai fait ce qu’on me demandait, poursuit-elle. Je voulais tout faire pour perdre du poids. J’ai été sur une diète de 1000 calories par jour. » 

Quelque 13 années sont passées depuis. Les séquelles des propos dégradants, elles, n’ont jamais disparu.  

Frappée par son entraîneuse 

Après sa retraite sportive, à 18 ans, Landry a longtemps été malade. Elle souffrait de pierres à la vésicule biliaire, ce qui, selon elle, est un résultat direct des années où elle s’est privée de nourriture pour tenter de respecter les standards qui lui étaient imposés. Encore aujourd’hui, elle est traitée pour de l’anxiété.  

Les abus n’étaient pas uniquement psychologiques, énonce Landry. Elle explique qu’un jour, après avoir commis une erreur lors d’une compétition, une entraîneuse l’a frappée dans une salle, devant toutes ses coéquipières. 

La jeune athlète n’a rien dit. Les ex-gymnastes avec qui Le Journal a discuté dans les derniers jours l’affirment toutes : il existe dans le milieu une culture de l’omertà.  

« C’était un peu comme si on avait eu un lavage de cerveau, dit Landry. Quand on allait à d’autres endroits et que je voyais comment des entraîneurs [étaient] plus doux, plus à l’écoute, je n’en revenais pas. Je me disais que si nous on était rendus au top, c’est parce que notre coach avait des pratiques abusives. » 

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Les gymnastes à qui nous avons parlé dans les derniers jours ont demandé de ne pas nommer les entraîneurs qui ont eu les comportements aujourd’hui dénoncés. Elles ne souhaitent pas qu’une seule personne soit blâmée, mais veulent plutôt montrer l’inaction de la fédération sportive.  

  • Écoutez l'entrevue de Geneviève Pettersen avec Alexandra Landry sur QUB radio:

Peur de perdre sa place 

Landry avait 6 ans quand elle a commencé la gymnastique dans la région de Toronto, où sa famille a déménagé lorsqu’elle était très jeune. C’est devenu une passion, et rapidement, elle a gravi les échelons vers l’élite.  

Mais le rêve s’est vite transformé en cauchemar. « Mentalement, c’était très difficile. Je n’avais personne à qui en parler, sauf mes parents. Ils ont voulu régler la situation avec Gymnastique Canada, mais à l’entraînement, ça me retombait dessus. L’entraîneuse était encore plus fâchée contre moi », déplore-t-elle.  

« À un moment, j’ai eu peur de perdre ma place au sein de l’équipe. Alors j’ai commencé à garder ça pour moi, pour très longtemps. »  

De toute façon, estime Landry, il aurait été difficile de régler la situation avec sa fédération sportive. « Pour parler à Gymnastique Canada, je devais passer par ma coach. Mais je ne pouvais pas dire à une personne qui m’abusait que je voulais un changement. » 

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Une espagnole s’en mêle 

Elle explique que Gymnastique Canada a bien tenté d’agir, une fois, mais que ce fut trop peu. Il a été interdit à son entraîneuse de lui parler de son poids. Toutefois, dit l’ex-athlète, cette dernière a trouvé une façon de contourner la situation.  

« Une fois, ma coach est allée voir une entraîneuse de l’Espagne pour qu’elle me parle. Elle a mis une chaise dans une salle. Je me suis assise et elle m’a dit que c’était honteux pour le Canada d’avoir quelqu’un de gros comme moi. Que si je me blessais, c’était à cause de mon poids. Que c’était gênant et qu’à cause de moi, l’équipe allait perdre des points. » 

Il était clair pour Landry qu’elle prendrait sa retraite sportive après les Jeux de 2012. Elle a pensé abandonner avant, mais lorsqu’une qualification olympique est devenue possible, elle s’est accrochée à son rêve. La jeune femme travaille maintenant à Montréal, dans les ressources humaines. Un choix de carrière qui n’est pas étranger à ses années sportives difficiles, pointe-t-elle.  

Alexandra Landry (au fond) aux Jeux de Londres en 2012.
Alexandra Landry (au fond) aux Jeux de Londres en 2012. Photo courtoisie

Et même si elle est fière d’avoir été une olympienne, d’avoir représenté le Canada, elle garde surtout des souvenirs pénibles de ses années en gymnastique rythmique. Elle s’est d’ailleurs départie de la plupart des souvenirs liés à ses années d’athlète.  

« C’est triste à dire, mais quand je repense à ma carrière, ce qui me vient en tête, ce sont les moments difficiles que j’ai vécus, regrette-t-elle. Quand je repense à ça, je me dis que c’est incroyable ce à travers quoi je suis passée, juste pour me rendre aux Jeux olympiques. » 

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Ils veulent être consultés  

Les gymnastes qui ont signé la lettre ouverte destinée à Sport Canada déplorent de ne pas avoir été invités à la table ronde d’urgence mise en place par le gouvernement fédéral jeudi.  

Cette rencontre avait pour but de trouver, « au sein de la communauté sportive canadienne, des solutions durables et efficaces pour contrer les abus et mauvais traitements dans le milieu », explique la ministre des Sports, Pascale St-Onge. 

Une crise

Depuis le début de son mandat, il y a six mois, des groupements d’athlètes de huit fédérations financées par des fonds gouvernementaux sont sortis publiquement afin de dénoncer des cas de maltraitance ou de mauvaise gestion.  

Les gymnastes sont les derniers en lice. Lundi, 71 athlètes, ex-athlètes, parents et juges avaient signé la lettre ouverte dans laquelle il est question « d’abus, de négligence et de discrimination » de la part d’entraîneurs canadiens. Ils sont désormais plus de 270 signataires.  

« C’est une crise pour laquelle les solutions seront trouvées lorsque les voix qui appellent au changement seront invitées à la table, a commenté ce groupe de gymnastes vendredi. Aucun de nous n’a été invité à la rencontre. Nous attendons d’avoir la chance de parler de ces enjeux. »  

En entrevue au Journal, Mme St-Onge a reconnu que son ministère fait actuellement face à une crise. 

Elle dit que c’est pour cette raison qu’elle a réuni rapidement plusieurs intervenants, dont des représentants d’AthletesCAN, l’association des athlètes des équipes nationales canadiennes.

« Ce sont des discussions qui ont été amorcées avant mon arrivée en poste, a-t-elle pointé. Beaucoup de choses ont déjà été faites, mais c’est le moment de regarder comment on peut aller plus vite, plus loin et, surtout, transformer la culture canadienne du sport à tous les niveaux. » 

Organe indépendant

La ministre a annoncé cette semaine vouloir accélérer la mise en place du Centre de règlement des différends sportifs du Canada, un organe indépendant qui devrait pouvoir recevoir les plaintes d’athlètes d’ici l’été. 

Au nombre des dénonciations faites dans les derniers jours, certaines concernaient des entraîneurs qui, affirment des gymnastes, demeurent en poste au sein de la fédération. 

Ce sera au Centre de déterminer quelles sanctions seront prises, s’il y a lieu, a expliqué Mme St-Onge. 

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