Isabelle Boulay parle de sa vie entre la France et le Québec
Patrick Delisle-Crevier
Captée sur le vif quelques heures à peine avant qu’elle ne s’envole pour l’Hexagone afin d’y retrouver son fiancé, Éric Dupond-Moretti, Isabelle Boulay s’est posée un instant dans notre fauteuil coloré. Nous avons eu le plaisir de discuter de son nouvel album, Les chevaux du plaisir (Boulay chante Bashung), de sa prochaine tournée, de sa vie sur deux continents, de ses 30 années de carrière et de cette cinquantaine fraîchement arrivée.
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Isabelle, quoi de neuf depuis notre dernière rencontre?
Beaucoup de choses, mais la première qui me vient en tête, c’est que j’ai maintenant un chat. Il est arrivé dans ma vie durant la pandémie, alors que j’ai eu à faire plusieurs quarantaines de deux semaines parce que j’allais voir mon fiancé en France. Quand je revenais, je ne pouvais pas sortir de la maison, sauf pour m’asseoir sur une petite marche devant ma porte. Il est arrivé dans ma vie le jour de l’anniversaire de mon père, un 24 septembre. C’est comme si c’était un cadeau de sa part. Je l’ai baptisé Gérard Raymond. J’ai tenté de retrouver ses maîtres, en vain. Alors je l’ai adopté.
Et comment vas-tu, en ce début de printemps?
Je vais bien, puisque je passe mes journées à parler d’Alain Bashung! Ça me rend heureuse! Ça fait du bien de pouvoir reprendre le métier après une période d’accalmie durant la pandémie. J’ai fait partie des artistes chanceux qui ont pu faire quelques spectacles ici et là, mais j’avais aussi parfois l’impression de faire du sur-place et de tourner en rond. Alors j’ai commencé à écrire mon spectacle D’Amériques et de France et, peu à peu, cette idée d’un disque dans le cadre duquel j’allais reprendre les chansons de Bashung est née.
Que peux-tu nous dire à propos de cet album?
Je voulais faire ce disque et, en même temps, je ne savais pas trop comment faire un choix dans l’immense répertoire de Bashung. C’est Dumas, un fan inconditionnel du chanteur, qui m’a aidée à affiner mon choix. Je me trouvais chanceuse d’avoir un référent comme lui. Même mélodiquement parlant, c’était complexe pour moi. Alors, il m’a fait des maquettes guitare-voix, ce qui m’a permis d’y voir plus clair et de finalement me lancer dans ce projet. Je me souviens être tombée amoureuse de Bashung quand j’ai vu le clip Osez Joséphine. Je voulais un jour reprendre quelques-unes de ses chansons. Bashung, c’était un artiste de haute voltige.
Tu l’as déjà croisé brièvement, non?
Oui, dans les loges d’une émission de télévision en France. Je l’ai croisé dans un couloir très exigu. Je le voyais venir vers moi et je me demandais comment j’allais faire pour
ne pas le toucher. Je l’adorais et j’avais tellement de respect pour lui que je ne voulais pas l’accrocher! Je me suis poussée vers le mur. Il est passé comme un coup de vent, et moi, je suis restée complètement paralysée. Ma veste a frôlé la sienne, et j’ai toujours gardé cette veste depuis!
Disons-le: ça prend du courage pour reprendre l’œuvre de Bashung!
J’en ai, dans le sens que j’aime les projets audacieux! Et selon moi, c’est le projet le plus audacieux que j’ai fait. Je suis entrée là-dedans avec la plus grande des vulnérabilités et je n’avais vraiment aucune prétention.
C’était important pour toi d’avoir l’aval de la conjointe de Bashung?
Oui, très. Quand je suis entrée en studio, j’ai contacté Jean Fauque, le frère cosmique de Bashung. J’ai eu la chance qu’il m’écrive quelques chansons. Je l’ai appelé pour lui dire que j’allais essayer de reprendre des chansons de Bashung, et donc, de lui. Il m’a dit que c’était une très bonne nouvelle, parce qu’Alain et lui rêvaient qu’un jour une femme reprenne ces chansons. J’ai aussi envoyé les chansons à la veuve de Bashung. Elle m’a écrit un beau message avec la phrase: «Je sais qu’Alain aime.» Ça m’a touchée.
Après Serge Reggiani, voilà que tu reprends Bashung... Pourquoi reprendre les chansons des autres?
Je me dis: «Pourquoi pas?» Je m’intéresse aux propos des chansons d’Alain Bashung, qui vont très loin dans l’évocation des choses. Je peux comprendre que certaines personnes puissent avoir un a priori et j’ai hâte de voir comment mon album sera perçu en France par les grands fans de Bashung. Mais ça ne m’angoisse pas, parce que je sais que j’ai fait un bon boulot. Quand je reprends les chansons des autres, je suis impitoyable face au rendu. Je suis très lucide et je n’insiste pas quand ce n’est pas bon. Mais à mon sens, ce disque est réussi. J’ai trop de respect pour Alain Bashung pour proposer quelque chose que je n’aurais pas trouvé achevé. Je suis allée au-delà de moi-même. Je le dois beaucoup à Gus Van Go et aux musiciens qui ont travaillé sur cet album. Ç’a été un projet laborieux pour moi, et chaque chanson a été comme un Everest à monter. Mais je suis fière de cet album.
Ça fait plus de 30 ans que tu fais ce métier. Quel souvenir gardes-tu de tes débuts?
Je me souviens qu’en début de carrière, j’ai fait la bande sonore de la série qui portait sur Alys Robi. J’avais été choisie pour faire ça, et je me souviens que j’avais peur et que je ne savais pas si j’allais être capable de faire ce disque. J’étais si jeune, j’avais 19 ans, et pour moi, c’était une montagne. Finalement, ça s’était bien passé, et je suis fière de l’avoir fait.
Par la suite, tu as présenté ton premier album, Fallait pas, qui a reçu des critiques négatives. Comment as-tu pris ça?
Je me souviens que Sylvain Cormier avait assassiné mon premier disque et avait même terminé son texte par une phrase qui disait: «Pour tout le bien que je pense encore d’Isabelle Boulay, n’achetez pas ce disque.» J’étais hors de moi! J’avais trouvé cette critique vraiment difficile. Il remettait en question la qualité des chansons, et j’étais dévastée. Encore aujourd’hui, je chéris cet album. J’aimerais même reprendre ces chansons-là un jour. D’ailleurs, dans mon nouveau spectacle, j’ai mis Un peu d’innocence en version piano-voix. Les critiques, ça fait partie du métier, je les lis et j’en tiens compte, mais ma conviction fondamentale ne sera pas ébranlée par une mauvaise critique.
Avec le temps, quel regard jettes-tu sur tes albums?
J’aime encore chacun d’eux, ils représentent la Isabelle que j’étais à ce moment-là. Il y a quand même des chansons que j’aime aujourd’hui parce qu’elles sont rattachées à une époque, puis d’autres qui, avec le recul, sont un peu étrangères à moi. J’ai eu cette chance d’avoir un public présent, qui n’est pas nécessairement acquis, mais avec lequel j’ai un grand lien de confiance et qui s’intéresse encore à ce que je propose. Ce que j’aime de mon métier, c’est qu’un projet, ça me happe, ça me prend et ça me porte. En tant qu’interprète, je suis au service de l’œuvre.
Tu fais un album de chansons originales environ tous les cinq ans. Pourquoi si peu?
Comme interprète, avec l’exigence que j’ai, trouver le répertoire pour tout un disque, c’est un exercice de longue haleine. Il faut trouver les auteurs qui, eux, vont trouver les mots. À travers ça, il y a les tournées, il y a la vie...
Pourquoi n’écris-tu pas tes chansons?
Benjamin Biolay m’a justement dit dernièrement qu’il allait falloir que je fasse l’effort d’écrire des textes, car il m’en croit capable. C’est resté sur une tablette qui n’est pas du tout à la hauteur de mes yeux, parce que je ne suis pas prête. Mais peut-être que je me lancerai dans l’écriture de chansons un jour. Je pense que je serais aussi capable de réaliser mes disques, mais ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse pour le moment. Écrire me demande beaucoup d’investissement. Juste d’écrire un texte de remerciements pour accompagner le livret d’un album, ça m’épuise. Après une heure d’écriture, j’ai l’impression d’avoir vieilli d’un mois. Donc, si je le fais un jour, il faudra que je ne fasse que ça, sans avoir de vie quotidienne à gérer. Ce n’est pas exclu, mais pas nécessaire pour le moment. Je suis entourée de merveilleux auteurs.
As-tu la carrière que tu pensais avoir?
C’est beaucoup mieux que je ne le croyais. Je ne pensais jamais me rendre où je me suis rendue... Je ne suis pas celle qui a une ambition dévorante, mais je suis quelqu’un de très volontaire et de très obstiné. Quand j’embarque dans un projet, je deviens le meilleur soldat de la troupe. Dans une équipe de hockey, je serais le capitaine. J’aime être au front, prendre le vent de face et affronter les intempéries. Mais j’ai besoin d’être bien entourée.
Starmania, puis ton disque État d’amour, paru en 1998, t’ont propulsée au sommet de la gloire. Comment as-tu vécu cette soudaine popularité?
Très bien. Je n’ai jamais eu en moi les stigmates de la vedette. J’ai côtoyé des vedettes, et cet état-là, c’est presque une grâce divine. Ça ne s’explique pas, et je ne l’ai pas. Ces gens-là ont une lumière de plus, et ça vient avec une croix à porter. Johnny Hallyday était une vedette, Céline Dion en est une. Pour ma part, je pense que, naturellement, je me suis tenue dans des zones qui étaient acceptables pour moi. Je n’aimerais pas avoir une vie de superstar. Je dois pouvoir vivre librement sans créer de commotion partout où je passe. Je n’aimerais pas toujours vivre dans le regard des autres. J’ai le meilleur des deux mondes. J’aurais pu pousser, je sais ce qu’il faut faire pour accéder à ça, mais je ne l’ai jamais souhaité.
Tu as un côté anti-vedette assumé?
Peut-être, oui. Je ne suis pas celle qui court les premières et les tapis rouges. Je n’ai rien contre le fait de le vivre de temps en temps, mais pas trop souvent. Ce n’est pas du snobisme, c’est plutôt une mesure de protection. Les mondanités, ça prend de l’énergie. Or j’ai besoin de cette énergie-là pour pratiquer mon métier et pour être avant tout une maman pour mon fils.
Tu passes ta vie entre le Québec, où ton fils habite, et la France, où réside ton fiancé. Ce n’est pas étourdissant de vivre ainsi?
Mon rythme ressemble pas mal à deux semaines au Québec avec mon fils et deux semaines en France avec mon amoureux. Malgré le fait que c’est épuisant comme rythme de vie, à 50 ans, je suis encore capable de faire ça, même si, quand je mets la pile sur la charge, elle recharge moins vite que lorsque j’avais 20 ans. En même temps, tout ça est aussi un privilège, et j’ai la chance de vivre ma vie sur deux continents. Je n’ai pas eu une vie conventionnelle, j’ai toujours été celle qu’on attend, celle qui s’en va. Ça fait partie de qui je suis, c’est ma vie.
Il y a une croix à faire sur quelque chose en même temps, non?
Ce sont deux vies complètement différentes. Quand j’arrive à Paris, à cause de la fonction de mon conjoint qui est maintenant ministre de la Justice, c’est une autre vie, mais c’est sa vie, pas la mienne. Mon chum ne viendra pas m’attendre en coulisses chaque soir, car il a autre chose de mieux à faire. Et moi non plus, je ne vais pas l’attendre au ministère chaque soir. Chacun de nous accepte la réalité de l’autre. Quand on est là l’un pour l’autre, on est là à 100 %. Éric est l’un des rares hommes dans ma vie qui me fait à manger lorsque je reviens d’un spectacle. J’ai aussi insisté pour que notre vie commune ne soit pas au ministère et qu’on garde notre appartement parisien. Quand j’arrive à Paris, c’est là que nous vivons, et je lui rends parfois visite au ministère. Mais j’ai choisi de ne pas y vivre, simplement parce que ce n’est pas mon arène ni mon territoire. C’est une chose que je respecte, mais avec laquelle je ne me serais pas sentie à l’aise, parce que je suis quelqu’un de libre. Mon homme est dédié à l’État. Moi, je suis dédiée à mon fils et à mon métier. Nous comprenons la réalité l’un de l’autre.
Parle-moi de Marcus...
Il est ce que j’ai de plus beau et de plus précieux. Il est le cœur de ma vie. Il a déjà 14 ans et c’est un excellent musicien. Il a fait cinq ans de violon, et là, il est en arts visuels. En allant jouer à En direct de l’univers, il a repris goût à la musique et, depuis quelque temps, il renoue avec cette passion. J’espère qu’il va continuer... Il chante aussi très bien. Quand il était tout petit, il voulait faire La Voix Junior, mais je ne voulais pas.
Souhaitais-tu mener ainsi une carrière sur deux continents?
On dirait que tout m’a amenée vers ça. D’abord avec Starmania, et aussi par le fait de travailler avec des auteurs et des compositeurs français sur mes disques. J’ai toujours été attirée par la culture française et je l’ai toujours aimée. Quand je rentre au Québec, je suis contente d’être au Québec, et quand j’arrive en France, je suis aussi contente d’être là.
50 ans, qu’est-ce que ça représente pour toi?
C’est le début du reste de ma vie, c’est l’âge de la désobéissance et de la désinvolture. Je dis ça en riant, mais il y a quelque chose de vrai. Je suis arrivée à 50 ans en me disant que je ne me refuserai plus rien, peu importe ce que les gens en diront ou en penseront.
Et comment vois-tu la cinquantaine?
J’ai envie de me rapprocher des gens que je chéris.Je suis toujours sur la route, et ils m’aiment quand même. C’est ce qui est beau de ma famille. Mais j’ai envie de les voir plus. Je souhaite aussi bien vieillir. Je veux me donner tous les éléments pour rester vivante et avoir la jeunesse éternelle à l’intérieur de moi. Je souhaite de toujours avoir envie de créer, d’oser et d’aller encore plus loin.
Avec l’âge, est-ce plus difficile pour toi d’exercer un contrôle sur ton image?
Vieillir, c’est certain que ça amène des petites désolations. Je résiste toutefois à l’idée d’avoir recours à des injections ou à des chirurgies pour ralentir le vieillissement. Je ne l’exclus pas, mais je n’ai pas envie de le faire pour le moment. N’en reste pas moins que c’est un privilège de vieillir.
Te vois-tu encore chanter dans 20 ans?
Quand je sentirai que j’ai envie d’arrêter, je vais arrêter. J’ai appuyé un peu sur pause pendant la pandémie, et ç’a été salutaire pour moi, du moins au début. Mais la dernière année de confinement a été trop difficile. Quand on est un artiste, on a envie d’être sur scène. Puis, chanter est pour moi la plus belle des sorties de secours. Ça me donne le loisir d’échapper à la vie, de triompher des épreuves. Parfois, je traverse des moments difficiles et chanter me remet en selle.
Qu’est-ce qu’il te reste à accomplir?
J’aimerais faire un album avec L’Orchestre symphonique de Buenos Aires. Je souhaite aussi faire un album avec T-Bone Burnett, mais la pandémie a retardé ce projet. J’aimerais peut-être toucher au cinéma. Si Xavier Dolan me demandait de jouer dans un de ses films, je dirais oui. Comme je dirais oui à Marc Labrèche s’il me demandait de jouer dans l’un de ses sketchs. Tout dépend de la proposition. J’aimerais aussi faire de la radio. J’aime la radio, elle est toujours allumée chez moi. Mais avant de faire tout ça, j’ai une belle tournée qui s’en vient. J’ai un arrêt aux Francos en juin, puis il y aura aussi la tournée européenne.
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