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Initiation, humiliation et violence: 3 ex-joueurs de hockey racontent leur histoire

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Photo portrait de Léa  Martin

Léa Martin

2023-02-24T22:35:48Z
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Intimidation, humiliation, machisme et agressions: ils ne l'ont pas tous vécu, mais ils en ont tous entendu parler. Alors que le monde du hockey est sur la sellette depuis des mois, on a jasé avec d’anciens joueurs et joueuses qui nous expliquent comment ça se passe de l’intérieur.

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Après les scandales de nature sexuelle, d’anciens hockeyeurs juniors ont témoigné, dans une demande de recours collectif déposée à la Cour supérieure de l’Ontario, d’horreurs qu’ils ont vécues lors de leurs initiations, a rapporté Radio-Canada à la mi-février. On parle de violences sexuelles, verbales et physiques, de discrimination et d’homophobie, entre autres.

Si le juge a rejeté la demande pour des technicalités, il a spécifié qu’il croit néanmoins la preuve et les témoignages qui ont été soumis.

Comme l’un des plaignants à l’origine du recours collectif était joueur dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ), le gouvernement du Québec a mis sur pied une commission parlementaire pour lever le voile sur la culture du hockey dans la province et trouver des solutions pour éviter que de telles horreurs se reproduisent.

Gilles Courteau
Gilles Courteau CAPTURE D'ÉCRAN TVA NOUVELLES/A

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Durant les audiences de la commission, le commissaire de la LHJMQ, Gilles Courteau, a d’ailleurs reconnu qu’il existe dans son sport «une culture qui peut être nocive». 

Un groupe cloisonné

«Quand tu lis les choses qui sont sorties, tu ne peux pas être surpris. Tu peux être dégoûté, tout le monde l’était, je pense, mais les gens à l’interne ne peuvent pas être surpris», explique Olivier*, qui a jouté au hockey dans la région de Montréal pendant une quinzaine d’années. 

Pour les hockeyeurs, les comportements comme ceux décrits dans la demande de recours collectif ne sont pas si surprenants. 

«Je réalise qu’il y a un clash entre n’importe qui qui l’a vécu de l’intérieur et des gens qui entendent des histoires comme ça pour la première fois», dit Olivier. Il dit, toutefois, ne pas avoir subi d’actes de dégradation de la sorte. 

Photo d'archives, AFP
Photo d'archives, AFP

C’est ce que ressent aussi Dominique qui a joué et coaché durant de nombreuses années avec des garçons et des filles. «C’est comme s’ils [les joueurs de hockey] n’étaient pas capables de voir l’évolution de la société», déplore-t-elle. 

Dominique a été la seule fille dans son programme de sport-études pendant plusieurs années. Elle se souvient d’un trajet en bus, en première secondaire, durant lequel les garçons ont sorti leur pénis pour les montrer à tout le monde. 

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«Il n’y avait pas de violence comme telle, mais tu voyais que les comportements [toxiques] s’installaient», indique-t-elle. 

Une hypersexualisation

Quelques années plus tard, en coachant une équipe de filles de 15 à 18 ans, Dominique se trouve face à une situation qui, encore aujourd’hui, la fait «shaker» lorsqu’elle en parle. 

Ses joueuses s’agitaient autour d’un téléphone dans le vestiaire, car l’une d’elles se faisait humilier sur les réseaux sociaux pour avoir eu des relations sexuelles avec deux joueurs d’une autre équipe. «C’était un pig roast», lui dit la joueuse concernée en riant. 

Cette position sexuelle, qui implique trois partenaires, était sur la liste d’initiation des deux joueurs au niveau junior. «C’était sa première [relation sexuelle]», se rappelle la coach, encore sous le choc. Elle ne pouvait pas concevoir que ce genre de chose se trouvait encore sur les listes d’initiation. 

La joueuse ne semblait pas réaliser l’ampleur de la situation, observe Dominique.

Malheureusement, cette histoire ne serait pas un cas isolé, regrette-t-elle. 

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Tout pour faire partie du groupe

«Ces rites reflètent un monde basé sur la hiérarchie sociale et, à cause de ça, les techniques utilisées sont très coercitives», explique la professeure à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, Linda S. Pagani. 

«Si on proteste ou l’on se manifeste, c’est possible que l’on soit mis sur les gradins pendant de longues périodes.»

D’une certaine façon, les comportements dégradants et les initiations peuvent contribuer à renforcer le sentiment de solidarité et assurer une loyauté dans le groupe. Si on a fait tout ça ensemble, on doit se tenir jusqu’au bout, précise la professeure. 

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Selon Linda S. Pagani, ces traditions perdurent, car les anciens se disent que s’ils ont dû passer par là, les autres aussi doivent le faire.

C'est pourquoi les institutions doivent prendre leurs responsabilités et faire de la prévention auprès des jeunes hockeyeurs, croit Dominique. 

«Le fait qu’ils [la LHJMQ] se protègent, ça fait mal», dit-elle. 

«Si leur but est de faire de meilleurs joueurs de hockey, leur but devrait aussi de faire les meilleurs êtres humains, insiste-t-elle. Ils mettent leur cash là-dedans. Pourquoi ne mettent-ils pas cet argent aussi dans un meilleur avenir pour ces gars-là?» 

Selon elle, la prévention peut venir d’organismes, de travailleurs sociaux, de psychologues, mais aussi de la part de joueurs plus vieux. Des modèles qui ont vécu des histoires répréhensibles et qui seraient prêts à témoigner pour que ça ne se reproduise plus. 

Pas juste les initiations, la violence aussi

Pour bien des jeunes, le monde du hockey rime aussi souvent avec violence, dénonce Olivier. 

«La première fois que j’ai été exposé à [de la violence verbale], j’avais 7 ans», raconte l’homme de 30 ans. Il s’était retrouvé face à un autre coach que le sien qui hurlait et sacrait sur les enfants pour qu’ils jouent mieux. 

N’ayant pas grandi dans un tel environnement, il était sous le choc. Mais avec le temps, les hurlements et les injures des coachs ou des parents dans les estrades sont devenus la normalité. «Il y a une sorte de désensibilisation qui se produit», précise-t-il. 

Pour Julien, qui a joué jusqu’à l’âge de 17 ans à Pointe-aux-Trembles, le hockey a été une belle façon de pouvoir extérioriser certaines émotions négatives. Surtout dans un climat social où l’on apprend peu aux jeunes hommes à vivre leurs émotions. 

«J’adorais mon coach au secondaire et c’est vraiment une belle personne, mais avec le recul, c’était quand même un bon macho. Il fallait que tu en donnes plus, que tu sois plus fort, que tu sois un homme», raconte-t-il. 

Dans l’ensemble, son expérience a été saine et il en garde de très bons souvenirs. Il reconnaît cependant que le milieu a besoin d’une certaine introspection.

*Cette personne a requis l’anonymat pour témoigner de son expérience

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