Plus de 2000 rencontres avec le lobby du pétrole: le gouvernement Trudeau est-il si vert que ça?
Élizabeth Ménard et Charles Mathieu
Le gouvernement de Justin Trudeau, qui se targue d’être un champion de l’action climatique, accorde un accès privilégié à l’industrie polluante des combustibles fossiles, alors que les organisations environnementales peinent à obtenir des rencontres avec les ministères clés.
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En 2022 et 2023*, les représentants de quatre ministères clés ont rencontré près de trois fois plus souvent les lobbyistes de l'industrie des combustibles fossiles (pétrole, gaz et charbon) que ceux des organisations environnementales.
Finances Canada, le Bureau du Premier ministre, le Bureau du Conseil privé et le Secrétariat du Conseil du trésor ont eu 873 rencontres avec des lobbyistes de l’industrie fossile durant cette période, et seulement 303 avec ceux d’organisations environnementales. Ces informations ont été obtenues grâce à une compilation des données du Registre des lobbyistes effectuée par 24 heures et le Bureau d’enquête.
«Avoir accès à ces quatre-là, c’est l’équivalent de dire qu’on a accès au cœur du pouvoir dans notre système politique», explique le chercheur affilié au Centre d'études en gouvernance de l'Université d'Ottawa Maxime Boucher, membre fondateur du projet de recherche Lobbying et gouvernance démocratique au Canada.
Finances Canada «aux abonnés absents»
De leur côté, les organisations environnementales ont en majorité rencontré des représentants d’Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), des députés et des sénateurs.
La tâche est particulièrement ardue avec Finances Canada et sa ministre Chrystia Freeland, qui est également vice-première ministre, affirment l'organisation militante Environmental Defence et le Réseau Action Climat (CAN-Rac).
«Ce ministère-là est aux abonnés absents», laisse tomber la directrice de CAN-Rac, Caroline Brouillette, en soulignant que c’est plutôt un ministère qui a beaucoup de pouvoir pour lutter contre la crise climatique.
Au cours des deux dernières années, Mme Freeland a personnellement eu sept rencontres avec des organisations environnementales comparativeent à 30 avec l'industrie fossile, soit plus de quatre fois plus.
«C’est extrêmement difficile avec Mme Freeland et son ministère, confirme le gestionnaire de projet chez Environmental Defence, Aly Hyder Ali. Spécialement pour les dossiers climatiques», dit-il.
Les organismes environnementaux à qui nous avons parlé déplorent aussi ne pas se battre à armes égales avec l’industrie pétrolière.
«Elle a bien plus de ressources à dédier au lobbying et d’accès pour rencontrer des représentants du gouvernement», affirme M. Hyder Ali.
Faire contrepoids
«[Les décideurs] ne peuvent pas se contenter d’entendre une seule version de l’histoire, la version qui, trop souvent, est celle des pollueurs et de l’industrie. En prenant l’information d’un seul côté, ultimement, ça influence le résultat final des politiques qui sont implémentées», fait-il valoir.
Qu’est-ce qui se dit lors de ces rencontres? On ne le sait pas, puisque le Registre est peu détaillé. Les lobbyistes ont pour seule obligation de dévoiler les thématiques abordées, comme le climat, l'environnement, la finance, etc. On ignore aussi le nombre de tentatives de sollicitation infructueuses.
Par courriel, l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP) a fait valoir qu’elle travaille «en collaboration» avec le gouvernement sur plusieurs questions, notamment «la prospérité économique pour tous les Canadiens et la nécessité de s’attaquer au changement climatique».
L’Association minière canadienne, de son côté, préfère insister sur ses bons coups, même si plusieurs de ses membres exploitent des mines de charbon ou des gisements de sables bitumineux.
«Plusieurs de nos membres sont en fait des producteurs clés de minéraux et de métaux qui sont essentiels à la transition vers une économie à faibles émissions de carbone pour lutter contre le changement climatique. Ils produisent les matériaux nécessaires à la fabrication de véhicules électriques, d'éoliennes, de panneaux solaires, et bien plus encore», a fait valoir son porte-parole, Pierre Hébert.
Le Bureau du Conseil privé fait valoir que ses fonctionnaires s’efforcent de rencontrer autant de groupes que le permet leur emploi du temps et qu’il tient compte de tous les avis et conseils pertinents lorsqu’il modifie ses politiques et ses programmes.
Le Bureau du Premier ministre, Finances Canada et Environnement et Changement climatique Canada n’ont pas donné suite à notre demande d’entrevue.
Nom | Nombre de rencontres |
---|---|
Environmental Defence | 345 |
Fondation David Suzuki | 258 |
Institut International du Developpement Durable | 184 |
Ecojustice Canada | 143 |
PEMBINA institute | 129 |
Nom | Nombre de rencontres |
---|---|
Association Canadienne des Producteurs Pétroliers | 235 |
Association minière du Canada | 203 |
Cenovus Energy Inc. | 166 |
Alliance Nouvelles voies | 159 |
TransCanada PipeLines Limited | 151 |