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Immigration: comparer l'Italie et le Québec, vraiment?

Un bateau de migrants secourus en mer arrive en Italie.
Un bateau de migrants secourus en mer arrive en Italie. Photo AFP / Montage Marilyne Houde
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Anne-Lovely Etienne

2022-09-28T13:37:14Z
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BILLET - Admettre davantage d’immigrants au Québec: oui ou non? La question revient beaucoup durant cette campagne électorale, et ce qui retient particulièrement mon attention, c’est le discours qui associe l’immigration à une détérioration de l’harmonie sociale.

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Il y a d’abord eu le premier ministre sortant François Legault, qui a fait un amalgame entre violence et immigration. Le ministre sortant de l'Immigration Jean Boulet qui affirme (à tort) que 80% des immigrants «ne travaillent pas, ne parlent pas français, ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise». Puis, plus tôt cette semaine, un populaire chroniqueur qui a avancé que l’extrême droite avait été élue en Italie en raison d’une immigration massive mal contrôlée, ouvrant la porte à une comparaison avec ce qui se passe au Québec. 

Les deux situations me semblent pourtant bien différentes. Les partis politiques québécois discutent actuellement du nombre d’immigrants que le Québec est capable d’accepter de façon harmonieuse. Le nombre diffère selon le parti, mais dans tous les cas, il y a des critères de sélection, et il est entendu que l’immigration aiderait à combler des postes vacants en raison de la pénurie de main-d’œuvre. 

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De l’autre côté de l’Atlantique, en Italie, on observe un nombre important de migrants clandestins qui arrivent de façon désorganisée dans un pays déjà aux prises avec des problèmes comme un haut taux de chômage chez les jeunes. Oui, la montée de l’extrême droite y est préoccupante, mais une comparaison avec le Québec ne me semble pas juste.  

Des migrants attendent de pouvoir monter à bord d'un traversier, dans le sud de l'Italie.
Des migrants attendent de pouvoir monter à bord d'un traversier, dans le sud de l'Italie. AFP

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Pour y voir plus clair, j’ai fait appel à Rachida Azdouz, qui a écrit le livre Le vivre ensemble n’est pas un rince-bouche. Elle est psychologue spécialisée en relations interculturelles à l'Université de Montréal et formatrice en gestion des conflits de valeurs et de droits.

*

Le premier ministre sortant François Legault a déjà fait le rapprochement entre la violence et l’immigration. Croyez-vous qu’il y ait une corrélation à faire entre la cohésion sociale et le nombre d’immigrants accueillis?

Pas vraiment. Une immigration massive bien planifiée, bien accueillie, bien informée, bien formée, peut très bien s'insérer dans le tissu social. Je ferais plutôt la corrélation entre les politiques d’intégration et la cohésion sociale.

Plus ces politiques et mesures d’intégration sont efficaces, plus on réduit les risques de repli sur soi de part et d’autre : on prévient le repli identitaire chez les nouveaux arrivants (une réaction à l’exclusion) et le repli identitaire dans la société d’accueil qui perçoit ces immigrants repliés sur eux comme une menace ou un fardeau.

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Peut-on vraiment comparer la situation de l’immigration en Italie à la situation de l’immigration au Québec?

L’Italie est aux portes de l’Afrique, tout comme l’Espagne. Elle doit composer avec l’immigration clandestine, des personnes qui essaient de rejoindre l’Europe en utilisant des passeurs et des embarcations de fortune. Certains se perdent dans la nature, versent dans la criminalité. D'autres parviennent à s'intégrer et à régulariser leur statut, soit en trouvant un emploi soit en se mariant avec une personne de citoyenneté italienne.

AFP
AFP

Ce n'est pas comparable avec le Québec. Il y a bien entendu les demandeurs d’asile qui ont emprunté le chemin Roxham pour entrer au Québec, mais cette catégorie n’a rien à voir avec l’immigration sélectionnée et n’est pas visée par les seuils d’immigration.

Une autre question me brûle les lèvres : selon votre expertise, apprendre la langue française en 6 mois est-il envisageable?

Tout dépend de la langue d'origine, sa proximité avec les langues latines. C'est plus facile pour une personne originaire d'Amérique latine que pour une personne qui vient de la Chine! Tout dépend aussi du niveau de maîtrise de la langue dont la personne a besoin pour intégrer le marché de l’emploi. 

Pour avoir une connaissance à peine fonctionnelle, occuper un emploi alimentaire ou un métier très technique, c'est suffisant, mais pour travailler dans un bureau, enseigner, devenir fonctionnaire, six mois ne permettent pas de développer des compétences suffisantes, surtout à l'écrit.

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Même si on a besoin de l’immigration pour combler des postes et aider à régler la pénurie de main-d’œuvre, M. Legault insiste à établir le seuil d’immigration annuel à 50 000. Qu’en pensez-vous?

Depuis près de 30 ans, on associe les seuils d'immigration aux besoins du marché de l’emploi. En 1994 déjà, le ministère de l’Immigration a adopté une grille de sélection favorisant les candidats jeunes, francophones et scolarisés, donc capables de combler des besoins en main-d'œuvre. On connaît la suite... des ingénieurs et des médecins reconvertis en chauffeurs de taxi. 

Aujourd'hui, le gouvernement change son fusil d'épaule et adopte une approche utilitariste, et plus grave encore, court-termiste. Il faudrait quantifier et qualifier cette pénurie de main d’œuvre...

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Quelle est la politique cruciale à adopter en matière d’immigration pour une meilleure intégration des nouveaux immigrants?

Une vraie politique d'intégration, ce sont des mesures concrètes pour agir sur tous les fronts : la planification, l'accueil, l'emploi, la formation, la participation citoyenne, le sentiment d'appartenance, la prévention des replis et surtout la création d'espaces de dialogue, de médiation citoyenne et de gestion des conflits interculturels. Ces espaces font cruellement défaut... Il faut des espaces de prise de parole libre mais encadrée, pour anticiper, diagnostiquer et traiter les problèmes, les désaccords, les peurs, les discriminations, les inquiétudes légitimes de part et d'autre et les conflits de valeurs.

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