Les personnes handicapées, les grands oubliés de la guerre aux pailles en plastique
Andrea Lubeck
- Certaines personnes en situation de handicap utilisent quotidiennement les pailles en plastique pour boire, manger et même prendre des médicaments.
- Les options en métal, en bambou ou en verre posent de nombreux risques pour la santé.
- Plutôt que de donner des pailles de facto, les restaurants devraient demander à tous leurs clients s’ils en ont besoin, croit Laurent Morissette, de l’organisme RAPLIQ.
On se souvient tous des photos de tortues avec des pailles coincées dans le nez qui ont soulevé les passions il y a quelques années. Ces images fortes ont fait naître une véritable guerre contre les pailles, si bien que de nombreux commerçants — des géants de la restauration, même — ne les distribuent plus. Si le geste est noble, il oublie un grand nombre de citoyens qui en dépendent: les personnes en situation de handicap.
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Le sort des pailles continue de faire les manchettes. McDonald’s a récemment annoncé que les pailles en plastique de ses 1400 succursales canadiennes seront remplacées par des pailles en papier d’ici la fin de l’année. Montréal a pour sa part adopté un règlement pour bannir les plastiques à usage unique, tout comme Sherbrooke, qui vient tout juste d’emboîter le pas avec un règlement similaire.
Ce qui ramène un problème à l’avant-plan: de nombreuses personnes les utilisent toujours, et pas par caprice.
C’est le cas de Richard Guilmette, qui les utilise quotidiennement pour s’abreuver, manger et prendre des médicaments. Pour celui qui souffre d’amyotrophie spinale de type II, une forme sévère de maladie neuromusculaire, les pailles en plastique remplissent bien cette mission.
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«Pour moi, si les pailles en plastique n’existent plus demain matin, ça me pose une difficulté réelle», explique celui qui est porte-parole et fondateur du Mouvement Citoyen Handicap-Québec.
Source d’angoisse
«Pour les personnes en situation de handicap, les enjeux sont nombreux et plus grands que celui [du bannissement] des pailles. Cependant, il crée de l’anxiété pour moi et pour toutes les autres personnes qui ne peuvent pas utiliser leurs bras. Des tétraplégiques, il y en a des milliers au Québec, c’est donc le genre de chose qui suscite de l’angoisse», ajoute-t-il.
L’angoisse est telle que Richard Guilmette a commencé à faire des réserves de plusieurs centaines de boîtes de pailles. Mais ultimement, ces réserves s’épuiseront avant qu’une solution convenable soit trouvée.
«[L’interdiction] donne bonne conscience au gouvernement, mais est-ce que les alternatives sont viables pour les personnes qui dépendent de ces items-là?», questionne Laurent Morissette, trésorier de l’organisme RAPLIQ, qui vise à défendre les droits et les intérêts des personnes en situation de handicap.
Les personnes en situation de handicap se sentent une fois de plus oubliées dans ce débat, comme de tous les autres. «Il est très rare que l’on parle des personnes handicapées dans la politique québécoise», déplore Richard Guilmette.
Les autres solutions posent des risques
À l’instar des personnes non handicapées, les personnes en situation de handicap se plaignent du fait que les pailles en papier ramollissent rapidement. Et les autres options – comme les pailles en métal, en bambou ou en plastique rigide – ne sont guère meilleures. Ces dernières peuvent même représenter un danger.
L’organisme américain Center for Disability Rights a dressé une liste de risques que courent les personnes en situation de handicap si elles devaient utiliser des pailles en métal, en bambou, en verre, en acrylique ou faites à base de pâte alimentaire. Ceux-ci vont de la possibilité d’étouffement à des risques d’allergies, ou même à un mauvais nettoyage.
«Une personne qui a des spasmes peut mordre de façon involontaire la paille. Si elle est en métal, la personne risque de se casser les dents! Et pour les liquides chauds, le métal n’est pas non plus idéal parce que c’est un grand conducteur de chaleur», illustre Laurent Morissette.
En revanche, le plastique se plie à la bouche de la personne, n’oppose pas de résistance et limite les risques de blessures. Malgré son poids environnemental, «c’est encore ce qui est préférable» pour les personnes en situation de handicap.
Ajout de complexité
Et c’est sans compter la gestion et les coûts qu’engendre l’utilisation de pailles réutilisables.
«Ç’a l’air ridicule comme ça, mais c’est beaucoup de gestion. Imaginez: en plus de toute la gestion autour d’une personne handicapée, soit de la lever, de lui donner son bain, de lui donner tous ses soins, on devra en plus ajouter à ça le nettoyage des pailles? Ça ajoute une couche de complexité parce qu’on doit engager des gens pour les nettoyer, ces pailles-là», illustre Richard Guilmette, qui estime devoir utiliser une vingtaine de pailles chaque jour.
Offrir l’option
Laurent Morissette suggère que les commerçants offrent l’option d’utiliser ou non une paille. Et pas le proposer uniquement aux personnes en situation de handicap, d’une part pour éviter la discrimination, mais aussi parce que plusieurs handicaps ne sont pas nécessairement visibles.
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«Le problème réside dans le fait que plusieurs commerçants ont encore le réflexe de donner une paille de facto, explique-t-il. Demander à chaque client s’il veut une paille résout ce problème. Si le client n’en a pas besoin et a moindrement une conscience environnementale, il va la refuser. Et le demander à chaque personne, pas seulement à celle avec un handicap, ça favorise l’inclusion, en plus.»