Des créateurs de podcasts true crime indépendants expliquent comment ils se sont lancés dans l'aventure
Gabriel Ouimet
Malgré les nombreux contenus true crime développés par des grandes boîtes de productions au Québec dans les dernières années, un nombre grandissant d’amateurs passionnés décident d’investir énormément de temps pour produire eux-mêmes des contenus de qualités, parfois avec les moyens du bord. Voici l’histoire de trois d’entre eux.
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Emile Gauthier et Sébastien Lévesque - Distorsion
Si vous êtes fans de balado true crime, il y a de fortes chances que vous connaissiez Distorsion, la création d’Emile Gauthier et de Sebastien Lévesque , qui nous plonge dans les abysses du crime et des enquêtes sur le web via des histoires comme celle de la mort de Gabby Petito ou encore celle du meurtre de la star d’Instagram Bianca Devins.
Après sept saisons, deux livres, une série télévisée et des millions de téléchargements dans la francophonie mondiale, les professionnels en communication et en marketing numérique sont bien établis dans le monde du balado true crime.
Leur succès n’est pas venu par hasard. Bien qu’ils aient commencé humblement dans leur sous-sol, le duo pouvait compter sur l’expérience d’Emile en montage audio pour établir une signature sonore distincte.
«Pour nous, c’était vraiment important de ne pas sonner comme deux gars dans leur sous-sol, même si c’est ce qu’on était», dit Emile en riant. Le concept y est aussi pour quelque chose : Distorsion est en plein dans l’air du temps, puisque les histoires de crimes sur le web sont légion et elles fascinent.
Inspirés par le succès du balado, les amis décident en 2019 d’en faire un livre, Distorsion : 13 histoires étranges de l’ère numérique, publié aux Éditions de l’Homme, en plus d’une série télévisée, Distorsion, diffusée sur les ondes de MOI&CIE.
«C’est à ce moment-là qu’on s’est aperçu que ça pouvait plaire au grand public aussi», mentionne Emile.
Malgré cela, il aura fallu du temps pour que leurs investissements rapportent financièrement.
«C’est seulement à partir de la 6e saison que nous avons commencé à ne plus le faire à perte. Même aujourd’hui, on ne vit pas du balado, nous avons encore nos deux emplois à temps plein», poursuit le podcasteur.
Emile n’hésite cependant pas un instant à conseiller à quiconque voudrait le faire de se lancer dans l’aventure.
«C’est difficile de gagner sa vie avec ça au Québec. Au départ, il faut le faire par passion. Mais si vous aimez ça, que vous ayez de l’équipement professionnel ou pas, que votre son soit bon ou pas, croyez en votre idée et lancez-vous !»
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Annie Laurin et Michèle Ouellette – Captives
Demi-sœurs, grandes amies et passionnées d’histoires de disparition et d’enquêtes, Annie Laurin, 39 ans et Michèle Ouellette, 40 ans, se sont lancées à pieds joints dans la production de Captives à l’été 2020.
Chaque épisode se divise en deux parties : une histoire de disparition non résolue, comme celle de Julie Surprenant, et une enquête close, comme celle de l’attentat du Métropolis.
«Pour nous, c’est à mi-chemin entre un travail et un passe-temps. On a des échéances et on doit arriver prêtes en studio. La recherche, c’est comme faire un gros travail d’université chaque soir. On le fait avec rigueur», explique Annie Laurin.
Animées par la passion qui les habite et aidées du conjoint de Michèle, Vincent Blain, qui est propriétaire d’un studio d’enregistrement, les Montréalaises ambitionnent immédiatement d’en faire un produit professionnel, malgré leur manque d’expérience.
Pourquoi ? «Parce qu’on veut être fières de ce qu’on fait», répond simplement Annie Laurin.
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Elle mentionne que cette ambition vient avec son lot de sacrifices : chaque épisode a pris environ 20 heures de travail par personne, échelonnées sur une période de six semaines, qui se terminait avec une journée complète d’enregistrement en studio la fin de semaine.
Un énorme investissement pour les deux mères de famille qui occupent aussi des postes d’administration à temps plein. Ce n’est cependant rien pour les arrêter, puisque les amies reprendront bientôt l’enregistrement de leur deuxième saison.
Ambitionnent-elles un jour d’en tirer profit ?
«Ça nous coûte entre 350 et 450 $ pour produire un épisode, donc c’est certain qu’on aimerait un jour arriver à couvrir ces frais. Cependant, on ne veut pas commencer à faire de la pub de shampooing sur le dos des victimes pour faire de l’argent», répond Annie Laurin, en faisant référence aux partenariats commandités que font parfois les podcasters.
Pour l’instant, ce sont surtout les bons commentaires et l’accueil de la communauté du balado qui les nourrit, dit l’animatrice.
«Notre paye, c’est que des gens de France, de Belgique et même de l’île de la Réunion nous parlent de Captives. On est même sur des palmarès et les gros noms d’ici nous écrivent pour nous féliciter. C’est génial !», se réjouit-elle.
Marie-Pierre Longpré – Histoires sordides
Marie-Pierre Longpré, c’est la preuve que dans le monde du balado true crime, quand on veut, on peut.
Armée simplement de son ordinateur, d’une vieille version du logiciel Garage Band et d’une paire d’écouteurs de téléphone avec micro intégré, la mère de deux jeunes enfants - qui travaille aussi à temps plein pour l'agence d’artistes St-Laurent Roger - a profité du temps libre que lui a accordé la pandémie pour assouvir un désir de justice qui la suit depuis qu’elle est toute jeune et qu’elle s’intéresse aux histoires criminelles.
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«Je trouve ça complètement fou que des criminels qui ont commis des actes aussi affreux courent toujours. C’est important de faire connaître l’histoire des victimes, surtout pour leur famille. C’est insensé que ces gens n’aient pas de réponse à leurs questions et que leur histoire finisse dans l’oubli», s’indigne-t-elle.
Depuis sa cuisine, la Longueuilloise de 31 ans s’est donc lancée dans la production d’Histoires sordides, un balado en six épisodes dans lequel elle raconte de façon simple et rapide des histoires non résolues qui ont marqué l’imaginaire québécois, comme le meurtre sauvage de Jenique Dalcourt, tuée sur une piste cyclable du Vieux-Longueuil en 2014.
Malgré le désir de justice qui l’habite, elle précise que le but du balado n’est pas de participer à l’enquête, mais simplement de créer des discussions autour des histoires qu’elle choisit.
Le projet n’est pas de tout repos : entre l’écriture, la recherche et la production, chaque épisode lui prend environ 25 heures de travail. Parfois beaucoup plus.
Quand on lui demande si elle envisage un jour d’en faire carrière, sa réponse est sans équivoque : non.
«Pour moi, c’est vraiment un passe-temps. Je veux pouvoir faire ça à mon rythme, sans pression. Ma plus grosse paye, c’est vraiment que les gens s’intéressent aux histoires et me partagent leurs commentaires. Si en plus les discussions pouvaient faire aboutir une enquête, ça serait vraiment génial», conclut-elle.
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