Il faut prendre les camionneurs au sérieux
Mathieu Bock-Côté
Rares sont ceux qui ont d’abord pris au sérieux le mouvement des camionneurs en route vers Ottawa. On y voyait une collection d’excités et de farfelus ne méritant même pas qu’on en parle, sauf pour en rire.
Et là, d’un coup, le commentariat qui se gaussait commence à paniquer.
Trumpiste ?
Ce convoi ne serait-il pas l’expression d’un trumpisme canadien ? Le mot est lancé.
Le terme est vrai et faux.
Vrai, car la sociologie de cette rébellion populaire correspond assurément à celle d’une partie de l’électorat trumpiste. Il existe une telle chose qu’un populisme libertarien en Amérique du Nord, et le mouvement des camionneurs n’y est certainement pas étranger.
Faux, car « trumpiste » est une étiquette qu’on lance désormais pour discréditer tout et n’importe quoi.
Nul besoin d’être d’accord avec ce mouvement pour chercher à comprendre ce qu’il exprime au-delà de ses slogans et même de ses revendications.
À travers lui se canalise une bonne partie de l’exaspération d’une partie de la population contre les mesures sanitaires qui étouffent la vie sociale.
Faut-il rappeler que le mouvement des camionneurs attire la sympathie d’une partie de la population ?
Naturellement, tout mouvement populaire attire des radicaux qui cherchent à le détourner ou à l’instrumentaliser. Celui-là ne fera pas exception. Les antivax, les vrais conspirationnistes, quelques mouvements extrémistes vont tout faire pour capter son énergie.
Il faudra néanmoins résister à la tentation de l’y réduire.
La colère populaire n’est pas toujours juste, mais on ne saurait y répondre par le dédain.
Colère ?
Reste à voir ce que donnera la manifestation d’aujourd’hui à Ottawa.
La culture politique canadienne se caractérise par un culte de la tranquillité. Si la manifestation cède à la violence ou à la tentation de l’émeute, la population décrochera brutalement.
Mais d’ici là, ce mouvement, qui inquiète avec raison, vient de faire une brèche dans le consensus idéologique canadien.