Guy Lafleur: c'est la fin d'une époque
Richard Martineau
«Le hockey, au Québec, est une religion», dit l’adage.
Si c’est vrai, alors le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont Jean Béliveau, Guy Lafleur et Maurice Richard.
Un p'tit démon
Maurice le Saint-Esprit, car c’est lui qui est arrivé en premier et qui a tout défriché, dents et poings serrés.
Jean le Père, parce que c’était le plus grand capitaine de tous les temps, un modèle de calme, de droiture et de prestance.
Et Guy le Fils, parce qu’il filait à toute allure, le vent dans sa longue chevelure.
En musique, on dirait «Le loup, le renard, le lion». Félix, Vigneault, Charlebois.
Trois générations. Trois légendes.
Je ne veux pas pousser la comparaison trop loin, mais c’est vrai qu’il y a une certaine ressemblance – pour ne pas dire une ressemblance certaine – entre le Démon blond et Garou (le chanteur de Lindberg, pas celui de Notre-Dame de Paris).
Ils étaient tous les deux spectaculaires à regarder.
Ils étaient tous les deux délinquants (Guy Lafleur, c’est bien connu, fumait entre les périodes).
Et ils donnaient tous les deux un «ostie de show».
Sans oublier leurs aventures respectives dans le merveilleux monde de l’alcool – Charlebois dans la bière et Lafleur dans le vin, le gin et la vodka.
Je parle bien sûr des bouteilles qu’ils ont vendues. Pas celles qu’ils ont vidées.
Une équipe ou un hôtel?
Je sais que c’est une image usée qu’on ressort chaque fois qu’une personnalité connue passe l’arme à gauche, mais avec Guy Lafleur, ce n’est pas qu’un athlète exceptionnel qui disparaît.
C’est une époque.
Celle où les joueurs vedettes ne se considéraient pas encore comme des entreprises indépendantes louant leurs services au plus offrant, mais comme des membres d’une équipe dotée d’une histoire, d’un passé, d’une tradition.
Le Canadien de Montréal était comme la soupe Habitant, il y avait un peu (beaucoup) de nous autres là-dedans.
Aujourd’hui, à part les logos sur les chandails, quelle est la différence entre une équipe et une autre?
Ce sont des business.
Le lien identitaire qui nous rattache à «notre» équipe est de plus en plus ténu.
Le Canadien de Montréal est devenu un Hilton, un Marriott, un Best Western, les joueurs débarquent, posent leurs valises et ne prennent même pas la peine d’apprendre notre langue, de toute façon, dans quelques années, ils joueront ailleurs, alors...
Mais quand on regardait les Lafleur, Cournoyer, Lapointe, Lemaire, on se voyait, on se projetait.
C’était nous, sur la glace!
Quand ils comptaient, c’est nous qui comptions!
Et les défilés de la Coupe Stanley étaient aussi importants, sinon plus, que ceux de la Saint-Jean!
Les équipes de hockey, à l’époque, vendaient du rêve. Aujourd’hui, elles vendent de la bière.
Des dieux ordinaires
Et puis, les grands, à l’époque, n’avaient pas la tête enflée.
Richard, Béliveau et Lafleur étaient tous dotés d’un grand sens des responsabilités.
Ils étaient humbles, modestes.
C’étaient des hommes. Dans le sens le plus noble du mot.
Droits. Intègres. Solides.
Avec un caractère en acier trempé.
Vous souvenez-vous de l’époque où «se comporter en homme» était vu comme un compliment?