Atteint d’un cancer du poumon: Guy Fournier dit tout dans sa biographie
Sarah-Émilie Nault
Après des années d’essais et erreurs, d’ennui, de doutes et de pages blanches, l’auteur, chroniqueur et scénariste Guy Fournier a consenti à remettre sérieusement de l’ordre dans ses souvenirs de 92 ans de vie. De cet exercice est né Jamais deux sans moi: une biographie truffée d’anecdotes parfois légères et de souvenirs parfois douloureux, rédigée en collaboration avec l’auteur Pierre Huet. Le Journal a longuement discuté avec le père des inoubliables personnages de Peau de banane et de Jamais deux sans toi.
Monsieur Fournier, vous dévoilez dans votre livre être atteint d’un cancer du poumon. Comment allez-vous?
«Ça ne va pas mal. Les effets secondaires des traitements sont un petit peu ennuyeux, mais c’est sûrement plus supportable que la mort, quoique la mort, apparemment, ce n’est pas aussi insupportable qu’on le dit [rires]. Le fait aussi que j’ai un peu l’impression que mon auto peut se rendre au CHUM les yeux fermés tellement j’y suis souvent. Maintenant que les traitements sont aux six semaines, cela double les effets secondaires, mais réduit de moitié les visites à l’hôpital. Somme toute, je ne vais pas mal.»
Est-ce l’une des raisons qui vous ont mené à publier votre biographie maintenant et à avoir envie de tout dire?
«J’ai hésité pendant 20 ans à écrire une biographie. J’ai signé un premier contrat à 75 ans, je faisais 25, 30 pages et ça me faisait chier et j’arrêtais, car je trouvais alors cela difficile et très ennuyeux de parler de moi et de ce que je faisais. Je ne voyais pas l’intérêt. La deuxième fois que j’ai signé un contrat d’édition, j’ai aussi arrêté. Plus tard, j'ai revu le directeur de la maison d’édition qui m’a dit: pourquoi tu ne fais pas ta biographie? Et j’ai répondu: je l’écrirai quand je serai vieux! Ce à quoi on m’a répondu: mais tu es vieux! Mais j’ai encore arrêté. C’est tout à fait par hasard, dans un souper chez Richard Martineau, j’ai revu Pierre Huet. Ensemble, ils m’ont convaincu. Écrire est très difficile et est un péché très solitaire, et la meilleure façon de te pousser à le faire est d’avoir quelqu’un qui t’y force. J’ai écrit tous les jours pendant un an et je me suis dit que si je me donnais le mal d’écrire une bio, je voulais être franc, que ce soit positif ou négatif. Faire aussi comprendre l’époque dans laquelle j’ai vécu aussi.»
Vous racontez beaucoup de choses très personnelles, dont les agressions que vous avez subies par un prêtre lorsque vous étiez enfant. Cela vous a fait du bien de le coucher sur papier?
«À cette époque, qui ne l’a pas été [agressé]? Cela n’a pas été difficile de le faire et je tenais à mettre les vrais noms. Mes avocats m’ont dit que ce n’était pas une bonne idée, ce à quoi j’ai répondu: je m’en fous! Ce prêtre-là a fait tellement de tort, il faut qu’on sache que c’était un trou du cul! J’ai vécu deux ou trois agressions dans ma jeunesse, à 6 ou 7 ans, tu n’es pas tellement conscient. Mon frère et moi avons réussi à nous défendre contre le curé en question. Mon frère le plus jeune n’a pas réussi à se défendre. C’est pour le venger que j’ai parlé de cela.»
Le décès de votre jumeau n’était pas survenu au début de l’écriture de votre biographie [Claude Fournier est décédé le 16 mars 2023]. Il a dû vous être difficile d’ajouter les derniers chapitres de votre biographie abordant sa mort et votre maladie apprise quelques mois avant sa disparition?
«J’étais rendu dans les dernières pages de la biographie à sa mort. Je me suis demandé si je devais changer le début, puis je me suis dit: je vais faire comme s’il n’était pas mort. Cela a été un coup très dur, et j’ai aussi perdu mon autre frère peu de temps après. Perdre son jumeau est vraiment comme perdre la moitié de qui je suis. J’y pense encore constamment. Cela a été un moment très difficile, et ça l’est encore.»
Votre vie sentimentale tient une place très importante dans ce livre, comme ce fut le cas dans votre existence. Pourquoi pensez-vous avoir autant charmé les femmes?
«Il paraît que j’aime vraiment les femmes et que cela paraît. C’est ce que les femmes de ma vie m’ont dit. J’ai demandé à chacune d’entre elles [il a été marié à cinq reprises] quand on s’est séparé ce qu’elles allaient regretter, et elles m’ont toutes répondu : ma cuisine [rires].»
Vous en profitez pour faire votre mea culpa pour plusieurs choses, dont votre tempérament de séducteur et certains gestes déplacés que vous auriez pu commettre par le passé (et que vous mettez en lien avec le mouvement #metoo). C’était important pour vous de le faire à ce stade-ci de votre vie?
«Il y a eu peu de gestes déplacés et l’époque des années 1960 et 1970 était extrêmement différente de celle d’aujourd’hui, mais je sais que j’ai pu le faire par inadvertance. Cela me semblait important d’en parler, car tu ne peux pas avoir autant aimé les femmes sans vouloir t’expliquer sur ce sujet. J’ai été mononcle, je le sais. Et sincèrement, je suis étonné que les hommes aient changé aussi rapidement, ce qui est sans doute arrivé avec le choc du mouvement #metoo. J’essaie maintenant de faire attention dans mes remarques. Cela paraissait important de m’excuser, dans le climat actuel.»
Vous parlez longuement de la vie et des femmes de votre vie et de vos amies connues. En quoi ces femmes ont-elles fait de vous qui vous êtes aujourd’hui?
«Chacune d’entre elles m’a changé, mais celle qui a fait la meilleure job est Louise Deschâtelets. Elle a été la meilleure pour éduquer. Avec elle, j’ai appris deux choses importantes: être à l’heure et la franchise dans mes rapports humains, particulièrement avec les femmes. C’est sûrement ce qui fait que j’ai de meilleurs rapports avec les autres. On se téléphone encore chaque semaine et on mange encore souvent ensemble.»
Que teniez-vous mordicus à raconter dans votre biographie?
«Je ne m’étais fait aucune autre idée que de me dire: je vais parler de tout. Finalement, j’ai oublié plusieurs choses, mais c’est déjà assez long. C’était important pour moi de parler de ma vie de couple, qui a occupé beaucoup de temps dans ma vie. J’ai quand même une réputation d’homme à femmes. J’aurais aimé être un homme à une femme, mais bon... J’ai eu cinq femmes et je réalise tout ce que j’aurais manqué avec une seule femme. Ce n’est pas simple ni un modèle, bien sûr, mais cela fait une vie assez riche. Je n’ai pas du tout de regrets. Je ne regrette rien. J’ai eu une vie bien plus agréable que j’aurais pu penser quand j’étais jeune et adolescent et que j’étais assez morose et très renfermé. Chaque femme m’a changé pour le mieux.»
Que voyez-vous comme votre plus grand accomplissement?
«Le truc le plus difficile que j’ai fait a été de lancer Télévision Quatre-Saisons, ce qui fut une période très difficile. Ce que j’ai fait le mieux, je crois, est la loi sur le cinéma qui reste un truc durable. La commission que j’ai présidée [en 2003, il a été nommé président de l’Académie canadienne du cinéma et de la télévision] et la loi de laquelle ont découlé notamment l’abolition du bureau de la censure, la SODEQ, les films qui n’étaient plus présentés qu’en langue anglaise... J’en suis très heureux et très fier. C’est un travail qui continue d’être utile et qui a permis l’avènement du cinéma québécois.»
À 92 ans, avez-vous encore des projets?
«La biographie m’a redonné le goût d’écrire. J’ai un projet un peu fou: ce serait un conte pour enfants, ce que je faisais au début de ma carrière avec La Boîte à surprises. Je veux faire ce projet avec mon arrière-petite-fille, Océane, qui est illustratrice et je désire que ce soit aussi bon que Le Petit Prince de Saint-Exupéry, rien de moins! [rires] Et puis à partir du moment où je peux écrire mes chroniques et faire à souper chaque soir, je trouve la vie plutôt sympathique.»
- Extrait de la biographie de Guy Fournier, Jamais deux sans moi, qui paraîtra le 13 novembre prochain
«Heureusement que nous avons bien travaillé car cette biographie aurait bien pu être posthume. Eh oui, entre-temps, un examen médical révèle que je souffre d’un cancer du poumon. Depuis quand? Je ne sais pas. La tumeur est trop importante pour être enlevée et je suis trop âgé pour subir une intervention chirurgicale. Alors, depuis le 18 avril, je suis un traitement d’immunothérapie qui devrait durer deux ans. Mais rien ne garantit que je vivrai assez longtemps pour le terminer. Un autre malheur me guette. Bien plus grand que ce cancer que je dois peut-être au fait d’avoir attendu trop longtemps pour cesser de fumer... il y a un demi-siècle.
J’ai commencé ce livre en parlant de mon frère jumeau, sans me douter que je parlerais aussi de lui à la toute fin. Je suis né avec Claude, j’ai grandi et j’ai étudié avec lui, j’ai travaillé avec lui et je me suis associé et chamaillé avec lui. Proche ou invisible, il était toujours là. Comme la gravité. Vous qui avez lu ce livre savez que je suis un incurable romantique, avec les bons et mauvais côtés que cela implique. C’est en tant que romantique que j’ai toujours pensé, sans grande logique ou sans aucune preuve scientifique, que mon jumeau et moi allions quitter ce monde en même temps. La meilleure hypothèse étant qu’un jour, chacun au volant de sa voiture, nous fassions, en centenaires maladroits qui ne devraient plus avoir de permis de conduire, un face-à-face sur un bout de chemin de L’Île-des-Sœurs où nous habitons tous les deux.
Puis, en janvier dernier, je reviens d’un examen de routine à l’hôpital. Les gens de mon âge passent plus de tests qu’un jeune athlète soupçonné de dopage. Dans mon cas, les soupçons s’avèrent exacts: on m’a découvert un cancer du poumon. Ce qui, étonnamment, est une sorte de bonne nouvelle. En effet, il semble que chez les vieux comme moi, le cancer est une sorte d’ours en train d’hiberner à qui on souhaite que le printemps arrive le plus tard possible. On le laisse donc dormir en paix.
J’ai tout de suite pensé à mon jumeau. Pendant que j’étais là à me faire rattraper par la plus terrible des maladies, Claude faisait le bravache tous les jours, manifestant à 10 sous zéro devant le consulat de Russie pour protester contre l’invasion de l’Ukraine. Nous n’avions pas encore l’âge pour un face-à-face et moi, je n’avais plus la santé. Je serais donc le premier à connaître le dénouement final de cette merveilleuse coproduction qu’avait été notre vie. Le 16 mars 2023 à 14 h 12, mon jumeau rend l’âme." (pages 428-429)