Guru et Red Bull se livrent une guerre dans nos universités
Julien Bouthillier
Le président et chef de la direction de Guru, Carl Goyette, esquisse un sourire quand je lui confie avoir consommé beaucoup de ses boissons énergisantes pendant mes études universitaires, sans jamais – ou presque – en avoir achetées.
Et je ne suis pas le seul.
«Je n’avais jamais pris une boisson énergisante avant de rentrer à l’université. Puis, vers la fin, vu que j’étais dans l’association [étudiante], j’en avais tout le temps gratuitement. Je te dirais que j’en buvais une par jour. Mais depuis que je suis sorti, je n’en ai pas rebu une», raconte Louis-Gabriel*.
C’est loin d’être surprenant: les boissons énergisantes sont omniprésentes sur certains campus universitaires.
Lors du passage de 24 heures à l’UQAM en pleine fin de session, les frigos de certaines associations étudiantes étaient remplis de Guru et de Red Bull. Plusieurs personnes rencontrées lors d’un vox pop nous ont également confirmé qu’ils payaient rarement pour une boisson énergisante.
Une guerre marketing sur les campus
Charles-Étienne* a travaillé comme représentant pour Red Bull sur le campus de son université. Sous le couvert de l’anonymat, il a accepté de répondre à nos questions sur cet emploi.
Plus de 4000 étudiants à travers le monde occupent le rôle de «Student Marketeer», selon le site web de Red Bull. Leur mission est de «faire connaître le produit et la marque Red Bull et créer un engouement envers ceux-ci».
Distribuer gratuitement des boissons énergisantes aux étudiants est l’une des stratégies mises de l’avant par la marque pour faire connaître son produit. Et pour rejoindre un maximum de jeunes sur les campus, les entreprises comme Red Bull et Guru ont l’habitude de passer par les associations étudiantes, qui signent des contrats de partenariat avec ces marques.
Louis-Gabriel, qui a occupé un poste au sein de l’exécutif de son association étudiante, explique que lorsque qu’un contrat de partenariat venait à échéance, son asso contactait à la fois Red Bull et Guru, qui rivalisaient pour les séduire.
«[Les entreprises nous offraient] des caisses gratuites et une rémunération monétaire, toujours dépendamment des places où ils peuvent faire des activations [de marque]», explique-t-il. Une activation de marque peut prendre la forme d’un évènement lors duquel des boissons énergisantes sont servies aux étudiants.
Or, ce n’est pas nécessairement celui qui offre le plus qui remporte la mise.
«On a pris Guru même si Red Bull offrait une compensation monétaire plus grande», affirme Louis-Gabriel. Guru, qui se présente comme biologique et naturel, aurait été retenu parce qu’il plaisait davantage aux étudiants de son programme.
«Guru est beaucoup plus populaire dans les universités que dans les usines manufacturières, par exemple, [...] où Red Bull et Monster sont beaucoup plus populaires que nous», confirme Carl Goyette de Guru en entrevue à 24 heures.
«Mais dans l’université, c’est vraiment notre clientèle et on est la marque numéro 1 au Québec parmi les 18-25 ans», soutient-il
Charles-Étienne reconnaît que Red Bull, la boisson qu’il représentait, pouvait être mal perçue par certains étudiants.
«C’est la job des reps [représentants] de déconstruire un peu les préjugés autour de Red Bull, que c’est la boisson du démon puis ces affaires-là», estime-t-il
@marionbaldisserri Du beau boulot encore @Maëva ⚡️ #givesyouwings #redbull #studentmarketeer ♬ Time Time - Trei Degete
Alcool et boissons énergisantes
Même si Red Bull déconseille sur ses canettes de consommer son produit «en combinaison avec de l’alcool», Charles-Étienne indique n’avoir reçu aucune directive claire ou formation sur l’alcool de l’entreprise.
«Une commandite, mettons, pour des initiations [...], c’est sûr que tu fais un petit message genre de ne pas mélanger, mais après ça, c’est un peu à la discrétion des gens», croit-il.
Chez Guru, le message est beaucoup plus clair, affirme son PDG.
«C’est dans tous nos principes, c’est dans tous nos entraînements de nos ambassadeurs de marque, de nos employés. C’est clair, clair, clair qu’on ne fait jamais la promotion de mélanger les boissons énergisantes avec l’alcool, jamais», assure Carl Goyette
S’il reconnaît que «ça peut être possible» que des Gurus aient été rendues disponibles dans des partys étudiants où de l’alcool était consommé, M. Goyette insiste pour dire que cette façon de faire ne respecte pas les règles mises de l’avant par son entreprise.
«Ça peut être l’initiative d’un étudiant, mais ce n’est pas l’initiative d’un employé de Guru.»
Du côté de Red Bull, Charles-Étienne estime que de faire la promotion du produit dans un contexte où de l’alcool est consommé est «quand même accepté au sein de l’entreprise».
Selon lui, Red Bull peut même aider des associations étudiantes à avoir des rabais dans des bars où le produit est distribué.
Au moment de mettre en ligne ce texte, Red Bull n’avait pas donné suite à nos demandes d’entrevue.
Alcool et boisson énergisante: un mix dangereux?
Mélanger alcool et boissons énergisantes aurait pour conséquence de camoufler les effets de l’alcool, précise la nutritionniste Stéphanie Côté.
«Ça peut entraver nos réflexes, notre prise de décision, notre logique. Ça peut nous amener à avoir des comportements qu’on n’aurait pas en temps normal», explique-t-elle.
*Son prénom a été modifié pour préserver l’anonymat.