Gorbatchev et Poutine : je t'aime, moi non plus
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Agence France-Presse
En plus de 20 ans de pouvoir de Vladimir Poutine, ses relations avec Mikhaïl Gorbatchev ont oscillé entre marques d'estime et reproches mutuels, avant de faire place à une cordiale indifférence teintée de respect.
Comme un symbole de cette relation complexe, la mort mardi de Gorbatchev, fossoyeur de l'Union soviétique et prix Nobel de la paix, est intervenue alors que M. Poutine, nostalgique de l'URSS et ancien agent du KGB, mène une campagne militaire en Ukraine.
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Gorbatchev a eu «une grande influence sur l'évolution de l'Histoire du monde», a reconnu mercredi M. Poutine dans un message de condoléances adressé à la famille du dernier dirigeant soviétique.
«Il a guidé notre pays à travers une période de changements complexes et dramatiques, et de grands défis», a sobrement constaté M. Poutine, alors que les leaders occidentaux rivalisaient de superlatifs pour décrire Gorbatchev.
Cet hommage du bout des lèvres illustre le décalage existant entre l'image de Gorbatchev en Occident, où il est vu comme un artisan de la paix mondiale, et celle qu'il a en Russie, où la fin de l'URSS reste pour beaucoup un traumatisme.
M. Poutine a lui-même qualifié l'effondrement de l'Union soviétique de «plus grande catastrophe géopolitique du 20e siècle».
«Intelligent, sérieux»
Les relations entre les deux hommes avaient commencé sous les meilleurs augures au début des années 2000, quand Vladimir Poutine avait succédé à Boris Eltsine.
«M. Poutine est intelligent, sérieux, réservé, bien organisé: j'aime bien les gens comme ça», avait déclaré Mikhaïl Gorbatchev en mars 2000.
Certes, Vladimir Poutine faisait preuve d'autorité, et se montrait déterminé à mettre au pas l'instable république russe de Tchétchénie «quel que soit le nombre de morts», mais il était «guidé par les intérêts de la Russie», avait déclaré Gorbatchev.
«Ceux qui craignent les dérives autoritaires de Poutine ont tort», affirmait-il encore, en novembre 2006, estimant que si le maître du Kremlin n'était pas «un démocrate exemplaire», il fallait tenir compte de l'état catastrophique du pays dont il avait hérité.
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Pour ses 75 ans en mars de la même année, M. Poutine lui avait fait crédit d'une place parmi les «dirigeants qui ont marqué l'histoire contemporaine», notamment pour avoir permis à la Russie de faire «un pas décisif vers la démocratie».
Mais alors que le régime de Vladimir Poutine devenait de plus en plus autoritaire, éloignant les espoirs d'un essor démocratique en Russie, les piques ont pris le pas sur les compliments.
«Les espaces de liberté se sont rétrécis», et l'omniprésent parti au pouvoir Russie Unie est devenu «la pire copie du Parti communiste que l'on puisse imaginer», fustigeait Mikhaïl Gorbatchev en 2008.
«Susceptible, rancunier»
Fin 2011, M. Gorbatchev avait confié, dans le journal indépendant Novaïa Gazeta dont il était co-propriétaire, sa «honte» d'avoir soutenu M. Poutine à son arrivée au pouvoir.
«Nous sommes habitués à ce que tout soit décidé à l'avance, mais nous avons tout de même l'ambition de la démocratie», avait alors lancé le prix Nobel de la paix 1990.
Peu après, M. Poutine rappelait avec ironie, devant les caméras, que vingt ans auparavant M. Gorbatchev avait «signé, en quelque sorte, son abdication», après un putsch avorté en août 1991 qui avait sonné le glas de l'Union soviétique.
Dans un entretien accordé à la presse américaine en 2012, M. Gorbatchev qualifiait M. Poutine de «très susceptible (...) mauvais et rancunier, ce qui est inadmissible pour un dirigeant de ce niveau».
Mais, après des années de relations en forme de montagnes russes, un certain respect mutuel s'était développé. Sans critique, mais aussi sans louange appuyée, les relations sont restées prudemment distantes.
En 2014, Gorbatchev saluait ainsi l'annexion de la péninsule ukrainienne de Crimée par la Russie, estimant qu'une «erreur» de l'Histoire a été «corrigée». Ce soutien lui avait valu, en 2016, d'être interdit d'entrée en Ukraine.
Avant la réélection en 2018 du maître du Kremlin pour un quatrième mandat, Gorbatchev estimait, comme résigné, que «la société est aujourd'hui favorable à ce que Vladimir Poutine reste président».
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