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L'article provient de Le Journal de Montréal
Politique

La nuit des longs couteaux: 40 ans après, les cicatrices sont toujours là

Photo d'archives, Presse Canadienne
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Raphaël Pirro

4 novembre 2021
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La nuit des longs couteaux, du 4 au 5 novembre 1981, il y a 40 ans, a marqué au fer rouge l’histoire du Québec et du Canada. Un « jour de rage et de honte », a décrit dans ses mémoires le premier ministre québécois de l’époque, René Lévesque. La veille au soir, les premiers ministres provinciaux, de connivence avec le premier ministre Pierre Elliott Trudeau, se sont entendus sur un compromis dans le dos du Québec.

• À lire aussi: La nuit des longs couteaux nous hante encore

Baptisé « la nuit des longs couteaux », l’événement fut la bougie d’allumage d’une crise constitutionnelle qui peine à cicatriser. Retour sur la genèse du rapatriement de la Constitution.

DES CONSÉQUENCES TANGIBLES

« Politiquement, c’est grave et extrêmement important », explique Patrick Taillon, professeur de droit de l’Université Laval et spécialiste en questions constitutionnelles. « Un peuple a imposé sa loi fondamentale à un autre. C’est l’idéal du Canada comme pacte entre deux peuples fondateurs qui s’est brisé. À cela s’ajoute aussi l’absence de consentement autochtone en 1867 comme en 1982 ». Du point de vue juridique, cependant, c’est le statu quo pour le Québec. Il devra toutefois composer avec la nouvelle Charte canadienne des droits et libertés, qui exposera la loi 101 à des contestations qui auront pour effet de l’affaiblir. Québec a contesté dès 1982 la nouvelle constitution devant la Cour suprême, sans succès. 

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UN SILENCE DURABLE 

Ottawa refuse toujours de déclassifier les documents liés à cette époque de l’histoire, preuve s’il en est que le sujet reste sensible. La publication en 2013 de La bataille de Londres, par Frédéric Bastien, avait entraîné un regain d’intérêt. L’historien y affirmait, archives britanniques à l’appui, que le juge en chef de la Cour suprême avait communiqué avec les gouvernements britannique et canadien durant le processus. Québec avait unanimement demandé à Ottawa « qu’il donne accès à toute l’information contenue dans ses archives et réclame que toute la lumière soit faite sur les événements ». Le premier ministre Stephen Harper avait refusé d’ouvrir les livres, tandis que le nouveau chef libéral Justin Trudeau affirmait que Québec « fait tout ce qu’il peut pour développer un nouveau mythe ou rouvrir les vieilles chicanes ». La Cour suprême avait déclaré n’avoir rien trouvé dans ses documents pour appuyer la thèse. 

IMPASSE FONCTIONNELLE 

Aucun gouvernement québécois, qu’il soit libéral, péquiste ou caquiste, n’a apposé sa signature à la constitution de 1982. Le Canada et le Québec continuent de fonctionner en faisant fi de cette impasse durable, et malgré les quelques tentatives échouées de séparation et de réunion dans la période de 1985 à 1995. « Condamné à l’échec constitutionnel, le Canada est devenu un pays qui vit dans le déni de ses problèmes, qui n’est pas capable de les attaquer de front, de discuter et de négocier des solutions. Ça provoque des impasses perpétuelles non seulement sur le front des demandes du Québec, mais aussi lorsqu’il est question du dossier autochtone, de la réforme du Sénat, de la modernisation du partage des compétences pour faire face à de nouveaux défis », commente M. Taillon.

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POURQUOI LA « NUIT DES LONGS COUTEAUX »

L’expression « la nuit des longs couteaux » n’a pas toujours fait l’unanimité. Patrick Taillon la trouve « un peu excessive par rapport à ces échos dans l’histoire de l’Europe contemporaine ». Rapidement adoptée au Québec dans un instant de colère collective, elle fait référence à la nuit de 1934 lors de laquelle Adolf Hitler a purgé le Parti nazi de tout opposant. Au Canada anglais, on parle plutôt du « kitchen accord », l’« accord de cuisine », en référence à un document signé par Jean Chrétien et deux homologues provinciaux dans une cuisine du centre des conférences d’Ottawa. 

POURQUOI ON EN PARLE ENCORE  

Au lendemain de la nuit des longs couteaux, les quotidiens du Québec, dont Le Journal de Montréal, rapportaient l’échec des négociations pour rapatrier la Constitution avec le consentement du Québec, qui s’est retrouvé isolé.
Au lendemain de la nuit des longs couteaux, les quotidiens du Québec, dont Le Journal de Montréal, rapportaient l’échec des négociations pour rapatrier la Constitution avec le consentement du Québec, qui s’est retrouvé isolé. Photos d'archives

L’ÉCHEC DU RÉFÉRENDUM DE 1980, LE PRÉLUDE

L’échec du référendum sur la souveraineté-association proposé par le Parti Québécois de René Lévesque en mai 1980 est, pour le premier ministre canadien Pierre-Elliot Trudeau, une occasion à saisir afin de réaliser un projet qu’il convoite depuis des années : rapatrier au Canada la constitution adoptée à Londres. Lors du référendum, ce dernier avait promis que le vote pour le Non ne serait pas un vote pour le statu quo. Malgré la réélection massive du PQ quelques mois plus tôt, Trudeau a les coudées franches face à Québec, affaibli dans les circonstances. 

LE « GROUPE DES HUIT »

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Le projet de Trudeau n’est pas gagné d’avance. Dans les mois suivant le référendum, il doit faire face au « groupe des huit » : l’ensemble des premiers ministres, à l’exception de ceux de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick, s’opposent notamment à l’idée d’une charte qui aurait préséance sur le pouvoir politique des provinces. Des négociations provincial-fédéral ont lieu sur plusieurs mois, mais n’aboutissent pas. Trudeau les invite alors à une « conférence de la dernière chance » qui se tiendra sur trois jours dans la capitale canadienne en novembre 1981.  

LE 4 NOVEMBRE AU SOIR

C’est dans la nuit du 4 au 5 novembre, alors que René Lévesque se trouvait de l’autre côté de la rive, à Gatineau, que les premiers ministres s’entendent avec le fédéral, par l’entremise de Jean Chrétien, ministre de la Justice. Les négociations aboutissent à un compromis contraire aux intérêts de Québec. « Sur le fond des choses, le compromis négocié dans la nuit a été sculpté pour répondre aux préoccupations du groupe des huit, sans nécessairement anticiper les préoccupations du Québec, notamment en ce qui a trait aux droits linguistiques et droit de retrait avec compensation », c’est-à-dire le droit à une province de se soustraire à tout programme fédéral moyennement un arrangement financier, explique le professeur de droit de l’Université Laval Patrick Taillon.  

DUR LENDEMAIN DE VEILLE 

La nouvelle d’un accord conclu pendant la nuit dans son dos rend fou de rage René Lévesque, qui apprend la chose en matinée dans un feuillet placé à côté de son assiette de déjeuner. « On avait profité de notre absence pour éliminer la plus cruciale de nos exigences, c’est-à-dire le droit à la compensation financière en cas de retrait. Le coup de poignard au milieu de la nuit », dit-il dans ses mémoires. Les quotidiens québécois ont emboîté le pas dès le 6 novembre. « Le Québec est isolé », titraient Le Journal de Montréal et La Presse. 

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