Fusillades aux États-Unis: comment la société américaine pousse des jeunes à commettre l’irréparable
Gabriel Ouimet
Le nombre de tueries explose aux États-Unis et bien que la libre circulation des armes à feu en soit la cause principale, le contexte social sert de carburant à la violence qui y fait rage, selon une psychiatre.
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Le 14 mai dernier, une attaque raciste dans un magasin de Buffalo, dans l’État de New York, a coûté la vie à plus d’une dizaine de personnes. Quelques jours plus tard, 21 personnes, dont 19 enfants, ont été abattues par un tireur dans une école primaire de la ville d’Uvalde, au Texas.
Ces deux fusillades ont été orchestrées par de jeunes tireurs qui ont agi seuls, armés de fusils d’assaut et de leur haine pour la société. Le phénomène est en hausse chez nos voisins du sud dans les dernières années. Il n’y a que 145 jours d’écoulés en 2022 et déjà, le pays a connu 213 fusillades, dont 27 dans des écoles, selon l’organisation américaine Gun violence Archives, qui les répertorie.
En 2021, il y a eu un total de 693 tueries de masse, dont 61 commises par des «tireurs actifs», c’est-à-dire des personnes qui tuent ou qui tentent de tuer des gens dans un espace public de manière apparemment aléatoire. C’est plus de 50% fois plus qu’en 2020 et environ deux fois plus que dans les trois années précédentes.
Bien qu’elle juge que la libre circulation des armes soit la principale cause de ces tueries aux États-Unis, Cécile Rousseau, pédopsychiatre et professeur au département de psychiatrie sociale de l’Université McGill, estime qu’il y a «tout un contexte social qui rend la violence non seulement légitime, mais attirante» aux yeux de leurs auteurs.
«Les monstres des uns sont les héros des autres»
Le traitement médiatique et social des auteurs de ces cavales meurtrières provoque leur glorification, affirme psychologue.
«En les décrivant comme des monstres et en les déshumanisant, on les romanise. Un monstre et un héros, c’est sensiblement la même chose. Pour eux, mieux vaut être un monstre que personne ou qu’un perdant», analyse-t-elle.
Et cette glorification créerait un effet de contagion, poursuit la psychologue.
«Les tueries de masse sont contagieuses. Ceux qui se sentent interpellés de rassemble dans des chambres d’échos et s’encouragent à passer à l’acte. Il faut donc réfléchir à la meilleure manière d’informer pour éviter cette contagion. C’est un peu la raison pour laquelle les suicides ne sont que très peu évoqués par les gouvernements et les médias», affirme-t-elle.
Une vision du monde dystopique
Croissance des inégalités sociales et économiques, réchauffement climatique, pandémie : plusieurs éléments font en sorte que certains jeunes développent une vision dystopique du monde qui les entoure, selon Cécile Rousseau.
«Le climat social est instable et les gens, particulièrement les jeunes, ont l’impression que ne pas avoir le contrôle sur leur avenir. Ils développent donc une vision plus sombre de l’avenir. Est-ce que la planète est en danger? Va-t-on un jour manquer de nourriture ? Est-ce qu’il y aura des pandémies à répétition?», illustre la pédopsychiatre.
Autant de questions sans réponse qui, jumelées à des facteurs aggravants comme l’exclusion sociale, font en sorte que certains voient la violence comme un moyen de reprendre le contrôle sur leur vie.
«Ils se disent que tant qu’à attendre la fin du monde ou l’apocalypse, ils sont aussi bien de s’en charger eux-mêmes», analyse-t-elle.
Les autorités mettent de l’huile sur le feu
Depuis la tuerie de Colombine, qui a fait 13 innocentes victimes dans une école secondaire de l’État du Colorado en 1999, les autorités américaines ont adopté une approche répressive qui ne fait qu’alimenter le sentiment de haine et d’exclusion qui habitent les jeunes tueurs de masse, soutient Cécile Rousseau.
«Les autorités ont une approche axée sur la peur: elles ont ajouté des gardes armés et des détecteurs de métaux dans les écoles. Elles ont armé des professeurs. Elles excluent les élèves des milieux scolaires lorsqu’ils contreviennent aux règles ou qu’ils ne se conforment pas à certains standards. Or, la répression du genre de fait que les conforter dans leur frustration. La peur est très mauvaise conseillère », argumente-t-elle.
Selon elles, les autorités auraient avantage à mieux adresser la détresse des jeunes avant qu’elle n’explose, sans pour autant essayer d’en brosser un portrait simpliste.
«Ces tueurs ont certainement des points communs, comme d’avoir subi de l’exclusion sociale ou de l’intimidation, par exemple. Mais il y a tout un éventail d’autres facteurs sous-jacents à considérer. Si on tente d’en faire un portrait-robot, on risque de tomber dans le profilage et la discrimination et d’empirer le problème», dit-elle.
Ainsi, les autorités auraient tout avantage à développer des moyens de joindre les plus vulnérables et de les écouter.
«On doit garder en tête que la violence s’enracine dans la colère et la détresse. Punir le désespoir, on le voit, c’est dangereux», conclut Cécile Rousseau.