Fermer le chemin Roxham, une bonne nouvelle pour le Québec et le Canada?
Léa Martin
Les États-Unis et le Canada se sont entendus pour fermer le chemin Roxham. Concrètement, qu’est-ce que ça change pour les demandeurs d’asile? Quels sont les avantages pour le Canada? On fait le point.
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Pourquoi le Canada et les États-Unis ferment-ils le chemin Roxham?
Ottawa travaillait depuis des mois pour fermer ce point de passage irrégulier. Québec faisait également pression sur le fédéral, estimant que la capacité d’accueil de la province était largement dépassée.
En 2022 seulement, le chemin qui traverse la frontière canado-américaine en Montérégie a vu passer près de 40 000 demandeurs d’asile.
Pour compenser pour la fermeture du chemin, le Canada s’est engagé à accueillir, cette année, 15 000 demandeurs supplémentaires.
Est-ce que ça va régler le problème?
«Ça ne va pas faire en sorte que les gens ne vont pas arriver au Canada, soutient la professeure de géographie de l’Université de Montréal, Luna Vives. Certainement, ça va diminuer le nombre de personnes qui vont passer par le chemin Roxham, mais ça ne va pas arrêter les personnes qui traversent la frontière.»
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Le doctorant de l’Université Laval et spécialiste en droit international de l’immigration Baptiste Jouzier abonde dans le même sens.
«En fait, ça va juste rendre l’entrée sur le territoire canadien plus dangereuse, indique-t-il. Ça va rendre le contrôle plus difficile pour les autorités canadiennes parce que forcément, il va y avoir une dispersion des voies d’entrée.»
Quelles sont les conséquences pour les demandeurs d’asile?
Le Canada et les États-Unis devraient annoncer que l’Entente sur les tiers pays sûrs s’étendra dorénavant à toute la frontière.
Cette entente, entrée en vigueur en 2004, oblige les demandeurs d’asile à présenter leur demande dans le premier pays sûr où ils arrivent (sauf exception). Si, par exemple, une personne passe par les États-Unis – considérés comme un pays sûr – pour demander l’asile au Canada, elle risque de voir sa demande être refusée.
L’Entente sur les tiers pays sûrs ne concernait toutefois que les postes frontaliers officiels. C’est pourquoi des demandeurs d’asile empruntaient des passages irréguliers, comme le chemin Roxham.
Mais avec la nouvelle mouture de l’entente, les demandeurs d’asile qui tenteront de traverser ailleurs qu’à un poste frontalier officiel seront refoulés s’ils sont interceptés dans les 14 jours suivant leur arrivée.
«Le message qui est envoyé, c’est : ne vous faites pas attraper pendant 14 jours. Ensuite, vous pourrez demander l’asile», analyse Baptiste Jouzier.
Dans ce contexte, Luna Vives craint que ces personnes aient encore plus recours à des réseaux de passeurs illégaux, se cachent dans la nature et qu’ils n’aient pas accès à des soins de santé ou n’osent pas aller voir les autorités si elles sont victimes d’agression.
Le directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), Stephan Reichhold, se demande également comment le Canada va faire pour savoir si une personne est arrivée au pays depuis moins de 14 jours.
«C’est basé sur quels documents? Il va y avoir beaucoup de contestations juridiques, c’est clair, autour de tout ça», avance-t-il.
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Est-ce que c'est une bonne nouvelle pour le Canada?
«Absolument pas», affirme Stephan Reichhold.
«Le Canada avait quand même une relativement bonne réputation en termes de respect des conventions des droits de la personne, des droits des réfugiés. Là, c’est un revirement de 180 degrés», poursuit-il.
L’élargissement de l’Entente sur les tiers pays sûrs à toute la frontière risque également de coûter très cher au Canada, prévient Stephan Reichhold.
«En plus, les gens, s’ils sont attrapés les 14 premiers jours, ils ne peuvent pas demander l’asile. Donc, il va falloir les mettre en prison, les mettre en détention, explique-t-il. On n’a pas les capacités actuellement de détenir des milliers de personnes, donc il faut probablement faire des camps de réfugiés fermés qui vont coûter une fortune.»