Problèmes de dépendance: incapable de trouver de l’aide, il meurt seul chez lui
Gabriel Ouimet
Fin 2019, le père de Magalie* semblait avoir repris le contrôle de sa vie, après 40 ans de dépendance à la cocaïne et à l’alcool. Mais, comme dans le cas de plusieurs autres personnes aux prises avec un problème de consommation, la pandémie a tout fait dérailler pour lui. Au point où il a été emporté par ses démons.
«Il allait bien depuis des années, il avait un emploi stable. C’était la première fois de sa vie qu’il était sobre aussi longtemps. En sortant de sa première cure de désintoxication, il était vraiment motivé, il voulait reprendre sa vie en main et il avait de l’ambition», raconte la jeune femme dans la fin vingtaine.
• À lire aussi: Après deux ans de mesures sanitaires qui tapent sur la santé mentale, il faut penser aux jeunes
• À lire aussi: Des étudiants nous racontent comment leur vie est bousculée par les mesures sanitaires
Puis, en mars 2020, le monde de son père s'est écroulé. Alors qu'il travaillait pour le gouvernement du Canada, un congé de maladie forcé a coïncidé avec l’arrivée de la COVID-19 au pays et l'a obligé à s’isoler.
«La solitude et la peur de la maladie le stressaient beaucoup et, malheureusement, il a recommencé à consommer. Il a essayé d’arrêter par lui-même à plusieurs reprises, mais il n’était pas capable, il avait des symptômes de sevrage importants», explique-t-elle.
«Il avait besoin d’aide»
Il a passé l’année suivante à essayer de se faire hospitaliser pour traverser son sevrage, sans succès. À défaut d’obtenir une place à l’hôpital, il a obtenu un rendez-vous avec un psychiatre pour une évaluation en été 2021.
«Le psy est arrivé avec 45 minutes de retard en lui indiquant qu’il n’avait que 15 minutes pour le voir. La santé mentale de mon père était évidemment très fragile, donc il a pété au frette. Il a saboté son rendez-vous et a rechuté», explique la jeune femme, d’une voix tremblante.
• À lire aussi: Les non-vaccinés ne sont pas tous complotistes et antivaccins
C’était la goutte de trop. Les choses ont alors dégringolé à une vitesse fulgurante. En septembre, il a reçu un diagnostic de cirrhose. Maladivement inquiet en raison de la COVID, il a refusé de se présenter à l’urgence. Il en est mort deux mois plus tard.
«Mon père est décédé de sa cirrhose au mois de novembre, seul chez lui [...] Honnêtement, je ne sais pas comment mon père essayait de s’organiser à la fin, mais une chose est certaine, c’est qu’il avait besoin d’aide et il n’a pas été capable de l’obtenir, pour toutes sortes de raisons», regrette Magalie.
Un scénario trop commun
Des histoires comme celle du père de Magalie, malheureusement, la Dre Marie-Ève Morin, médecin de famille travaillant en santé mentale et en dépendance, en a trop souvent entendu.
«J’ai vu des dizaines d’histoires similaires depuis de début de la pandémie. Demander de l’aide est vraiment plus compliqué. Moi, j’ai perdu 10 personnes dans la dernière année et demie. Des patients, des membres de ma famille, des amis. Les effets collatéraux, pour les gens en situation de dépendance, sont catastrophiques», déplore-t-elle.
Les experts à qui nous avons parlé s’entendent tous pour dire que la consommation de drogue et d’alcool chez les personnes aux prises avec une dépendance a grandement augmenté pendant la pandémie et que, faute de ressources, les conséquences graves se sont elles aussi multipliées.
• À lire aussi: Comment faire pour régler la crise des surdoses au Canada?
• À lire aussi: 10 surdoses de drogue mortelles chaque semaine au Québec
D’ailleurs, selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), le nombre de morts par possible intoxication de drogue était en moyenne de 56 par mois en 2020 et de 42 par mois en 2021, alors que la moyenne maximum avait été de 35 par mois depuis 2017.
À l'échelle du pays, 3500 personnes sont mortes d’une surdose d'opioïdes dans les six premiers mois de 2021, selon les chiffres du gouvernement fédéral. L'année 2021 pourrait avoir été la plus meurtrière depuis 2016, année à laquelle on a commencé à compiler ces données.
• À lire aussi: Le Portugal a décriminalisé toutes les drogues pour lutter contre la toxicomanie (et ça marche!)
Des ressources très limitées
La difficulté d’accès aux soins s’observe partout dans le système de santé. Au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), Hélène Jones, responsable des services sociaux des sites pour adultes, peine à répondre à la demande. C’est elle qui est chargée de diriger les usagers vers les ressources en dépendance.
«Trouver des milieux qui sont en mesure d’accepter des patients qui ont des problèmes de dépendance est très difficile, en ce moment. Que ce soit dans le communautaire ou dans le réseau public, ou même familial. On se retrouve avec des gens qui ne peuvent pas accéder à de l’aide quand ils en ont besoin», explique-t-elle.
À la Maison l’Exode, un organisme à but non lucratif offrant divers services aux personnes dépendantes, le manque de ressources est tel que la planification se fait «presque au jour le jour», indique le directeur général, Martin Lafortune.
«Nos ressources sont tellement restreintes qu’en ce moment, je pourrais recevoir un appel pour me faire dire qu’on doit fermer ce soir. C’est très possible, on vit avec cette crainte chaque jour. C’est comme ça pour plusieurs organismes», raconte-t-il.
La peur de la COVID
Du côté du service de médecine des toxicomanies du Centre hospitalier de l’Université de l’Université de Montréal (CHUM), on nous indique que les ressources d’urgence sont toujours disponibles, mais que la capacité est restreinte.
«On n’a pas moins de personnel, mais les activités usuelles sont “impactées”, parce qu’on a aussi des patients COVID», explique le chef du service, le Dr Louis-Christophe Juteau.
Le nombre d'interventions en clinique externe réalisées par le département de médecine de la toxicomanie d'ailleurs bondi en pandémie, passant de 7707 en 2019-2020, à 9313 lorsque la COVID-19 a commencé à secouer la province en 2020-2021. Il est ensuite passé à 6041 interventions entre le premier avril et le 6 novembre 2021.
Or, bien que des services soient toujours disponibles, plusieurs, comme le père de Magalie, ne demandent pas l’aide dont ils ont besoin parce qu’ils craignent la COVID-19, insiste la Dre Marie-Ève Morin.
«Les gens ne veulent pas aller à l’hôpital, ils ne veulent pas contracter la COVID. En plus, ça fait deux ans qu’on nous dit d’éviter les hôpitaux. J’ai vu très peu de patients se présenter à l’hôpital en état de détresse dans les deux dernières années», conclut-elle.
* Il s’agit d’un prénom fictif, à la demande de la jeune femme, qui a souhaité garder l’anonymat.