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«J’ai joué à un seul jeu pendant 1800 heures»: être dépendant aux jeux vidéo comme à une drogue

Marilyne Houde
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Photo portrait de Gabriel  Ouimet

Gabriel Ouimet

2022-02-05T12:00:00Z
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Ne plus se laver, ne plus dormir, s’éloigner de sa famille et de ses amis, perdre sa maison: la dépendance aux jeux vidéo peut avoir des conséquences dramatiques. Et après deux ans de pandémie, des spécialistes tirent la sonnette d’alarme, alors que de plus en plus de parents demandent de l’aide.

Adepte de jeux vidéo depuis son enfance, la passion de Martin* pour les jeux multijoueurs en ligne a pris de plus en plus de place dans sa vie, jusqu’à éclipser tout le reste. 

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«Dans la période la plus creuse, j’ai joué à un seul jeu pendant 1800 heures, soit presque une année ouvrable sur une période d’environ deux ans», raconte l'homme dans la trentaine. 

«J’ai souvent passé des samedis à juste boire du café et fumer des cigarettes sans avoir mangé jusqu’à 18h, poursuit-il. J’arrivais au travail complètement pété parce que j’avais joué jusqu’à 4h du matin, j’avais de la misère à faire ma journée. Je ne parlais à personne en dehors du jeu, sauf mes collègues.»

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DC Studio - stock.adobe.com
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Des histoires comme celle de Martin, Jacky Simard en a vu bien d’autres. Il est coordonnateur aux admissions et aux communications du centre CASA, un des seuls centres en prévention et traitement des dépendances aux jeux vidéo pour adultes dans la province. 

«J’ai eu un jeune récemment qui a été connecté 13 000 heures en deux ans. Il ne dormait plus et ne se lavait plus, parce qu’il jouait à un jeu de guerre 24h/24. Pour essayer de dormir, il cachait son personnage dans le jeu, mais il gardait son casque d’écoute. Aussitôt qu’il entendait un craquement, il se réveillait. Lui, il était à la guerre pour vrai. Il se mettait en équipe avec des Français pour qu’ils puissent se relayer jour et nuit. Quand il est arrivé ici, il était hyper vigilant et nerveux. Il n’était plus dans la réalité. Il y a une période de deux mois où il n’est pas sorti de chez lui du tout », conte-t-il avec émotion. 

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Des problèmes à l’horizon  

La pandémie a réuni tous les ingrédients pour que les problèmes de dépendance aux jeux vidéo prennent encore plus d’ampleur, constate la Dre Marie-Ève Morin, médecin de famille travaillant en dépendance et en santé mentale. 

Photo Fotolia
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« Je voulais en parler parce que ça fait longtemps que je traite des adolescents et que je suis consciente que la dépendance aux jeux vidéo est un problème qui augmente, mais avec le confinement, l’école à la maison et le travail à la maison, j’en vois beaucoup plus. Des jeunes qui jouaient de façon plus équilibrée avant et qui ont perdu le contrôle pendant le confinement parce qu’il n’y avait que ça à faire », explique-t-elle. 

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Chez Casa, même si le nombre d’admissions n’a pas encore augmenté, des signes laissent présager le pire. 

«Généralement, il y a une période d’un an ou deux entre le premier appel, souvent effectué par un proche, et la prise en charge d’un jeune. Depuis deux ans, le nombre d’appels de parents qui demandent de l’aide a augmenté de façon importante, donc les problèmes s’en viennent, c’est certain», remarque Jacky Simard.  

Photo d'Archives, Agence QMI
Photo d'Archives, Agence QMI

Idem pour Hélène Hamel, directrice des lignes spécialisées en dépendance de l’organisme Jeu : aide et référence, qui offre du soutien et des outils aux personnes aux prises avec des dépendances et à leurs proches. 

«La pandémie est définitivement un élément de plus, puisqu’elle a aussi permis à des parents de s’apercevoir du comportement problématique de leur enfant. Les appels à cet effet ont vraiment augmenté», indique-t-elle. 

Et ce genre d’appels étaient en hausse bien avant la pandémie. 

«En cinq ans, nous sommes passés de 5% à 12% des appels qui concernent la dépendance aux jeux vidéo et aux réseaux sociaux», précise Mme Hamel. 

Mais comment en vient-on à délaisser le réel pour une vie virtuelle?  

Dans bien des cas, les jeux multijoueurs viennent combler des besoins de sociabilité. 

«Ce sont souvent des jeunes qui ont de la difficulté à socialiser et trouvent une valorisation sociale dans le jeu. Ils se forgent une nouvelle identité», soutient Jacky Simard. 

«Moi, ce qui me poussait à revenir, c’était vraiment le côté social de tout ça. C’est là que je bâtissais mes relations, c’est là que je socialisais. Il y a vraiment un aspect de gang. Quand tu es rendu à un niveau assez haut, tu te prévois des rendez-vous avec ta gang et tu as besoin d’être là, sinon c’est comme si tu laissais tomber l’équipe et les autres vont t’en vouloir», mentionne pour sa part Martin. 

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Certains jeux sont également conçus pour que les joueurs y reviennent aussi souvent que possible. 

«Les jeux utilisent vraiment le système de récompense pour te rendre dépendant. Il y a des gens qui se spécialisent là-dedans. Par exemple, il y a certains jeux dans lesquels tu peux avoir une récompense simplement en te connectant. Même pas besoin de jouer ! Si tu te connectes tous les jours, à la fin de la semaine, la récompense sera encore plus grande. C’est sournois et ça peut t’amener très loin», dénonce-t-il. 

Ça peut être comme une drogue   

Le système de récompense utilisé dans ces jeux affecte le cerveau comme le ferait l’alcool ou la drogue, explique Marie-Ève Morin. 

«La dépendance aux jeux vidéo est une dépendance comportementale. Du point de vue neurobiologique, il se passe la même chose qu’avec la dépendance aux substances: le cerveau va sécréter beaucoup de dopamine. C’est le cas quand le joueur accumule des points ou qu’il passe des tableaux.»

Les symptômes de sevrage peuvent même être aussi importants que ceux ressentis par quelqu’un qui voudrait arrêter de consommer, poursuit-elle. 

«Il peut y avoir des symptômes de sevrage physique, même si c’est comportemental. Il peut y avoir des tremblements, des palpitations, des nausées et de l’insomnie créée par l’angoisse. C’est très sérieux.»

Ne pas hésiter à demander de l’aide   

Martin a réussi à reprendre sa vie en main. Il souhaite maintenant que son histoire puisse permettre à d’autres joueurs de ne pas s’enliser comme il l’a fait. 

«Le gros problème de trop jouer, c’est que tu ne fais pas autre chose. Moi, je me suis éloigné graduellement. J’ai rencontré du monde qui m’ont fait rencontrer du monde et, tranquillement, j’ai rempli ma vie autrement. Il faut vraiment essayer de canaliser ses intérêts ailleurs.» 

Si vous pensez avoir des problèmes de jeux et que vous avez besoin d’aide, vous pouvez contacter les organismes suivants:       

  • Jeu : aide et référence: 1-800-461-0140       
  • Le Centre CASA: 1-877-871-8380            

* Il s’agit d’un prénom fictif, à la demande de l'homme, qui a souhaité garder l’anonymat.

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