Une chimiothérapie contre la maladie d’Alzheimer


Richard Béliveau
Les personnes qui reçoivent une chimiothérapie pour traiter le cancer risquent moins de développer la maladie d’Alzheimer dans les années qui suivent.
Les maladies chroniques (maladies cardiovasculaires, cancers, démences et diabète, en particulier) sont la plupart du temps considérées comme des pathologies indépendantes, qui n’ont pas de liens entre elles.
Ce n’est pourtant pas le cas: par exemple, il est bien établi que le diabète augmente considérablement le risque de maladies cardiovasculaires, de cancer et de démences, que le cancer peut hausser le risque d’infarctus du myocarde et, inversement, qu’une maladie cardiovasculaire augmente les probabilités de développer un cancer.
Ces interactions suggèrent donc que le développement de ces maladies chroniques ne se fait pas en vase clos, mais fait plutôt intervenir certains mécanismes biochimiques et physiologiques communs. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est possible de réduire le risque de développer l’ensemble de ces maladies en adoptant les cinq règles d’or de la prévention, soit:
- Ne pas fumer
- Maintenir un poids corporel normal
- Bien manger (végétaux, grains entiers, poissons, peu de viandes rouges)
- Faire régulièrement de l’activité physique (40 min./jour marche ou vélo, par exemple)
- Boire de l’alcool avec modération (maximum de 1 verre/jour pour les femmes, 2 verres/jour pour les hommes)
Cancer et maladie d’Alzheimer
Un des liens les plus surprenants entre les différentes maladies chroniques est celui qui semble exister entre le cancer et les démences comme la maladie d’Alzheimer.
À première vue, ces deux maladies sont pourtant très différentes: le cancer est causé par des gènes défectueux qui entraînent une croissance incontrôlée des cellules, tandis que la maladie d’Alzheimer est caractérisée par l’accumulation de plaques amyloïdes et d’enchevêtrements neurofibrillaires qui conduisent à une neurodégénérescence menant à une altération du comportement, de la personnalité et de l’ensemble des fonctions cognitives (raisonnement, analyse, langage).
Pourtant, plusieurs études populationnelles ont systématiquement observé un risque plus faible de maladie d’Alzheimer chez les personnes atteintes par divers types de cancers, notamment les cancers du poumon, du rein, colorectal et le lymphome, et ce, même en tenant compte de la diminution potentielle de l’espérance de vie chez les patients(1).
Il a été suggéré que la chimiothérapie utilisée pour le traitement de ces cancers pourrait avoir des effets protecteurs sur la démence, possiblement en ciblant certains phénomènes communs aux deux types de maladies (cycle de division cellulaire anormal, recyclage déficient des composantes cellulaires par autophagie, stress oxydatif élevé).
Chimiothérapie anti-Alzheimer
Pour mieux caractériser ce phénomène, un groupe de chercheurs coréens a examiné l’incidence de la maladie d’Alzheimer chez 116 506 patients cancéreux âgés de 65 ans et plus qui ont reçu différents types de médicaments anticancéreux entre 2008 et 2018(2).
Deux grands types de chimiothérapie ont été évalués, soit les antimétabolites (qui interfèrent avec la production d'ADN et donc avec la division cellulaire et la croissance des tumeurs) et les thérapies ciblées, qui agissent en bloquant spécifiquement une ou plusieurs protéines essentielles à la progression du cancer (le Herceptin, utilisé pour le traitement des cancers du sein surexprimant le récepteur à EGF, par exemple).
L’analyse montre que le traitement des patients avec les antimétabolites est associé à une légère diminution (9%) de la maladie d’Alzheimer, mais que cette protection est beaucoup plus prononcée chez ceux qui ont reçu des thérapies ciblées, notamment les inhibiteurs du récepteur EGF (réduction de 40%) et les inhibiteurs multikinases (réduction de 51%).
Dans tous les cas, les médicaments de chimiothérapie n’ont pas d’effets sur l’incidence de démence causée par des pathologies vasculaires (l’AVC, par exemple), ce qui suggère que ces molécules ont un site d’action au niveau des neurones en tant que tels.
Ces résultats sont intéressants, car il n’y a toujours pas de traitement réellement efficace contre la maladie d’Alzheimer. Un anticorps qui prévient le dépôt de bêta-amyloïde responsable de la maladie (lécanémab) a récemment été approuvé par la FDA américaine, mais son impact semble plutôt modeste et des effets secondaires importants (hémorragie cérébrale) ont été observés (sans compter son coût très élevé, près de 30 000$ par année).
L’utilisation potentielle de certains médicaments anticancéreux ou de leurs dérivés pour prévenir le développement de la maladie d’Alzheimer pourrait donc représenter une percée importante pour le traitement de cette maladie dévastatrice.
(1) Zhang DD et coll. Risk of dementia in cancer survivors: A meta-analysis of population-based cohort studies. J. Alzheimer’s Dis. 2022; 89: 367–380.
(2) Lee EH et coll. Dementia incidence varied by anticancer drugs and molecular targeted therapy in a population-based cohort study. Sci. Rep. 2024; 14: 17485.