Est-ce qu’on peut devenir accro à la mélatonine?
Gabriel Ouimet
Prisée pour ses vertus d’aide au sommeil, la mélatonine est réputée comme un moyen naturel et sans danger de combattre l’insomnie. Des utilisateurs affirment cependant avoir de la difficulté à s’en passer. Peut-on développer une dépendance à la mélatonine? Représente-t-elle un risque pour la santé? On fait le point.
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Insomniaque depuis l’enfance, Félix Drouin s’est tourné vers les capsules de mélatonine à la mi-vingtaine, au moment où il commençait des études universitaires tout en travaillant de nuit dans un bar.
«J’avais besoin de réguler mon sommeil. Un ami m’avait vanté les bienfaits de la mélatonine. Comme c’est naturel et accessible sans prescription, ça me semblait une option assez douce. Au début, c’était super. J’en ai pris régulièrement pendant environ cinq ans», explique-t-il.
Mais après cette période, inquiet de ne plus pouvoir trouver le sommeil sans la mélatonine, il a voulu arrêter d’en prendre du jour au lendemain.
«J’avais vraiment de la difficulté à m’endormir. J’étais angoissé. C’était surtout le cas si j’avais quelque chose d’important le lendemain. J’ai donc recommencé à en prendre, mais moins souvent», raconte-t-il.
Le trentenaire affirme aujourd’hui y avoir développé une dépendance.
«J’en prends moins qu’avant, mais ça me stresse de ne pas en avoir à portée de main pour m’endormir. Juste le fait d’avoir la boîte de mélatonine sur ma table de chevet, ça m’aide à dormir», dit-il.
Le cas de Félix ne semble pas anecdotique: sur TikTok, des gens se disant incapables de se passer de mélatonine pour dormir partagent leur histoire en utilisant le mot-clic #melatoninaddict, qui cumule plus d’un million de vues.
@kwala.id New addiction list✅ Mimpi Random✅ #sleep #melatonin ♬ original sound - kwala.id
Dépendance psychologique
La mélatonine est une hormone sécrétée naturellement par le cerveau. Elle sert, entre autres choses, à préparer le corps à s’endormir.
Les spécialistes s’entendent pour dire qu’elle ne provoque pas de dépendance physique. Ça ne veut toutefois pas dire qu’il soit facile d’arrêter d’en prendre pour les utilisateurs les plus assidus, note le directeur des services pharmaceutiques de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), Pierre-Marc Gervais.
«Une personne pourrait développer une dépendance dite psychologique, dans laquelle elle devient incapable de s’endormir par peur de mal dormir sans avoir pris de la mélatonine. En associant la mélatonine avec un sommeil de qualité, le simple fait de ne pas en prendre peut causer de l’angoisse. Cette angoisse peut nuire au sommeil. C’est un effet principalement placebo», dit-il.
En d’autres mots, si vous êtes convaincu que la mélatonine vous aide à dormir, le fait de ne pas en avoir pourrait vous empêcher de trouver le sommeil.
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Pas un produit miracle
Est-ce dire que la mélatonine n’a qu’un effet placebo? Pas tout à fait, explique le pharmacien Yann Gosselin-Gaudreault.
«Ce n’est pas un produit miracle, mais il y a clairement des effets positifs sur certaines choses reliées au sommeil. Ils sont cependant assez limités. Par exemple, les métanalyses faites sur le sujet indiquent qu’elle peut diminuer le temps d’endormissement de sept à 20 minutes», indique le pharmacien.
On ne connaît d’ailleurs pas les effets réels de la prise de mélatonine sur la qualité du sommeil, ou encore sur la durée totale de celui-ci, puisque plusieurs études sur le sujet se contredisent, souligne le professionnel.
Ça n’empêche pas que de plus en plus de Québécois s’y tournent dans l’espoir d’améliorer leur sommeil: les ventes de mélatonine ont en effet augmenté de plus de 50% entre 2018 et 2022 dans la province, selon des données de l’Association québécoise des distributeurs en pharmacie.
Pas tout à fait inoffensive, la mélatonine
En plus d’avoir un effet limité pour combattre l’insomnie, la mélatonine comporte certains risques pour la santé, prévient Yann Gosselin-Gaudreault.
«Le problème, c’est que les gens croient que comme c’est un produit de santé naturel en vente libre, il n’y a aucun danger, mais c’est faux», dit-il.
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«La dose physiologique sécrétée par le cerveau, c’est de 0.1 à 0.3 milligramme au coucher. Mais ici, les gens prennent des doses de 3, 5, 10 mg. On parle de doses dix fois plus importantes que celle sécrétée naturellement. Ce sont des mégadoses», poursuit le pharmacien.
Plusieurs pays d'Europe limitent d'ailleurs la vente de mélatonine. Par exemple, en France, la vente libre est autorisée, mais seulement pour des suppléments de moins de 2 mg. Au Royaume-Uni, une ordonnance médicale est obligatoire afin de pouvoir s'en procurer.
Nausées, crampes intestinales, maux de tête, étourdissements, baisse de la pression artérielle, tremblements, irritabilité ou sentiments de déprime: des études menées aux États-Unis rapportent plusieurs effets indésirables en lien avec la prise de ce supplément, particulièrement à fortes doses, explique-t-il.
Il n’existe d’ailleurs pas de données indiquant que l’usage à long terme de ces suppléments soit sécuritaire.
Dans ce contexte, les pharmaciens proposent plutôt de se tourner vers des solutions comportementales pour favoriser un meilleur sommeil. Ils suggèrent notamment de se coucher à des heures régulières, d’éviter les écrans dans les deux heures avant d’aller au lit, de faire de l’activité physique dans la journée, ou encore de prendre un bain ou une douche pour relaxer avant d’aller se coucher.