Épidémie de lois anti-avortement: pourquoi il faut s’inquiéter de ce qui se passe aux États-Unis
Genevieve Abran
Texas, Missouri, Idaho, Mississippi, Oklahoma, Wisconsin: en plus de la COVID-19, les États-Unis font face à une épidémie de lois anti-avortement. Comme les élections de mi-mandat approchent, les droits des femmes pourraient continuer de reculer chez nos voisins du Sud. On fait le point.
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«Déclin de l’accès au droit reproductif»
Aux États-Unis, on assiste au déclin «déclin de l’accès au droit reproductif», affirme Andréanne Bissonnette, chercheuse en résidence de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM.
Et dans plusieurs États conservateurs, il n’y a pas que l’accès à l’avortement qui recule, mais aussi l'accès à la contraception et à une éducation sexuelle digne de ce nom.
«Les États les plus conservateurs sont ceux qui vont être les plus actifs pour restreindre les droits reproductifs et les droits sexuels, alors que les États progressistes vont tenter de codifier le droit au choix», explique Mme Bissonnette.
Près de 2000 mesures anti-avortement adoptées cette année
Au Texas, par exemple, une loi a été adoptée l’automne dernier pour rendre l’avortement illégal dès que le cœur de l’embryon peut être détecté, soit à environ six semaines de grossesse. La loi incite les citoyens à poursuivre les médecins ou les cliniques qui acceptent de pratiquer des avortements au-delà de six semaines, en échange de milliers de dollars en «dédommagement».
Cette loi a mis la table à d’autres initiatives visant à limiter l’avortement. Entre le 1er janvier et le 15 mars 2022, 1844 mesures liées à la contraception et à l'avortement ont été introduites dans 46 États, selon l'institut de recherche Guttmacher, qui milite pour le droit des femmes à contrôler leur corps.
«La classe politique a pris ça comme un feu vert pour avancer avec [ses] propres lois anticonstitutionnelles et décime depuis l'accès à l'avortement, État par État, région par région», estime Alexis McGill Johnson, présidente de l'organisation Planned Parenthood, qui gère de nombreuses cliniques pratiquant des interruptions volontaires de grossesse.
Dans le Missouri, un élu a justement proposé d'interdire aux femmes de mettre un terme à une grossesse extra-utérine, bien qu'elle ne soit pas viable et qu'elle mette la patiente en danger. Un de ses collègues a aussi suggéré d'empêcher les femmes de cet État d'aller se faire avorter ailleurs.
L'Idaho a adopté la semaine dernière une loi similaire à celle du Texas. Cette loi, signée mercredi par le gouverneur, permet aux familles de femmes ayant subi une IVG - ainsi qu’aux pères du foetus, même s’il est le résultat d’un viol - de porter plainte contre les cliniques ou médecins qui ont effectué l’intervention.
L'Oklahoma, le Missouri et le Wisconsin ont des textes comparables sur les rails.
Pourquoi le mouvement anti-avortement est-il en progression aux États-Unis?
Dans les dernières années, le mouvement anti-avortement a pris du galon aux États-Unis. Et Donald Trump n’y est pas étranger.
«Avec l’administration Trump [de 2017 à 2021], il y a eu une légitimation de ce discours au niveau de la Maison-Blanche, soutient Andréanne Bissonnette. Il y a eu des nominations à la Cour suprême, mais également des nominations dans tout le système judiciaire, de juges qui sont plus favorables à ce type de discours.»
Quel rôle la Cour suprême pourrait-elle jouer?
Après avoir basculé vers la droite, la Cour suprême pourrait faire revenir les États-Unis en arrière.
Plusieurs États s’activent effectivement à mettre en place des lois qui vont à l’encontre de Roe v. Wade, une décision de la Cour suprême de 1973 garantissant aux femmes le droit d'avorter pendant les deux premiers trimestres de grossesse. Si des lois sont contestées, notamment par des organismes pro-choix, elles pourraient se retrouver devant la Cour suprême, qui pourrait renverser Roe v. Wade.
En décembre dernier, certains juges de la Cour suprême ont d’ailleurs évoqué ouvertement la possibilité d’annuler l’arrêt Roe v. Wade lors de l’examen d’une loi du Mississippi réduisant à 15 semaines le délai pour avoir recours à l'avortement. Une décision de la Cour suprême sur cette loi, attendue en juin, pourrait être significative pour l’avenir du droit à l’avortement dans le pays.
Le président Joe Biden, qui est démocrate, ne peut-il pas arrêter le mouvement anti-avortement?
Tout d’abord, il faut savoir qu’un président n’a pas le pouvoir d'infirmer une décision de la Cour suprême, rappelle Andréanne Bissonnette.
Le Congrès, à majorité démocrate, a toutefois le pouvoir d’intervenir pour réglementer l’avortement aux États-Unis. Des divisions parmi les élus − et à l’intérieur même du Parti démocrate − ont toutefois mis des bâtons dans les roues de l’administration Biden.
Un projet de loi qui aurait permis de codifier le droit à l’avortement avait été approuvé à la Chambre en automne, avant d’être rejeté au Sénat en février, à cause du sénateur démocrate Joe Manchin, qui est anti-choix. Comme le Sénat est composé de 50 républicains et de 50 démocrates, ces derniers doivent voter à l’unanimité ou s’entendre avec des élus de l’autre côté de la Chambre.
L’avortement: un enjeu électoral?
Aussi surprenant que cela puisse paraître – surtout vu du Québec en 2022 –, l’avortement risque d’être l'un des thèmes principaux des élections de mi-mandat, en novembre prochain. Comme le remarque Andréanne Bissonnette, cette question pèse déjà dans le choix des candidats.
Au Texas, par exemple, deux candidats démocrates pour la Chambre des représentants avec des positions opposées sur l’avortement se sont déjà affrontés pour représenter leur parti en novembre prochain. C’est finalement Henry Cuellar, qui siège déjà et qui serait «le dernier démocrate anti-avortement à la Chambre», qui l’a emporté, au terme d’une lutte ultra-serrée contre une jeune femme.
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Des inquiétudes pour la communauté LGBTQ+
Ces nouvelles lois sont également une mauvaise nouvelle pour la communauté LGBTQ+, qui est dans la ligne de mire de certains élus républicains.
En mars, la Floride a voté en faveur d’une loi qui interdit que l’on enseigne des concepts liés à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre dans les écoles publiques.
Au même moment, le gouverneur républicain du Texas, Greg Abbott, a ordonné au système de protection de l’enfance de son État de traiter les demandes de traitements pour changement de sexe comme de la maltraitance des enfants. Dans les derniers mois, le gouverneur avait d’ailleurs échoué à faire adopter plusieurs autres lois anti-trans.
Des législateurs républicains d’au moins 27 États différents auraient mis en place des lois pour limiter les droits des jeunes transgenres.
− Avec des informations de l'AFP