Enfin, les pétrolières seront obligées de réduire leurs émissions de GES (mais pas avant 2030)
Élizabeth Ménard
Les entreprises pétrolières et gazières canadiennes seront légalement contraintes de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) grâce à un nouveau règlement dont Ottawa a révélé jeudi les grandes lignes, après de multiples délais.
Promis depuis l’élection fédérale de 2021, le règlement entrera seulement en vigueur progressivement entre 2026 et 2030. Selon les projections, il est attendu qu’il entraîne une réduction des émissions de 16 à 20% sous les niveaux de 2005, en 2030, et permette d’atteindre la carboneutralité de ce secteur en 2050.
«Ce qu'on présente aujourd’hui est historique dans le monde puisqu’aucun autre pays producteur de pétrole et de gaz ne propose de faire la même chose que le Canada», a déclaré le ministre de l’Environnement et du Changement climatique Steven Guilbeault, accompagné des ministres des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, et de l’Emploi, Randy Boissonnault, en conférence de presse, jeudi.
Limiter les émissions, pas la production
Le règlement a pour but de limiter les GES qui sont émis par l’exploitation du pétrole et du gaz, mais pas de limiter la production en elle-même.
L’industrie pétrogazière prévoit augmenter sa production au cours des prochaines années. Elle devra donc se tourner vers des technologies de captage, stockage et utilisation du CO2, entre autres, pour se conformer au règlement. Pour le moment, aucune usine de captage et de stockage du CO2 n’opère à grande échelle au Canada, mais plusieurs sont en développement.
C’est d’ailleurs pour cette raison que le gouvernement prévoit un si long délai avant l’entrée en vigueur du règlement, ont justifié les ministres.
«Ça ne se fait pas en claquant des doigts. On doit leur donner le temps de s’adapter et de faire les investissements nécessaires», a fait valoir M. Guilbeault.
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Plafonnement, échange et crédits compensatoires
Le règlement s’appuie sur un système de plafonnement et d’échange de droits d’émissions. Selon le plan, Ottawa distribuerait gratuitement les unités d’émissions aux entreprises visées. La première année, en 2030, le plafond serait fixé dans une fourchette de 106 à 112 mégatonnes (Mt) de CO2. L'industrie aurait toutefois la possibilité de dépasser ce plafond de 25 Mt en contrepartie de l’achat de crédits compensatoires ou d’investissement dans un fonds de décarbonation.
«L’approche est conçue pour veiller à ce que les émissions de GES diminuent au fil du temps tout en permettant d’augmenter la production», a-t-on mentionné lors d’une présentation aux médias.
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Trop tard
Les organismes Équiterre et Réseau Action Climat (CAN-Rac) ont salué le dépôt du cadre règlementaire, mais dénoncé son délai de mise en œuvre.
«Dans sa forme actuelle, le cadre manque d’ambition et de rigueur. Il comporte trop d’échappatoires, dont les crédits compensatoires, et il entrera seulement en vigueur en 2026, ce qui est bien trop tard si on souhaite que le secteur pétrogazier fasse réellement sa part », a déclaré l’analyste des politiques climatiques chez Équiterre, Andréanne Brazeau.
Qu’est-ce qu’un système de plafonnement et d’échange?
En gros, le gouvernement fixe un plafond d’émissions à ne pas dépasser et émet un nombre de «permis de polluer» équivalent à ce plafond. Le plafond et le nombre de permis alloués sont abaissés d’année en année ce qui fait diminuer les GES émis. Les entreprises qui réussissent à abaisser leurs émissions en dessous de la limite prévue se retrouvent avec des permis de polluer inutilisés qu’elles peuvent vendre à d’autres entreprises qui n’auraient pas réussi à se conformer.
Dans le cas du système canadien dont il est question ici, une souplesse a été consentie à l’industrie qui aura le droit de payer pour dépasser le plafond de 2030 jusqu’à concurrence de 25 Mt. Elle pourrait le faire en achetant des crédits compensatoires, c’est-à-dire des réductions d’émissions qui auraient été réalisées dans d’autres secteurs, ou en investissant dans un fonds de décarbonation.
Les crédits compensatoires qui seront admissibles n’ont pas été définis tout comme l’utilisation qui sera faite du fonds de décarbonation.
Au Québec, un système similaire est déjà en place depuis 2013 et n’a pas encore démontré son efficacité.
Qu’est-ce que le captage, le stockage et l’utilisation du CO2?
Ce sont plusieurs technologies qui permettent d’aller chercher le CO2 dans l’air ambiant ou à la sortie d’une cheminée (captage) puis de l’enfouir sous terre (stockage) ou de l’utiliser à d’autres fins (utilisation) comme pour fabriquer de l’urée qui servira ensuite d’engrais. Le but est toujours le même: éviter qu’il se retrouve dans l’atmosphère et participe au réchauffement climatique.
Dans son sixième rapport, publié en 2022, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), notait le caractère «essentiel» de ces technologies pour atteindre la carboneutralité et limiter le réchauffement climatique. Les auteurs ont toutefois mis en garde contre leur surutilisation.
On peut y lire que le monde pourra atteindre la carboneutralité grâce à «une réduction substantielle de l’utilisation des combustibles fossiles, la capture et le stockage du CO2 et une utilisation minimale des combustibles fossiles impossibles à éviter».