Enceinte de 7 mois: «Me laisserais-tu ta place si tu me voyais dans le métro?»
Sarah-Florence Benjamin
C’est la question qu’a posée Élizabeth Ménard sur les réseaux sociaux, accompagnée d’une photo où elle est visiblement enceinte. «J’ai l’air de ça, mais on ne me cède jamais son siège», écrit-elle, excédée. Même si des places leur sont réservées dans les transports en commun, il est encore difficile pour les personnes à mobilité réduite de s’y asseoir quand elles en ont besoin.
• À lire aussi: Injustice: «Nous ne sommes pas tous égaux devant les changements climatiques»
• À lire aussi: Les personnes handicapées sont les grandes oubliées de la crise climatique
En 7 mois de grossesse, Élizabeth Ménard, cheffe de contenu au 24 heures, se souvient de ne s’être fait céder une place assise qu’une seule fois dans le métro. Pourtant, elle estime que son ventre arrondi est difficile à manquer: «Même au tout début de ma grossesse, ça paraissait beaucoup. En plus, je m’arrange pour montrer ma bedaine, j’ouvre mon manteau, je mets des vêtements moulants.»
Malgré cela, impossible pour elle de s’asseoir dans un train bondé. «Les gens ne me voient pas, ils regardent leur téléphone et sont dans leur bulle», explique-t-elle. Elle considère que les gens devraient être plus attentifs aux personnes à mobilité réduite dans les transports, surtout quand ils occupent un siège réservé.
Selon un sondage britannique, seulement 60 % des 2000 répondants pensent qu’il est nécessaire de céder sa place à une femme enceinte dans les transports en commun. Près du tiers estime qu’on doit offrir son siège à une personne enceinte seulement si c’est visible, avec seulement 12 % d’entre eux considérant qu’il est nécessaire de céder sa place à une femme lors des 12 premières semaines de grossesse.
Élizabeth Ménard croit que le public n’est pas assez sensibilisé aux effets de la grossesse sur le corps. «Moi-même, je ne le savais pas avant d’être enceinte. En ce moment, j’ai de la difficulté à tenir debout tellement je suis essoufflée. Je fais de l’anémie et du diabète de grossesse. On me regarde et on assume que je suis en forme parce que je suis assez mince, mais ce n’est pas du tout le cas!»
L’effet de groupe en cause
L’inattention et le manque de savoir-vivre peuvent entrer en cause lorsque les gens ne cèdent pas leur place dans les transports, explique le Dr Oliver Scott Curry, spécialiste du comportement humain de l’Université Oxford interviewé à ce sujet par la BBC. Il invoque aussi l’effet de groupe, où tout le monde s’attend à ce que quelqu’un d’autre cède sa place à la personne qui en a besoin.
• À lire aussi: Les personnes handicapées, les grands oubliés de la guerre aux pailles en plastique
Qu’en est-il des personnes assises dans un siège réservé aux personnes à mobilité réduite? La crainte de proposer son siège à une personne qui n’est pas vraiment enceinte, pas vraiment âgée ou sans problème de mobilité vient paralyser certains usagers, selon le Dr Curry. Selon le même sondage, 20% des répondants affirment ne pas offrir leur place de peur de se tromper et de créer un malaise.
Par ailleurs, une personne enceinte sur cinq avoue aussi ne pas oser demander un siège lorsqu’on ne lui offre pas.
Un enjeu constant pour les personnes à mobilité réduite
L’accès aux sièges prioritaires n’est pas seulement difficile pour les personnes enceintes, mais pour toutes les personnes qui ont des limitations physiques et mentales, rappelle Serge Poulin, directeur général du Regroupement des usagers du transport adapté et accessible de l’île de Montréal (RUTA Montréal).
«Ç’a été un gros problème pour ces usagers, particulièrement pendant la pandémie où les sièges réservés ont été enlevés pour respecter les mesures sanitaires», relate-t-il.
Serge Poulin rappelle que les impacts peuvent être beaucoup plus grands qu’on ne le pense quand les personnes qui ont besoin du siège prioritaire ne peuvent y accéder.
«Les gens peuvent faire des chutes, ou se retrouver désorientés s’ils sont trop loin du chauffeur, explique-t-il. À la longue, ces personnes-là peuvent arrêter de prendre le transport parce qu’elles ne sont pas à l’aise.»
Le RUTA travaille en collaboration avec la STM pour rendre le réseau le plus accessible possible, mais quand il est question des sièges prioritaires, son directeur général insiste sur la sensibilisation du public.
«Il ne faut pas seulement répéter aux gens qu’il faut laisser leur siège, il faut aussi leur montrer pourquoi ces personnes doivent s’asseoir en priorité, sinon ça ne fonctionnera pas», fait valoir le directeur général du regroupement.
Il donne en exemple certaines personnes sur le spectre de l’autisme, qui même si elles n’ont pas de problème de mobilité doivent s’asseoir près du chauffeur d’autobus pour éviter d’être déstabilisées et d’entrer en crise durant le trajet.
Des raisons parfois invisibles
Il se peut que la raison pour laquelle quelqu’un a besoin du siège prioritaire soit invisible, comme c’est le cas pour les personnes sourdes, les personnes qui ont un trouble de l’équilibre, les personnes qui souffrent d’une maladie chronique, etc.
C’est pour venir en aide à ces personnes que la société de transports de Londres (Transport for London) a lancé la campagne Please offer me a seat. Des badges gratuits sont à la disposition des usagers qui auraient besoin de s’asseoir pour communiquer clairement leur besoin d’utiliser les sièges prioritaires sans que ceux-ci aient besoin de le demander directement.
Une telle campagne n’est pas en vigueur à Montréal, mais Serge Poulin se dit optimiste quant à la bonne foi du public: «Il faut le répéter et que la signalétique soit claire, mais une fois que les gens savent qu’il faut laisser la place, je fais confiance à leur jugement.»
Il ajoute qu’un travail d’éducation populaire est nécessaire pour informer les personnes à mobilité réduite des accommodements auxquels ils ont droit dans les transports en commun.
Une question de courtoisie
Il n’est pas obligatoire de laisser sa place à une personne à mobilité réduite dans le transport en commun, qu’on soit assis sur un siège réservé ou non. Selon la Société de transport de Montréal, il s’agit d’«un bon comportement que nous invitons nos clients à adopter dans le transport collectif». C’est donc une suggestion et non un règlement.
• À lire aussi: Voici pourquoi ces étudiants préfèrent l'enseignement virtuel à l'école en présentiel
Cependant la STM souligne l’importance de rester attentif lorsqu’on occupe une place assise. «Nous rappelons aussi que la condition qui fait qu’une personne peut avoir besoin de s’asseoir n’est pas toujours visible. Cette marque de courtoisie et de civisme demeure un enjeu dans notre réseau.»
Depuis le 25 février 2020, les sièges réservés ont été peints en gris pour les différencier des autres. De plus, les chauffeurs d’autobus ont accès à un message préenregistré dans leur console pour inciter les usagers à céder leur place à quelqu’un qui en aurait besoin, ou de laisser de l’espace pour qu’une personne en fauteuil roulant puisse passer.
Le grand nombre de nouvelles consignes à transmettre aux usagers durant la pandémie a fait écarter les sièges prioritaires des dernières campagnes de la STM. Une nouvelle offensive de sensibilisation à travers le réseau est prévue pour 2023.