En Ukraine, les soldats russes volent tout sur leur passage
Gabriel Ouimet
Vêtements, œuvres d’art, voitures, machinerie de ferme, récoltes de grains, équipement de camping: les pilleurs russes s’en donnent à cœur joie en Ukraine depuis le début de la guerre. Dans certains cas, ces vols pourraient contribuer à la violence commise envers les civils, estime une experte.
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Les témoignages d’Ukrainiens regagnant leur maison saccagée et dépouillée se multiplient depuis que l’armée russe a commencé à se retirer de certaines régions du pays. Des crimes qui seraient majoritairement commis par des combattants de Moscou, bien que certains Ukrainiens aient été aperçus en train de piller leurs concitoyens.
De retour dans son petit village en banlieue de Kïyv, Natalia Samson a retrouvé sa maison complètement dévalisée. Parfums, bouteilles de vin, scooters, pièces de monnaie, vêtements: tout ce qui avait le moindrement de la valeur a disparu, a-t-elle raconté au quotidien britannique The Guardian.
Une douzaine de maisons de la rue principale du village ont aussi été pillées, ainsi que les commerces. «Les gens les ont vus simplement charger tout ce qu'ils pouvaient dans des camions, tout ce qui leur tombait sous la main», a expliqué Natalia Samson.
D'autres villageois ont déclaré s’être fait voler des machines à laver, de la nourriture, des ordinateurs portables et même un canapé.
Équipement agricole, récoltes et œuvres d’art
Dans les régions de Kherson et Zaporijjia, des zones agricoles du sud du pays, les forces russes auraient dévalisé des concessionnaires d’équipements agricoles, ainsi que plusieurs fermes. Un butin évalué à plus de 5 millions de dollars américains aurait été volé dans un magasin John Deer de Melitopol, avant d’être expédié en Tchétchénie à l’aide de véhicules militaires russes.
Les soldats auraient également volé plus de 400 000 tonnes de céréales aux agriculteurs de ces régions, en plus de saboter les champs et de perturber les activités fermières, ont indiqué les autorités ukrainiennes.
La situation pourrait d'ailleurs avoir des conséquences partout sur la planète, puisque de nombreux pays — notamment sur le continent africain — dépendent des livraisons de l’Ukraine, qui exportait avant la guerre 4,5 millions de tonnes de produits agricoles par mois. À l’échelle mondiale, le pays de Volodymyr Zelensky produit 12% du blé, 15% du maïs et 50% de l’huile de tournesol.
Les soldats russes sont aussi accusés de s’être servis dans les musées ukrainiens. À Marioupol, plus de 2000 œuvres auraient été volées, dont certaines de valeur inestimable, selon les autorités ukrainiennes. À Melitopol, des objets en or vieux de plus de 2300 ans ont été dérobés.
Des vols systématisés?
Le pillage, comme d’autres crimes de guerre plus graves, est interdit et réglementé par de nombreuses conventions en droit international.
«La guerre n’est pas un prétexte pour sombrer dans l’anarchie, rappelle Me Miriam Cohen, professeure de droit international à l’Université de Montréal. Si la preuve pouvait être faite que ces vols sont systématisés, des dirigeants russes pourraient être condamnés à la prison, même s’ils n’ont pas commis ces vols personnellement.»
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En Ukraine, comme dans chaque conflit armé, la Cour pénale internationale ne peut faire le procès de chaque soldat ayant commis un crime de guerre. Elle cherche plutôt à inculper «les gens les plus responsables», soit les hauts placés de l’armée ou du gouvernement, soutient Me Cohen.
Les enquêteurs de la CPI, aidés de plusieurs organisations présentes en Ukraine, travaillent ainsi à collecter et évaluer les preuves les plus crédibles, qui pourraient servir aux procureurs lors de procès en Ukraine.
Parmi ces preuves: des images diffusées sur les médias sociaux, notamment celles de caméras de surveillance, qui semblent montrer que plusieurs des pillages ont été commis avec des véhicules de l’armée russe, ce qui laisse croire à l’existence d’un système organisé au sein des forces de Moscou.
Les soldats ukrainiens ayant pillé pourraient aussi être inculpés de crime de guerre devant la CPI, tandis que les civils seraient jugés devant d'autres instances, ajoute Miriam Cohen.
Éliminer les témoins
Ces preuves sont d’ailleurs craintes par les pilleurs russes. Le premier soldat à avoir été trouvé coupable de crime de guerre, Vadim Chichimarine, a affirmé, lors de son procès, avoir exécuté un civil ukrainien de peur d’être dénoncé pour le vol d’une voiture.
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Des histoires comme celle de ce jeune soldat, il pourrait y en avoir à répétition en Ukraine, prévient Aude Merlin, professeure de science politique à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et spécialiste de la Russie et des combattants des conflits armés postsoviétiques.
«Théoriquement, le pillage est interdit au sein de l’armée russe. Comme il y en a énormément, la peur qu’il y ait des témoins de ce pillage à grande échelle contribue à des mécanismes de passage à l’acte en matière d’exaction. Il est fort probable que cette peur d’être dénoncé, surtout chez les jeunes soldats sans expérience, ait mené à des comportements du genre un peu partout en Ukraine», soutient-elle.
− Avec les informations de The Guardian, CNN et AFP