Auger-Aliassime est passé si près...
Jessica Lapinski
Félix Auger-Aliassime n’a pas battu Daniil Medvedev en quarts de finale des Internationaux d’Australie, mais le Québécois peut se targuer d’avoir eu le numéro 2 mondial dans les câbles et d’avoir été à un tout petit point de triompher. Un exploit en soi, face à l’un des hommes forts du moment sur l’ATP.
Cette défaite in extremis de 6-7 (4), 3-6, 7-6 (2), 7-5 et 6-4, encaissée mercredi matin, heure du Québec, est un grand pas en avant pour Félix après deux sorties laborieuses face au Russe, au dernier US Open puis à la Coupe ATP, début janvier.
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«C’est dommage que je n’aie pas pu gagner, mais ce fut un bon match, a pointé le neuvième favori en conférence de presse. J’ai montré de belles choses.
«J’ai toujours pensé que je pouvais présenter ce niveau de jeu, a-t-il affirmé. Mais il y a une différence entre le croire et le réaliser. J’estime avoir lancé un bon message aux autres joueurs. Je suis prêt à me frotter aux meilleurs, je l’ai prouvé match après match», a-t-il poursuivi.
Une balle de match
En entrevue, le joueur de 21 ans était posé, en apparence serein malgré la défaite.
Pourtant, le revers face à Medvedev est d’autant plus crève-cœur que le résultat de cette dure bataille, conclue au terme de 4 h 42 min de jeu, aurait été inversé si Félix avait concrétisé la balle de bris que lui a offerte son rival à 5-4 en quatrième manche.
Le Russe, favori à Melbourne en l’absence du Serbe Novak Djokovic, l’a effacée grâce à son imposant service.
Il a finalement créé l’égalité dans le match, après avoir été mené deux manches à zéro.
Deux sets au cours desquels la fierté de L’Ancienne-Lorette s’est montrée dominante, répondant coup pour coup au jeu de Medvedev.
Un calibre «fou»
Félix a notamment brillé au service durant la grande majorité de l’affrontement, avec 18 as contre seulement quatre doubles fautes et, surtout, un impressionnant 78 % de points remportés sur sa première balle.
Mais le champion des Internationaux des États-Unis a ravi le billet pour les demi-finales en profitant des largesses du Québécois au début du set ultime.
Il a brisé son jeune adversaire tôt dans la manche. Auger-Aliassime a bien profité à son tour d’une occasion de briser à 4-3, mais il a vu sa chance de niveler la marque s’envoler lorsqu’il a commis une erreur du revers.
«Je n’avais plus aucune confiance après les deux premières manches, a concédé Medvedev. Son calibre de jeu était fou. Je ne l’avais jamais vu jouer ainsi, du moins contre moi ou à l’entraînement.»
«Peut-être a-t-il déjà joué comme ça par le passé, je ne vois pas tous ses matchs. Mais moi, je ne l’avais jamais vu ainsi. C’était fou.»
Inspiré par Djokovic
Medvedev n’est toutefois pas numéro 2 mondial pour rien. Le joueur de 25 ans s’est accroché, aidé notamment par la fermeture du toit, qui a fait baisser la température sur le central.
Et, a-t-il admis sur le terrain, il s’est inspiré de celui qui le devance au classement. Une révélation qui, en raison de la controverse entourant Djokovic et son expulsion de l’Australie, lui a valu quelques huées des partisans.
«Entre les manches, je n’avais aucune confiance en moi. Je me suis demandé: qu’est-ce que les meilleurs joueurs au monde feraient?» a-t-il précisé en point de presse.
«J’en fais partie, mais je suis encore loin au chapitre des victoires en grand chelem. Chaque fois que je me sentais débordé, je me disais: fais comme Novak. Montre-lui que tu es le meilleur.»
Comme les meilleurs
La formule a bien marché et Medvedev affrontera, jeudi soir ou la nuit suivante, le Grec Stefanos Tsitsipas (quatrième favori) pour une place en finale. Tsitsipas a éliminé l’Italien Jannik Sinner (11e) en trois manches sèches de 6-3, 6-4 et 6-2.
L’autre demi-finale masculine mettra aux prises l’Espagnol Rafael Nadal (sixième) et l’Italien Matteo Berrettini (septième).
Quant à Auger-Aliassime, il quitte Melbourne fort d’un troisième quart de finale (ou mieux) en autant de majeurs.
Le Québécois a fait montre de beaucoup de ténacité au cours de la quinzaine.
Dès le premier tour, Félix a trimé dur pour venir à bout du Finlandais Emil Ruusuvuori, 90e au monde, contre qui il tirait de l’arrière deux sets à un.
Il a ensuite battu le Britannique Daniel Evans (24e) et le Croate Marin Cilic (27e), deux joueurs qu’il n’était jamais parvenu à vaincre par le passé.
Le jeune membre du top 10 part aussi de Melbourne avec une bonne idée des aspects de son jeu à peaufiner pour progresser davantage.
«Je vais quitter l’Australie la tête haute et je vais amorcer le reste de la saison en sachant que je peux bien jouer contre les meilleurs au monde», a affirmé Félix.
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Félix continuera à progresser
Dans la défaite, Félix Auger-Aliassime a livré l’une des plus belles performances de sa carrière. Mais ce qui est «formidable» avec le jeune joueur, estime Eugène Lapierre, c’est «qu’il continue à progresser à chaque étape de sa carrière».
Déjà, le niveau de jeu présenté par Félix face à Daniil Medvedev mercredi était à des années-lumière de ses performances récentes face au Russe, aux derniers Internationaux des États-Unis et à la Coupe ATP.
Le Québécois avait alors encaissé des revers de 6-4, 7-5 et 6-2 (à New York), puis de 6-4 et 6-0 (à Sydney).
«[Mercredi], Félix a commis moins d’erreurs, il tenait mieux dans les longs échanges», a relevé M. Lapierre, directeur de l’Omnium Banque Nationale de Montréal.
«Dans ses autres matchs contre Medvedev, quand il y avait un long échange, on était sûr que le Russe allait gagner le point. On avait l’impression qu’il y avait ce genre de "pattern", mais pas [mercredi]. Et il a très bien servi.»
«Medvedev est quelqu’un qui lui a posé beaucoup de problèmes par le passé. Mais là, Félix a fait jeu égal, il a même dominé des sets. C’est très très encourageant pour le futur», a ajouté l’ancien entraîneur du Québécois, Guillaume Marx, qui occupe maintenant les fonctions de chef de la performance chez Tennis Canada.
Dans le top 10 pour y rester
Ancien directeur d’une académie de tennis dans la région de Québec, Jacques Hérisset est un proche de la famille Aliassime. Il se réjouit de voir un garçon d’ici livrer pareille performance sur la plus grande scène et servir d’exemple pour les athlètes d’ici.
Il abonde aussi dans le même sens que M. Lapierre: «Félix a travaillé très fort au niveau mental et physique dans les derniers mois, a souligné M. Hérisset. Mais le plus beau avec lui, c’est qu’il y a encore de la place pour de l’amélioration.»
Eugène Lapierre, lui, semble d’ailleurs convaincu d’une chose: à la lumière de sa récente progression, la jeune étoile du tennis «est dans le top 10 pour y rester».
Auger-Aliassime devrait d’ailleurs demeurer au neuvième rang mondial lors de la nouvelle parution du classement de l’ATP, lundi. Il disputera son prochain tournoi à Rotterdam, aux Pays-Bas, du 5 au 13 février.
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Il doit apprendre à mieux jouer les points clés
Tant Félix Auger-Aliassime que les experts en tennis consultés mercredi s’entendent sur une chose: pour battre les meilleurs, le Québécois devra apprendre à mieux jouer les points importants.
Questionné à savoir ce qui lui a manqué pour arracher la victoire à Daniil Medvedev mercredi, Félix a d’abord répondu, sourire en coin: «Un point.» Puis, le jeune joueur a renchéri: «Le niveau de jeu était très bon. Avec le temps, je vais apprendre à capitaliser sur mes opportunités.»
Guillaume Marx, ex-entraîneur du neuvième mondial, a aussi constaté que le calibre de jeu de son ancien protégé se rapprochait de plus en plus de celui des grandes têtes de série. «Ce qui lui manque, c’est un peu de temps et d’expérience», a soulevé le chef de la performance de Tennis Canada.
«Le match s’est joué sur les gros points. Les balles de bris, les 30-30. Une rencontre comme celle-ci va lui permettre de mieux connaître les points importants, et comment les aborder», a souligné Eugène Lapierre, directeur de l’Omnium Banque Nationale de Montréal.
Jacques Hérisset, qui a longtemps dirigé son académie de tennis dans la région, propose pour sa part qu’Auger-Aliassime opte plus souvent pour des montées au filet.
Une stratégie adoptée par le Suisse Roger Federer il y a quelques années, afin d’écourter les points. «Contrairement à Federer, le but de Félix ne sera pas d’économiser de l’énergie, mais de casser le rythme. Les joueurs jouent de plus en plus loin de la ligne de fond, a-t-il pointé. Et Félix possède de bonnes mains.»