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L'article provient de Le Journal de Montréal
Culture

«Du soleil plein la tête»: La beauté imparfaite de l’amour

tirée d'IMDB
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Victor Norek

22 février à 19h
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Ce froid hivernal, la Saint-Valentin et la nouvelle piste de patin à travers le parc Laurier m’ont fait songer à ce plan sur la glace où sont allongés Kate Winslet et Jim Carrey, qui me met littéralement Du soleil plein la tête, et je tenais à le partager avec vous. 

Sorti en 2004, ce film nous raconte l’histoire de Joel (Jim Carrey), qui engage l’entreprise Lacuna afin de lui enlever les souvenirs de sa relation avec la fougueuse Clémentine (Kate Winslett).

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Nous voyons alors se dérouler leur relation à l’envers, de leur séparation à leur rencontre, à mesure que les souvenirs de Joel disparaissent et qu’il se met à regretter son geste.

Si la narration semble elliptique et décousue à travers plusieurs temporalités, le génial réalisateur Michel Gondry nous permet toujours de savoir où nous nous situons dans la relation de Joel et Clémentine, grâce aux cheveux de cette dernière.

En effet, lors de leur rencontre, ses cheveux évoquent le vert du printemps, naissance de l’amour, puis évoluent en rouge, celui du feu de la passion pendant l’été de leurs sentiments. Lorsque ceux-ci tournent à l’orange, ils évoquent l’automne de leur liaison, le moment où ils se disputent, alors que ses cheveux bleus renvoient au froid hivernal, symbolisant leur séparation. Un bleu qui, à la racine, en se mélangeant à leur blond naturel, se transforme en vert, signe de la possibilité d’un nouveau cycle des saisons, éternel recommencement.

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L’imperfection de la vie

Le cinéaste a réalisé ce long métrage de sa façon si particulière et personnelle : pratiquement sans postproduction, avec 95 % des effets visuels délirants réalisés à même le plateau, à l’aide de doublures et d’effets pratiques.

Gondry n’a jamais utilisé un fond vert de sa vie et y est résolument allergique.

Cette volonté redouble celle de la petite entreprise Lacuna, qui fait cette opération hasardeuse directement chez les gens, avec des techniciens qui bricolent à la main, comme Gondry lui-même.

tirée d'IMDB
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Cette façon d’avoir une esthétique imparfaite renvoie au propos du film, qui est de chérir l’imperfection ontologique de la vie, des relations et surtout de la personne avec laquelle on partage sa vie.

Gondry compare cela à un concert en direct, où le groupe réinterprète chaque fois sa musique, quelque chose qui se fait sur l’instant, complètement unique, que l’on n’expérimentera plus jamais, se transformant en souvenir, comme ceux que Joel cherche à effacer.

Or, l’être humain se construit sur une somme de souvenirs, bons et mauvais, qui forment notre personnalité et font que nous sommes toujours différents à chaque instant de notre vie. Ce soleil plein la tête, qui les éblouit et transforme leur mémoire en un voile blanc et vierge, est justement ce contre quoi s’élève le cinéaste, qui semble dire que ses personnages, en effaçant leurs souvenirs, sont condamnés à vivre dans une boucle temporelle où ils ne pourront jamais évoluer, répétant leur histoire d’amour qui semble vouée à l’échec.

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C’est la signification de ce fameux plan sur la glace, où cette étendue blanche est fracturée, une non-perfection qui la rend justement extraordinaire.

Accepter l’incertitude

Michel Gondry va explorer les différentes étapes du deuil pour nous dire que la peine et le chagrin sont quelque chose d’important et qu’il ne faut pas les oublier. Comme la glace sur laquelle ils sont allongés, nous sommes tous brisés à l’intérieur et c’est cela qui fait notre complexité et notre profondeur.

Nous ne sommes pas juste une surface lisse, plate et blanche, et il est mieux d’avoir aimé et perdu que de ne pas avoir aimé du tout.

tirée d'IMDB
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Alors que Clémentine s’aventure sur cette étendue gelée, Joel a peur de marcher dessus, de peur qu’elle ne se rompe.

Ce plan résume ainsi tous les enjeux de leur relation et de la thématique de cette œuvre : est-ce que Joel devrait s’y aventurer alors qu’il sait qu’elle risque de craquer ?

Savoir que cela peut potentiellement advenir ne signifie pas forcément que le pire est certain. Il faut savoir tenter sa chance et profiter de l’instant présent plutôt que dans l’angoisse perpétuelle de l’avenir. Voilà le cœur de ce film qui ne fait que se bonifier avec l’âge et qui n’a jamais été aussi actuel que dans notre monde au futur si incertain.

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