Dix histoires dans les coulisses du repêchage (la suite)
Louis-André Larivière
L’encan de la LNH compte son lot de jubilations et de déceptions. Mais on ignore souvent, loin des caméras, ce qui se trame dans les coulisses.
Quatre agents de joueurs influents ont accepté de raconter au TVASports.ca certains souvenirs impérissables vécus avec leurs clients, protagonistes aux premières loges du repêchage. Vous pouvez lire les autres témoignages ici.
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Lindros fait trembler les colonnes du Colisée
Le repêchage de la LNH est le bercail d’une génération à venir, qui permet parfois à une organisation de recruter un joueur d’exception.
C’est ce qui devait arriver aux Nordiques de Québec en 1991. Pourtant, c’est sous d’autres cieux que le «Next One» allait s’établir comme prochaine supervedette de la ligue.
Depuis 1991, le nom d’Eric Lindros est synonyme d’amertume à Québec. Pas seulement pour les partisans.
«C’est la plus grande déception que j’ai vécue dans un encan de la LNH, où c’est normalement un moment d’excitation pour les joueurs et leurs familles», confie d’emblée l’agent Rick Curran, du Orr Hockey Group.
Appelé au podium du Memorial Auditorium de Buffalo par le Fleurdelysé, détenteur de la première sélection, c’est dans la tourmente que Lindros monte pour récupérer son chandail bleu-rouge-blanc. En fait, il avait déjà signifié au club qu’il n’allait jamais s’y rapporter. Il a tenu promesse.
Ce que plusieurs ignorent, cependant, c’est que ce refus catégorique n’avait aucun lien avec la langue officielle ni la culture du Québec (son épouse est d’ailleurs Québécoise).
«La famille en voulait aux Nordiques pour la façon dont ils ont manipulé leur position favorable au repêchage, obtenue simplement en perdant. Plusieurs dans le milieu croient maintenant que c’est ce qui a mené aux changements de la formule pour déterminer l’ordre de sélection.
«Ce que Marcel a exécuté à l’époque est maintenant plus difficile à accomplir en vue du repêchage.»
L’année suivante, le repêchage s’est transporté au Forum de Montréal et des enchères pour Lindros ont eu lieu dans la suite du directeur général Pierre Pagé. Quatre ou cinq équipes se sont alors manifestées, selon Curran. Puis ce nombre a été réduit à deux formations : les Flyers de Philadelphie et les Rangers de New York, qui n’offraient pas de somme d’argent.
Étrangement, des ententes ont été conclues avec... les deux organisations! Les Flyers ont eu l’assurance que Lindros s’y rapporterait et peu après, les Rangers ont téléphoné à Lindros pour lui souhaiter la bienvenue. C’était la confusion totale.
Aubut avait décidé d’accepter l’offre de la formation new-yorkaise en dépit d’une entente verbale convenue avec celle de la Pennsylvanie.
«Une très longue semaine d’arbitrage a suivi. C’était toute une expérience, raconte Curran. Une que je ne veux plus jamais vivre.»
Finalement, les Flyers ont obtenu gain de cause. En retour, les Nordiques ont reçu Chris Simon, Mike Ricci, Kerry Huffman, Ron Hextall, Peter Forsberg et Steve Duchesne, des choix de premier tour aux encans de 1993 et 1994, la somme de 15 millions $ et des considérations futures.
Fleury, l’enfant chéri
Allan Walsh, l’influent représentant de la firme Octagon Hockey, représente plusieurs athlètes qui connaissent des carrières florissantes dans la LNH. David Perron et Jonathan Huberdeau, pour n'en nommer que quelques-uns.
Ces joueurs possèdent aussi un lien qui tisse la toile de l’agence Octagon.
«Ils ont tous été sélectionnés très haut au repêchage», souligne Walsh.
Parmi eux, Marc-André Fleury. Le gardien des Screaming Eagles du Cap-Breton se présente à l’encan de 2003 sans savoir quand son nom allait être prononcé au micro du Gaylord Entertainment Center de Nashville, où les Panthers de la Floride repêchent au tout premier échelon.
«Personne ne savait qui allait être no 1», de raconter l’agent.
Le camp Fleury est dans l’incertitude à quelques minutes de la séance quand un coup d’éclat survient. Walsh reçoit un appel intrigant.
«Les Panthers ont échangé le choix no 1 aux Penguins et ces derniers m’ont appelé pour m’annoncer qu’ils allaient prendre Marc-André. J’étais très surpris. Nous pensions qu’il pouvait potentiellement partir aux rangs 3, 4 ou 5.
«Je l’ai amené à l’écart et je lui ai dit que j’avais de l’information pour lui. Je lui ai demandé s’il voulait que je lui dise. Il m’a dit que oui. Je lui ai annoncé qu’il serait repêché premier.
«Je regardais son visage pendant qu’il absorbait le tout et son expression faciale disait ‘’merde, je serai numéro 1!’’»
Jones, Mantha et le casse-tête de 2013
L’encan de 2013 représentait l’une des belles cuvées des 10 dernières années avec en vedette deux joueurs de la LHJMQ: Nathan MacKinnon et Jonathan Drouin.
Mais ces deux attaquants des Mooseheads de Halifax étaient répertoriés deuxième et troisième, respectivement, au classement final des patineurs nord-américains de la Centrale de recrutement de la LNH.
C’est un défenseur des Winterhawks de Portland, Seth Jones, qui pointe au premier rang de cette liste et il est le client de Pat Brisson.
«Nous étions au début du repêchage et Seth était le troisième meilleur espoir disponible pour nous, raconte l’agent de la firme CAA Sports. Il devait être pris premier ou deuxième, mais il a glissé.»
L’Avalanche du Colorado fait de McKinnon le tout premier choix, les Panthers de la Floride réclament Aleksander Barkov avec la deuxième sélection au total et le Lightning de Tampa Bay appelle Jonathan Drouin quelques instants plus tard.
Jones a poussé un soupir de soulagement immédiatement après lorsque les Predators de Nashville l’ont invité sur la scène.
«Tu as parfois des cas comme ça, quand le joueur est classé le plus haut», rappelle Brisson, qui représentait aussi un produit du circuit Courteau, cette année-là : Anthony Mantha.
Répertorié au 10e rang au classement des patineurs nord-américains, l’attaquant des Foreurs de Val-d’Or s’est présenté au repêchage avec une certaine prudence en ce qui a trait à ses attentes.
«On s’attendait peut-être à ce qu’il parte au deuxième tour», a confié Brisson.
En se présentant à la séance, les Red Wings de Detroit avaient à l’œil l’un des patineurs européens les plus intrigants de l’édition 2013 en Valeri Nichushkin et ils espéraient que le Russe soit disponible au 18e rang, a-t-il été rapporté à l'époque.
Le deuxième meilleur espoir européen a trouvé preneur au 10e rang avec les Stars de Dallas, forçant les «Wings» à revoir leurs options. Puis le téléphone du directeur général Ken Holland sonne... son homologue des Sharks de San Jose Doug Wilson est au bout du fil.
Une transaction est conclue et annoncée. Les Sharks de San Jose, qui souhaitent repêcher Mirco Mueller, sont désormais propriétaires du 18e choix et ils cèdent le 20e ainsi qu’une sélection du tour suivant au club du Michigan.
Assurés de pouvoir obtenir l’homme qu’ils ont dans leur mire, les Red Wings font de Mantha le 20e joueur sélectionné au tour initial.
Dire que certains dans l’organisation des Wings voyaient en Nichushkin un potentiel comparable à celui d’Alex Ovechkin...
Mitchell et la «poker face» des Sharks
Des surprises lors des séances de repêchage, il y en a chaque année. Celle-ci s’est produite en 2004 à Raleigh.
Quelques mois avant la tenue de ladite séance, Kent Hughes avait vanté les mérites d’un autre de ses clients auprès du directeur du recrutement des Sharks de San Jose de l’époque, Tim Burke, à l’occasion d’une partie de golf.
Mais le patineur en question, Torrey Mitchell, ne figurait pas sur la liste d’épicerie de Burke.
«Il m’a dit qu’à ce rang-là, il ciblait un autre joueur.»
L’attaquant de Greenfield Park, sur la Rive-Sud de Montréal, ne savait donc pas à quoi s’attendre en Caroline du Nord. Les Sharks n’avaient qu’une sélection au quatrième tour, le 126e choix au total.
Puis, coup de théâtre!
«Ils ont repêché Torrey. J’ai demandé à Tim pourquoi il m’a signifié qu’il n’était pas sur sa liste. Il m’a répondu ‘’je ne peux pas tout te dévoiler mon jeu!‘’»
Et l’autre joueur qu’il devait lui préférer?
«Il m’a dit qu’il n’en voulait plus!» de s’esclaffer Hughes.
Mitchell a disputé les cinq premières saisons de sa carrière à San Jose. Après des arrêts au Minnesota et à Buffalo, il a réalisé un rêve en jouant pour les Canadiens pendant près de trois ans.
Après un court passage chez les Kings, en 2018, il s’est exilé en Suisse.