Devrait-on (et pourrait-on) ramener les péages sur les routes du Québec?
Camille Dauphinais-Pelletier
À une certaine époque, il fallait payer pour passer sur plusieurs ponts et autoroutes au Québec. Par exemple, un passage sur le pont Champlain coûtait 25 sous dans les années 1980, alors que pour rouler sur l’autoroute des Laurentides, il fallait payer entre 25 et 75 sous (selon la distance parcourue) dans les années 1960!
Alors qu’on fait face à des défis de transport au Québec, la question se pose: est-ce que ça serait un bon moment pour ramener les péages sur nos routes? Pourraient-ils nous aider à financer l’entretien et le développement des routes - et peut-être même le transport en commun? On se penche sur ces questions.
Les péages au Québec
En ce moment, il n’y a que deux péages au Québec, soit sur le pont de l’autoroute 25 et sur une portion de l’autoroute 30, tous deux dans le grand Montréal. Et plus besoin d'argent comptant ni de jetons pour payer - on peut le faire automatiquement grâce à un système électronique, ou bien par carte bancaire dans le cas de la 30.
Si on remonte dans le temps, il y avait tout un tas de péages un peu partout dans la province. Plusieurs ponts ont en effet été construits par des compagnies privées, qui exigeaient des frais aux gens qui souhaitaient les emprunter.
Prenons l’exemple du pont Jacques-Cartier, qui s’appelait initialement le pont du Havre en 1930. Les tarifs suivants y étaient chargés:
- Auto: 25 sous par véhicule + 15 sous par passager supplémentaire
- Camion: jusqu’à 1,50$
- Autobus: jusqu’à 1$
- Cyclistes et piétons: 15 sous
- Chariot tiré par un chien ou une chèvre (!): 15 sous
- Pour les troupeaux qui traversaient vers les abattoirs de Montréal: 3 sous par cochon ou mouton (!)
Sur l’autoroute des Laurentides, on retrouvait des péages de 25 sous à plusieurs endroits, ce qui faisait en sorte que parcourir la totalité des 47 km de l’époque coûtait 75 sous. Sur le pont Champlain, on retrouvait aussi des péages de 25 sous par véhicule.
«Il fut une époque ou presque tous les ponts enjambant une rivière importante au Québec étaient des ponts à péage. Des péages ont également servi au développement du réseau d’autoroutes dans les années 1950-1960. Au fil des années, ces péages ont toutefois été retirés graduellement. Au moment du retrait du péage sur le pont Champlain à Montréal en 1990, le réseau des routes du Québec devient entièrement gratuit et libre d’accès», résume Jean-Philippe Meloche, professeur à l'École d'urbanisme de l'Université de Montréal, dans un rapport sur la tarification routière au Québec.
C’est seulement en 2011 que les péages sont réapparus, avec l’ouverture du pont de l’autoroute 25, construit en partenariat public-privé.
Pourquoi c’est intéressant, les péages routiers?
L’un des principaux intérêts des péages routiers, c’est qu’ils permettent de faire en sorte que les gens qui utilisent les routes les financent à la hauteur de leur utilisation.
Actuellement, au Québec, les diverses redevances payées par les automobilistes ne couvrent pas l’ensemble des dépenses liées au réseau routier. Et la situation est de pire en pire: les voitures sont de plus en plus grosses et usent de plus en plus le réseau, ce qui augmente les frais d’entretien. En parallèle, les revenus liés à la taxe sur les carburants diminuent avec les voitures électriques et les frais d’immatriculation n’ont pas augmenté depuis 2011, malgré l’inflation.
Il faut donc compenser avec des fonds publics qui viennent notamment des taxes sur les biens de consommation (TVQ) ou encore des impôts liés au revenu ou aux propriétés. Ceux-ci n’ont aucun lien avec l’utilisation de la route.
«En ce moment, les routes coûtent plus cher [à entretenir] que ce que les automobilistes dépensent. Donc ils se retrouvent à être subventionnés, ils reçoivent de l’argent pour rouler», résume Jean-Philippe Meloche. Selon lui, en faisant payer les automobilistes pour utiliser les routes, il serait possible de réduire la demande et désengorger le réseau qui est surutilisé - ce qui serait aussi bénéfique pour l'environnement, la sécurité et la santé publique.
Ailleurs dans le monde, des pays appliquent des péages sur une bonne partie de leur réseau routier. Par exemple, en Norvège, le gouvernement finance les projets de tunnels, de ponts et de traversiers seulement si un péage est mis en place, explique Jean-Philippe Meloche. Là-bas, les automobilistes se retrouvent à contribuer au trésor public plutôt qu’à le drainer, et cet argent peut être investi dans d’autres services publics, notamment le transport collectif.
«Ici, c’est l’inverse: il faut couper dans l’éducation et le réseau de la santé pour permettre aux automobilistes de rouler. (...) D'autres pays ont une vision différente de comment on gère les autos. C’est correct d'en prendre, mais il faut assumer tous vos coûts quand vous roulez – et peut-être plus encore», explique Jean-Philippe Meloche.
Singapour est un pays qui a opté pour le «plus encore»: un automobiliste qui choisit de prendre sa voiture va payer 4 à 5 fois le coût réel de son usage. Bien sûr, pour adopter de telles politiques, il faut un service de transport en commun efficace, ce qui est loin d’être le cas dans la plupart du Québec actuellement.
Pourrait-on remettre les péages routiers au Québec?
Il existe plusieurs freins à l’implantation de péages routiers au Québec.
D’abord, instaurer un péage sur une nouvelle infrastructure est bien plus facile à faire passer que l’instauration d’un péage sur un pont ou une route déjà existante.
«Il y a beaucoup plus de réticence à instaurer des péages sur un réseau existant, parce que les gens ont l’impression de payer pour quelque chose qu’ils ont déjà [gratuitement]. Il y aura plus d’opposition. Ça ne veut pas dire que ce n’est pas pertinent – je pense qu’on devrait le faire –, mais politiquement, c’est beaucoup plus difficile», souligne Jean-Philippe Meloche.
C’est différent de l’exemple du pont de l’autoroute 25, qui a été construit avec ces paramètres en tête, donc ça n'a surpris personne.
Autre facteur qui rend ça difficile: ça impliquerait que les gens qui utilisent beaucoup leur voiture paient davantage – et ils risquent de s’opposer au projet de façon plus vocale que ceux qui se retrouveraient à économiser s’ils arrêtaient de financer les routes à même leur taxe foncière, par exemple.
«Les gens qui seront perdants financièrement arrivent à s’identifier rapidement quand on propose un changement de politique publique, et ils sont prêts à dépenser beaucoup de ressources pour torpiller le projet», avance Jean-Philippe Meloche.
Ça prendrait donc une réelle volonté politique pour instaurer des péages, et on le sait, ce n’est pas le genre de mesure qui est populaire en campagne électorale.
Ce n’est probablement pas pour rien que c’était en pleine campagne électorale que la fin des péages sur les ponts Jacques-Cartier et Victoria avait été annoncée...