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L'article provient de 24 heures

[Témoignages] Elles commettent des vols à l’étalage parce que le panier d'épicerie coûte trop cher

Photomontage: Julie Verville
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Photo portrait de Sarah-Florence  Benjamin

Sarah-Florence Benjamin

2023-01-27T16:23:55Z
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Alors que la hausse du coût des aliments ne montre aucun signe de ralentissement, certains consommateurs considèrent des solutions illégales pour mettre du pain sur leur table. Le vol à l’étalage devient une option plus attrayante dans un contexte de pénurie de main-d'œuvre, même si elle n’est pas sans risques. Deux personnes témoignent de ce qui les motive à voler en épicerie.

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Note de la rédaction: 24 heures n’encourage en aucun cas le vol à l’étalage, qui est une infraction inscrite au Code criminel canadien. Nous souhaitions montrer que le contexte économique actuel peut pousser certains individus à transgresser la loi pour divers motifs et nous considérons qu’il s’agit d’un phénomène d’intérêt public.

Voler par nécessité 

Marlène* a commencé à voler alors qu’elle était étudiante et qu'elle touchait un petit salaire. «Il y a une raison pure et dure à mes vols, et c’est le manque d’argent. Dans les moments où je suis plus à l’aise financièrement, j’arrête», explique-t-elle.  

Elle se souvient d’avoir commis son premier vol pour impressionner quelqu'un lors d’un rendez-vous: «J’ai mis un magret de canard dans ma poche de manteau. Je ne l’ai jamais avoué à ma date. Je ne me vantais pas de voler parce que je sais que c’est mal.» 

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Le vol à l’étalage est considéré comme un vol simple par la loi. Une accusation de vol à l’étalage peut mener à un casier judiciaire, entraîner une amende allant jusqu’à 5000$ et même une peine d’emprisonnement, selon la valeur des objets volés ou les circonstances aggravantes entourant l’infraction. 

Après avoir arrêté un certain temps, Marlène a recommencé le vol à l’étalage. «Je travaille 40 heures par semaine, mais une fois que mon loyer et mes charges sont payés, il me reste moins de 80$ pour survivre la moitié du mois. Je fais appel à d’autres alternatives, comme le dumpster diving ou les banques alimentaires, mais si je vais à l’épicerie, je vole des choses qui ne rentreraient pas dans mon budget», confie-t-elle. 

En discutant avec son entourage, elle s’est rendu compte que plusieurs de ses proches considéraient se mettre au vol à l’étalage pour des raisons plus politiques. «Pour moi, la motivation politique est venue plus tard. Maintenant, quand je vois des grosses chaînes qui s’installent dans des quartiers défavorisés pour se faire des profits sur le dos de leurs employés, je me dis qu’un paquet de viande à 10$ volé, c’est dérisoire», affirme Marlène.  

Une forme de vengeance 

Pour Sandrine, le vol à l’étalage ne fait pas une grosse différence à la fin du mois. Elle vole exclusivement à l’épicerie près de chez elle, qu’elle décrit comme offrant «des prix ultra-élevés et un service moyen». 

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«C’est une forme de vengeance», explique-t-elle. «Les grandes bannières s’en mettent plein les poches pendant que les prix sont gonflés!»  

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Elle a commencé par voler des tomates qu’elles mettaient dans son sac sans payer. Depuis que le coût des aliments a augmenté, elle vole désormais d’autres aliments qu’elle trouve trop chers.  

«Ça me met en colère que des actionnaires s'enrichissent dans ce contexte. Ils devraient se serrer la ceinture comme le reste de la population. La nourriture, c’est un bien nécessaire. Je ne défends pas le vol à l’étalage, mais c’est fâchant de voir les épiceries se plaindre quand on sait à quel point elles jettent de la nourriture», déclare-t-elle.  

Selon une recherche de l’Université de Dalhousie, les trois plus grands épiciers au Canada (Loblaws, Metro, Empire) ont fait plus de profits en 2022 que la moyenne des cinq dernières années. Des 31 milliards de dollars de nourriture gaspillée chaque année au Canada, 10% sont attribuables à la vente au détail. 

Un phénomène dur à chiffrer 

Si l'on remarque depuis 2022 que les vols à l’étalage se font plus nombreux, la pratique n’est pas facile à chiffrer. Il s’agit d’un crime sous-reporté: il arrive que le commerçant demande à un voleur pris sur le fait de rendre la marchandise avant de le bannir de l’épicerie, sans appeler la police.  

Le manque de surveillance, dû au faible nombre d’employés présents sur le plancher en contexte de pénurie de main-d’œuvre, rend le vol à l’étalage plus facile. Le port du masque rend moins évidente l’identification de suspects sur les images captées par les caméras de surveillance, selon Gary Sands, de la Fédération canadienne des épiciers indépendants. 

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Les pertes causées par les vols peuvent atteindre 4000$ par semaine pour certaines épiceries canadiennes. Elles pourraient être invoquées comme raison pour monter les prix davantage, question de pallier la marchandise perdue, selon Sylvain Charlebois, économiste et analyste de l’agroalimentaire, que cite un article du Canadian Grocer.  

Ce dernier a ouvertement critiqué le recours au vol à l’étalage dans son compte Twitter, causant de vives réactions chez de nombreux internautes. Ces derniers ont été nombreux à répondre: «si vous voyez quelqu’un voler de la nourriture, vous n’avez rien vu.»  

*Le prénom des personnes qui témoignent a été changé afin de protéger leur anonymat.

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