Des milliardaires dans l’espace: vers l’infini et plus loin encore... mais à quel prix?
Genevieve Abran
Ça y est: le milliardaire Richard Branson a réalisé dimanche dernier son plus grand rêve: aller dans l’espace. Dans quelques jours, l’homme le plus riche du monde, Jeff Bezos, fera pareil. Mais au-delà de l’exploit technologique, ces voyages spatiaux servent avant tout à gonfler l’ego d’une poignée de privilégiés, dénoncent des spécialistes.
There are no words to describe the feeling. This is space travel. This is a dream turned reality https://t.co/Wyzj0nOBgX @VirginGalactic #Unity22 pic.twitter.com/moDvnFfXri
— Richard Branson (@richardbranson) July 12, 2021
«On est en période de crise à l’échelle planétaire et, tout à coup, des milliardaires mettent plusieurs millions de dollars pour faire une activité de type de loisir», regrette Dominic Lapointe, professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Ce dernier fait bien sûr référence à la pandémie, qui continue de faire des ravages partout dans le monde, mais aussi aux changements climatiques, qui sont de plus en plus perceptibles partout sur la planète.
Pour Dominic Lapointe, ces courts voyages à la limite entre l'atmosphère terrestre et l'espace permettent à ces nouveaux explorateurs du cosmos de renforcer leur statut d’ultra-privilégiés. «Ce qu’ils nous montrent, là-dedans, c’est la démesure de leur pouvoir économique», juge M. Lapointe.
Avant de s’envoyer en l’air, les milliardaires Richard Branson et son rival, le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, ont en effet déboursé plusieurs millions de dollars. Les deux hommes ont fondé leur propre société, Virgin Galactic et Blue Origin, et y ont investi des sommes considérables. Ils souhaitent maintenant élargir l’accès au tourisme spatial.
«Ma mission est de rendre le rêve du tourisme spatial une réalité – pour mes petits-enfants, pour vos petits-enfants, pour tout le monde», a écrit sur Twitter le fondateur de Virgin Group.
My mission statement is to turn the dream of space travel into a reality - for my grandchildren, for your grandchildren, for everyone.
— Richard Branson (@richardbranson) July 11, 2021
Watch the launch of the next space age at 6 am PT | 9 am ET | 2 pm BST on https://t.co/1313b4RAKI @virgingalactic #Unity22 pic.twitter.com/JpqXx8cy04
Pas pour tout le monde
Le prix d’un vol à bord d’un vaisseau spatial de Virgin Galactic oscille entre 200 000 et 250 000 dollars américains. Six cents billets ont déjà trouvé preneur dans 60 pays et des départs doivent avoir lieu dès le début de l’année 2022.
Ce n’est pas tout. Une place à bord du premier vol habité de la société Blue Origin a récemment été vendue aux enchères pour 28 millions de dollars. Le 20 juillet prochain, le riche gagnant montera à bord de la fusée New Shepard, aux côtés de Jeff Bezos. Il s’agira d’ailleurs d’un voyage intergénérationnel, puisqu’une dame de 82 ans et un jeune astronaute de 18 ans seront à bord de la fusée.
Précisons: un voyage dans l’espace dure environ une heure: il vaut donc mieux en profiter et rentabiliser chaque minute!
Ces voyages ne sont pour l'instant accessibles qu’à des personnes fortunées. Mais plus on enverra de touristes dans l’espace, plus les prix risquent de descendre. Alain A. Grenier, lui aussi professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, rappelle que c’est la massification du transport aérien qui a rendu ce mode de transport accessible au plus grand nombre.
Mais pour le spécialiste en tourisme écologique, «ce n’est pas parce que le fruit est là qu’on doit le manger». «Bravo pour l’exploit technologique, mais, maintenant, mettons la pédale pour l’aspect touristique. Je pense que c’est précipité», estime-t-il.
Un impact environnemental notable
Le fait est que les impacts environnementaux de ces voyages sont importants.
Selon un rapport d’évaluation environnementale réalisé par l’Administration d’aviation fédérale aux États-Unis, un vol à bord du SpaceShipTwo, un vaisseau créé par Virgin Galactic – comme celui dans lequel Richard Branson s’est envolé –, émet 27,2 tonnes de CO2, soit 4,5 tonnes par passager. C’est autant d’émissions que l'on en produirait en faisant le tour de la Terre, seul, en voiture, selon le média académique The Conversation.
«C’est énorme», selon Dominic Lapointe. Il explique qu’une empreinte carbone de 1,2 tonne est considérée comme très forte pour le déplacement de 0 à 50 passagers sur une distance de 3000 km. Dans le cas de Richard Branson, on parle d’un voyage à une altitude de 86 km. Le seuil est alors fortement dépassé.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime d'ailleurs que, pour limiter le réchauffement planétaire à 2 °C et respecter les objectifs fixés dans l’Accord de Paris, une personne devrait produire annuellement deux fois moins de CO2 qu’un passager à bord d’un vol de SpaceShipTwo, toujours selon The Conversation.
Pour M. Grenier, les impacts du tourisme spatial sur la planète sont trop importants. Selon lui, il n’est pas justifié de solliciter autant de ressources pour un voyage d’une heure dont seulement une poignée de voyageurs pourront profiter.
«Jusqu’où on pourrait aller dans la lapidation des ressources finies d’une planète pour combler des ego qui sont infinis?» demande finalement Dominic Lapointe.