Exaspérés par la bureaucratie, des restaurateurs doivent se battre pour leur terrasse
Julien Bouthillier
Des restaurateurs exaspérés par la bureaucratie déplorent que la Ville de Montréal et la STM leur mettent des bâtons dans les roues pour l'installation de leur terrasse, après deux ans de pandémie et de multiples fermetures.
«On a investi 50 000$ dans une terrasse, dont une partie qui a été payée par le fonds de relance [de la Ville]», explique Pierre Thibault, président de la Nouvelle Association des bars du Québec et copropriétaire du Pontiac, sur l’avenue du Mont-Royal.
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Jusqu’à hier matin, la Société de transport de Montréal (STM) refusait de déplacer un arrêt d’autobus, pourtant annulé une partie de l’été lorsque la rue est piétonne, forçant M. Thibault à réduire la superficie de sa terrasse, de 80 places à 24 places.
La STM a finalement confirmé qu’elle déplacerait l’arrêt, après avoir été questionnée par le 24 heures et QUB Radio.
En tout, 11 commerçants interrogés disent avoir vécu des situations simxilaires et s’être retrouvés dans les dédales de processus administratifs interminables pour l’obtention ou le renouvellement de leur permis de terrasse pour l’été 2022.
«Cette terrasse, vous pouvez comprendre que, pour nous, c’est plus que vital. On n'attend que la saison estivale pour commencer à ressortir la tête de l’eau», fait valoir Otman Amer, le propriétaire du Darna Bistroquet, un restaurant situé dans La Petite-Patrie.
Une voie réservée l’empêchait d’obtenir son permis. Pour d’autres, ce sont des travaux de canalisation repoussés depuis trois ans, un permis octroyé par erreur ou un changement de réglementation qui ont été invoqués.
- Écoutez Danny St Pierre à ce sujet au micro de Benoit Dutrizac à QUB radio
Une réaction tardive
Quelques heures après notre demande d’entrevue à la Ville et à la STM, dans la soirée de mardi, le maire de Rosemont–La Petite-Patrie, François Limoges, a visité des restaurateurs de la rue Beaubien, leur garantissant que leurs terrasses seraient autorisées.
Des commerçants du Plateau Mont-Royal auraient quant à eux reçu un appel de la directrice de cabinet du maire du Plateau-Mont-Royal, Andréanne Leclerc-Marceau, allant dans la même direction.
«Il est important de rappeler que la majorité des permis de terrasse sont acceptés sans délai, c’est vraiment une minorité de cas plus complexes qui est en cause», a réagi par courriel le maire du Plateau-Mont-Royal et responsable du développement économique et commercial, Luc Rabouin.
«On est conscient que les restaurateurs ont besoin de prévisibilité et d’accompagnement, nous allons nous assurer qu’ils ont tout le [soutien] nécessaire pour une saison estivale réussie», a-t-il précisé.
Appelé à réagir jeudi matin sur les ondes de QUB Radio, M. Rabouin n'a pas nié le problème. Il a reconnu que certains cas prennent plus de temps à traiter, mais a tenu à rappeler les efforts que la Ville a fait pour soutenir les restaurateurs.
« Les terrasses sont gratuites pour la troisième année de suite. Sur le Plateau, c’est entre 3000$ et 15 000$ par année qui reste dans les poches des commerçants. C’est très très concret. On a aussi renouvelé l’aide d’urgence, donc il y a des subventions de disponible», a-t-il déclaré.
- Écoutez le journaliste Julien Bouthillier, suivi de Luc Rabouin, maire de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal et membre du Comité exécutif responsable du développement économique et commercial et du design, sur QUB radio:
Des embûches évitables
Il n’en demeure pas moins que les restaurateurs sont exténués par ce qui a été, pour eux, un véritable parcours du combattant.
«Il faut se rendre à l’évidence [...] le passage de l’angoisse et de l’anxiété, et les interventions des médias ont été nécessaires pour accélérer un processus qui traînait depuis des mois», dénonce Pierre Thibault.
«À peu près tous les jours, je les ai relancés, j’ai essayé de trouver des solutions, j’ai appelé la STM, j’ai appelé la Ville, j’ai appelé les Travaux publics. C’est deux mois, que ça a pris pour qu’on puisse finalement juste déplacer un arrêt d’autobus», conclut-il.
Bien qu’ils soient habitués à composer avec la lourde paperasse qu’impose l'exploitation d’un commerce à Montréal, plusieurs entrepreneurs estiment que leur combat administratif des dernières semaines aurait pu être évité.
«On ne se fait pas dire non par le politique: on se fait dire non par le structurel, pour des raisons qui sont, à mon avis, injustes», soutient le chef Danny St-Pierre, copropriétaire du Pontiac.
Des restaurateurs nous racontent leurs embûches
Thibault Cordonnier
- Pub Pit Caribou | Le Plateau-Mont-Royal
Thibault Cordonnier dénonce une nouvelle réglementation sur le Plateau Mont-Royal qui l’oblige à revoir à la baisse le nombre de places sur sa terrasse.
Celle-ci permet l’établissement de terrasses de 24 places dans les rues résidentielles. Or elle ne fait pas de distinction entre une terrasse située dans une rue résidentielle au coin d’une rue commerciale et une terrasse qui serait située au milieu d’un pâté de maisons.
«L’année dernière, j’avais une terrasse de 50 places qui ne posait aucun problème, puis, là, maintenant je me retrouve avec la moitié. Et ça, on l’a su en mars, donc j’ai dû refaire mes plans, repartir mes soumissions. [...] Je trouve ça ridicule que je sois rendu avec les mêmes droits que n’importe quel restaurant ou petit café qui est perdu au milieu des maisons sur des rues résidentielles», dénonce M. Cordonnier, propriétaire du Pub Pit Caribou.
Son commerce est pourtant situé au coin des rues Rachel et de Mentana, et sa terrasse est située en zonage commercial, bien qu’elle soit dans une rue résidentielle. Or le service d’urbanisme a justifié sa décision en invoquant la notion d’«utilisation d’espace public» et non de zonage, comme c’est normalement le cas, ce que dénonce M. Cordonnier.
Lorsque l’arrondissement, fin février, a modifié son règlement sur les terrasses, c’était dans le but d’établir «des règles plus souples pour la prochaine saison», selon son communiqué.
Éric Lefrançois
- Vice-président de Nouvelle Association des bars du Québec
- La Drinkerie et le bar Suzanne | Le Sud-Ouest et Le Plateau-Mont-Royal
«J’essaie de ne plus faire de business sur le Plateau Mont-Royal. J’en fais aussi à l’extérieur de Montréal et ce n’est pas le bordel comme ça, on a une écoute», raconte Éric Lefrançois. Il estime que l’arrondissement gère ses dossiers de manière trop «impersonnelle».
Selon lui, un permis qu'un fonctionnaire lui a délivré «par erreur», il y a deux ans, l’obligerait à se départir de la terrasse qu’il a fait construire aux abords de son bar Suzanne, rue Duluth, sur le Plateau Mont-Royal.
Quant à la Drinkerie, située rue Notre-Dame Ouest, dans le Sud-Ouest, ce sont des travaux de canalisation reportés depuis plus de trois ans qui sont en cause. Il croit que ces travaux, dont il reconnaît la nécessité, pourraient avoir lieu à un moment moins critique dans l’année pour les commerçants, qui auraient dû être plus écoutés.
Il estime que ces problèmes de communication «rocambolesques» ne sont pas bons pour la réputation de la métropole. «La vie nocturne montréalaise, ce n’est pas une perspective très encourageante [...] Il y a une grande réflexion à avoir», estime-t-il.
Danny St-Pierre
- Le Pontiac | Le Plateau-Mont-Royal
Le chef Danny St-Pierre était très anxieux, ces dernières semaines, à l’idée de devoir réduire considérablement la taille de la terrasse du Pontiac, restaurant de l’avenue du Mont-Royal dont il est propriétaire.
Les copropriétaires de l'établissement ont proposé trois solutions à la STM, mais celle-ci a refusé pendant des semaines de déplacer l’arrêt d’autobus situé au coin de l'avenue du Mont-Royal et de la rue Pontiac.
Selon le chef, ce genre de lenteur bureaucratique vient ternir l’image de Montréal à l’international. «L’an dernier, quand on voyait des terrasses de Montréal dans les journaux internationaux, c’était la terrasse du Pontiac qu’on voyait. C’était toujours la même clip, les lumières qui flashaient sur le sanctuaire du Très-Saint-Sacrement. On a créé un produit qui est intéressant», rappelle-t-il.
La STM, mercredi, a finalement avisé l’arrondissement qu’elle autorisait l’installation de la terrasse dans la rue Mont-Royal, quelques heures seulement après que QUB Radio et le 24 heures l’eurent questionnée à ce sujet.
- Écoutez Benoît Dutrizac et Mario Dumont au micro de Philippe-Vincent Foisy, sur QUB radio:
Otman Amer
- Le Darna Bistroquet | Rosemont-La Petite-Patrie
Une voie réservée aux autobus dans la rue Beaubien mettait en péril le plan de terrasse du Darna Bistroquet, au grand dam de son propriétaire Otman Amer. La terrasse occupait pourtant cette voie l’été dernier et le propriétaire assure n’avoir reçu ni plainte ni commentaire négatif.
«On ramène de la vie à notre rue, on ramène de la beauté, de l’activité. On est des commerces de proximité soutenus par nos voisines et voisins. On a tenu jusque-là parce que notre voisinage nous a soutenus, parce qu’on est tous dans le même rapport d’entraide. On ramène de la vie et on apporte quelque chose de différent et complémentaire à notre vie de quartier. Je crois que tout ça est complètement non nécessaire. C’est de la bureaucratie qui n’est pas nécessaire», estime-t-il.
Quelques heures après avoir été interrogé à ce sujet par le 24 heures, la STM a finalement permis à la terrasse de se réinstaller dans la même voie que l’an dernier. M. Amer espère maintenant pouvoir profiter de son été à un moment où son commerce peine à joindre les deux bouts.
«On aurait pu éviter un tel gaspillage d’énergie et de moyens, mais ça a servi à quelque chose. Ça a créé un précédent pour nous, au moins, sur la rue. [...] Ça nous a appris qu’il y a des canaux de communication, quelque part, qui ne fonctionnent pas», fait-il valoir.
Laurent Farre
Le Rouge Gorge | Le Plateau-Mont-Royal
Le 17 mars dernier, soit moins d’un mois avant le début de la saison des terrasses, Laurent Farre aurait été informé d’un changement dans la réglementation suivant lequel les feux de circulation ne pouvaient plus faire partie du périmètre d’une terrasse.
À ce moment, sa nouvelle structure était déjà en construction, et il pensait qu’elle pourrait être située dans la zone qu’il occupe depuis neuf ans. Il a donc dû payer des frais supplémentaires pour modifier les plans et sa terrasse ne sera pas prête à temps pour le début de la saison chaude.
«On n’est pas trop écoutés, nous, les commerçants. Il y a peu de respect, surtout qu’on a été fermés quand même très longtemps, donc, au niveau financier, on est très en retard. Donc, ça ne nous a pas aidés qu’on nous décale notre terrasse et qu’on nous demande de refaire des plans», explique le restaurateur.
«Quand on t’appelle 28 jours avant d’ouvrir ta terrasse pour que tu changes des trucs, ce n’est pas du respect», conclut M. Farre.