Des ressortissants africains discriminés: seuls les «vrais Ukrainiens» autorisés à fuir?
Anne-Sophie Poiré
Des milliers de personnes d’origine africaine qui tentent de fuir l'Ukraine vers les pays voisins, notamment la Pologne, seraient chassées des trains et des autobus conduisant les réfugiés aux frontières, où elles se feraient aussi refuser le passage. La situation est choquante, mais pas surprenante, selon des expertes.
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Les réseaux sociaux regorgent de témoignages troublants. Dans une vidéo diffusée sur Twitter, un groupe de ressortissants africains se fait rabrouer par les autorités à la frontière entre l'Ukraine et la Pologne. «Ils menacent de nous tirer dessus», témoigne une personne dans la vidéo.
Dans la foule, une mère et son poupon attendent à découvert dans le froid devant la barrière frontalière.
Watch how they are threatening to shoot us!
— Nze (@nzekiev) February 27, 2022
We are currently at the Ukraine -Poland border.
Their Police and Army refused to let Africans cross they only allow Ukrainian.
Some have slept here for 2 days under this scorching cold weather, while many have gone back to Lviv. pic.twitter.com/47YG4gxFC4
«Le train pour la Pologne est arrivé, moi et deux autres Africains sommes entrés en premier, quelques minutes plus tard, la police est entrée et nous a fait descendre de notre cabine», raconte un étudiant nigérian sur Twitter.
Train to Poland got here, I and other two Africans entered first, few mins later, the police came in and dragged us down from our cabin. Only Ukrainians are allowed.
— Nze (@nzekiev) February 25, 2022
I don’t blame them, though. I blame African leaders.
Des personnes originaires de l’Inde déplorent également la situation.
Seuls les «vrais Ukrainiens» semblent autorisés à fuir les bombes et les tirs ennemis, rapportent des ressortissants étrangers sur le terrain.
Un constat admis par l'Organisation des Nations unies (ONU), qui ont confirmé aujourd'hui que certains réfugiés non européens s'étaient heurtés au racisme alors qu'ils tentaient de se mettre en sécurité aux frontières de l'Ukraine.
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Des frontières «racistes»
Cette situation «inquiétante» n’a pourtant pas de quoi étonner, signalent les expertes interrogées.
«La Pologne comme les autres pays limitrophes de l’Ukraine ont rapidement réagi à l’invasion par la Russie. Ils se sont montrés très ouverts envers le peuple ukrainien. Mais ce sont des pays avec des gouvernements conservateurs, voire populistes, voire fascistes. Ils entretiennent des politiques extrêmement violentes à l’égard des personnes migrantes. Nonobstant la situation actuelle en Ukraine, tout ça demeure», rappelle la directrice générale d'Amnistie internationale Canada francophone, France-Isabelle Langlois.
La professeure spécialiste de la migration internationale au département de géographie de l'Université de Montréal, Luna Vives, pointe quant à elle un «double standard».
«Les milliers de personnes d’origine africaine qui essaient d’aller en Pologne, surtout, font face à un système d’entrée qui était déjà raciste», souligne-t-elle. «Peu importe ce qui est inscrit sur leur papier, [les personnes racisées] ne sont pas considérées comme des réfugiées. Elles sont considérées comme des étrangers qui veulent entrer dans un pays [...] hostile à la migration non européenne, voire non blanche.»
Amnistie internationale condamne sans hésitation la violation de ces droits humains.
«Ça va complètement à l’encontre du droit international», fait valoir Mme Langlois. «On ne peut discriminer les personnes à l’égard de leur nationalité.»
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Laissés à eux-mêmes
L’Ukraine accueille des dizaines de milliers de jeunes venus d'Égypte, du Maroc ou du Nigeria pour étudier la médecine, l'ingénierie et d'autres domaines techniques. Les frais de scolarité sont plus abordables en Ukraine que dans le reste de l'Europe et qu'aux États-Unis.
Malgré leur nombre, des ambassades conseilleraient aux étudiants de «se sauver eux-mêmes» puisqu’elles ne pouvaient les aider.
Sur les réseaux sociaux, les jeunes étrangers tentent donc de s’organiser.
«Évitez le poste frontalier de Medyka. Allez à celui de Przemysl», prévient une étudiante en médecine qui a réussi à traverser la frontière. Les agents «sont gentils et ne font pas de discrimination», dit-elle à ses 21 000 abonnés Instagram.