Loin des 10 M$ promis: des mots trompeurs dans l'annonce du don de P.K. Subban
Des experts en communication pointent la stratégie de relations publiques
François-David Rouleau
En lisant les documents officiels annonçant l’engagement de P.K. Subban, les experts sondés par notre Bureau d’enquête depuis 10 jours remettent en doute la stratégie et le choix des mots qui ont dévié des principes de l’entente.
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Ils estiment que les mots utilisés sont l’œuvre de publicistes et de professionnels de relations publiques, et des points auraient mérité d’être plus clairs.
De quoi se souvient-on de cette journée du 16 septembre 2015 dans le nouvel atrium P.K. Subban bondé à l’Hôpital de Montréal pour enfants? Du don de 10 M$ annoncé par l’athlète et défenseur du Canadien.
Les mots utilisés dans les documents officiels francophones sont clairs. Tant la fondation de l’hôpital que le donateur s’en servent encore dans leurs publications.
«Le défenseur des Canadiens de Montréal, P.K. Subban, s’engage à verser, en partenariat avec la Fondation P.K. Subban, un minimum de 10 millions de dollars à l’Hôpital de Montréal pour enfants», lisait-on sur le communiqué officiel.
D’après le dictionnaire Larousse, «l’engagement est l’acte de promettre quelque chose, par convention ou contrat».
De son côté, la Fondation P.K. Subban décrit l’engagement ainsi: «En septembre 2015, P.K. Subban a fait don de 10 millions de $ à l’Hôpital pour enfant de Montréal...»
Opération publique
Cet énoncé porte à croire que Subban donnait l’argent alors que ce n’était pas le cas.
«On peut beaucoup influencer les perceptions avec les mots, signale Christian Desîlets, professeur en communication à l’Université Laval, sans remettre en doute la générosité de Subban. Dans la formulation, il s’engage. Pour le commun des mortels, s’engager et verser, c’est pareil. Dans l’esprit, c’est fait. Le 10 M$ est donné.
«Évidemment, l’opération de relations publiques autour de cette annonce le rend redevable devant la population.»
Hier, à la suite de nos questions, Subban a rectifié le montant en annonçant avoir atteint 6,3 M$.
Or, jusque-là, les renseignements financiers officiels montraient autre chose. Les registres publics (communiqués officiels, rapports annuels et déclarations fiscales) consultés par notre Bureau d’enquête font état de 3,28 M$ remis à la Fondation depuis 2015.
- Écoutez l'entrevue de Richard Martineau avec Jean-Louis Fortin, directeur du Bureau d'enquête de Québecor sur QUB radio :
Plus de suivis
L’expert en marketing de la faculté de l’Université Laval, Thomas K.B. Koo, nuance les termes anglophones utilisés dans les documents de l’annonce.
«C’est un engagement. Maintenant, il faut savoir si tous les termes de celui-ci sont respectés. Dans ce cas précis, on met l’accent sur le 10 M$.»
Par souci de transparence, comme Subban a fait ce don publiquement, le professeur Desîlets estime que les deux parties auraient pu assurer des suivis publics de l’argent versé au fil du partenariat ou à tout le moins, un bilan, lorsque la période est venue à terme en septembre 2022.
«Là, on a l’impression que le donateur essaie de profiter d’un don sans mettre les pendules à l’heure.»
Selon une source du monde philanthropique ayant requis l’anonymat, quelqu’un aurait dû tirer la sonnette d’alarme.
«Subban l’a fait pour la reconnaissance puisque son don n’est pas anonyme. Selon les données financières disponibles, il serait à 30 % de son objectif. C’est gênant. Il veut aider, mais au passage, il a joué pour lui-même. Là, il s’est fait prendre.»
- Écoutez la rencontre Durocher-Dutrizac avec Sophie Durocher au micro de Benoit Dutrizac sur QUB radio :
Des clauses importantes
Une entente comme celle entre Subban et la Fondation de l’Hôpital de Montréal pour enfants est négociée selon les termes d’un contrat bilatéral écrit. Il y est inscrit le montant du don, la période, les paiements et la visibilité.
«Il y a des engagements avec un montant sonnant sur une période et des engagements selon de l’argent et des efforts générant 10 M$. Dans le cas de Subban, la modulation dans le vocabulaire utilisé porte à croire qu’il a donné 10 M$ personnellement alors que ce n’est pas le cas», explique cette source du domaine financier.
Manque de transparence
En cherchant à obtenir des réponses à nos questions sur ce don de 10 M$ de l’ancien défenseur du Canadien P.K. Subban, tant la direction de la Fondation de l’Hôpital de Montréal pour enfants que le clan de l’athlète ont plaidé la confidentialité des informations de l’entente.
Une somme qu’il n’a pas versée entièrement selon les modalités annoncées en grande pompe.
Selon Christian Desîlets, professeur de publicité sociale à l’Université Laval, la Fondation de l’Hôpital et P.K. Subban manquent de transparence. Ils souhaitent obtenir le beurre et l’argent du beurre sans rendre de comptes.
«C’est hyper délicat de critiquer une fondation qui vient en aide aux enfants. Mais il faut le faire sur le principe qu’on ne veut pas que les gens utilisent des fondations pour améliorer leur image sans honorer leur promesse. Advenant ce cas, c’est tout le système de charité qui s’effondre. Ce qui serait inacceptable», signale le spécialiste des causes sociales.
Professeur de publicité sociale
«La philanthropie est un domaine colossal qui repose sur la générosité, enchaîne-t-il. Les fondations ont des obligations morales à respecter, dont la transparence. C’est une moralité publique. Les grands donateurs doivent être perçus comme tels.»
Un seul suivi
À cet effet, il importe de souligner que parmi ses valeurs fondamentales, la Fondation de l’Hôpital dit agir avec intégrité et rendre des comptes à ses partenaires. Elle n’a fait aucune mise à jour depuis le 31 août 2016, date à laquelle elle annonçait jusque-là avoir récolté 1,4 M$ de la part de l’athlète.
M. Desîlets rappelle que les deux parties ont organisé une grande conférence de presse pour annoncer le plus important don d’un athlète canadien.
«À partir du moment où l’on en fait un acte public et qu’on refuse de répondre aux questions, car on le traite comme un don confidentiel, il y a une dissonance», explique-t-il.
Par écrit, la Fondation de l’Hôpital s’est défendue en répondant à cette question selon les exigences minimalement prévues par la loi.
«Nous organisons une assemblée générale annuelle et rendons publics nos rapports annuels et nos états financiers chaque année», a indiqué la directrice des relations publiques, Lisa Dutton.
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