Des locataires victimes de discrimination raciale

Anne-Sophie Poiré, Agence QMI
Des locataires disent être victimes de discrimination raciale, un phénomène exacerbé par la crise du logement et qui inquiète des organismes d’aide un peu partout au Québec.
«Dans les deux dernières années, on l’observe de plus en plus, surtout sur la base de la couleur de la peau, l’accent de la personne et la langue parlée», plaide Alexandre Cadieux, intervenant communautaire au Comité logement Rimouski-Neigette.
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«On le voit, avec la crise du logement, la discrimination s’est vraiment intensifiée», confirme Marjolaine Deneault, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) qui, en juin, publiait une enquête révélant que «plus que jamais» les ménages locataires sont confrontés à de la «discrimination systémique ».
Même dans les quartiers majoritairement composés de populations «immigrantes, à faibles revenus et allophones», le problème continue de prendre de l’ampleur.
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«Depuis les deux dernières années, ça a vraiment explosé. La candidature [des résidents du quartier] n’est jamais prise au sérieux ni en compte», prévient Célia Dehouche, organisatrice communautaire au Comité d’Action de Parc-Extension (CAPE).
La quinzaine de comités logement à travers le Québec qui a répondu aux questions du Journal en arrivent au même constat.
Illégal
Et pourtant, la Charte des droits et libertés de la personne interdit formellement à un propriétaire de refuser un locataire en fonction de «la race, la couleur de la peau ou l’origine ethnique».
Pour l’année 2020-2021, 36 plaintes à cet effet ont été adressées à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ), soient le quart des cas de discrimination dans le domaine du logement. Il s’agit d’une hausse de 3 % depuis 2018-2019.
«Ça faisait deux ans que je cherchais un appartement. J’ai écrit pour tellement d’annonces, mais on ne me rappelait jamais. [Puis] j’ai fait le test. J’ai demandé à une de mes amies qui n’a pas un nom ethnique d’écrire à des propriétaires. Et elle a eu des réponses vraiment rapides» laisse tomber Rania Nejma, une Montréalaise de 32 ans.
«Quand j’ai signé le bail, il [le propriétaire] a mentionné qu’il louait ses logements juste aux immigrants parce qu’eux, ils ne connaissaient pas les lois et leurs droits», dénonce à son tour une locataire d’un appartement de Longueuil qui préfère taire son identité par peur de représailles.
«Il [le propriétaire] entre chez moi, décide le degré de chauffage que je dois mettre l’hiver, fouille partout. Il nous traite d’estis de calisses d’immigrants de tabarnak», souffle-t-elle.
Situation financière
À la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), on signale que la «sureprésentativité des immigrants dans ceux qui se font refuser un logement» est plutôt attribuable à la situation financière qu’à la couleur de la peau.
«Moins il y a de logements à louer, plus les propriétaires seront sélectifs, fait valoir Hans Brouillette, directeur des affaires publiques de la CORPIQ. Ils [les immigrants] sont globalement plus fragiles. Ils arrivent d’autres pays et au niveau de l’emploi, ils sont plus précaires. Ils ont une autre couleur, une autre religion et malheureusement, une autre situation financière.»
Un Montréalais qui cherchait à céder son bail d’un appartement du quartier Côte-des-Neiges n’est toutefois pas du même avis.
«J’avais trouvé le candidat idéal. Il était étudiant au doctorat de l’université Concordia. Il venait d’Afrique du Nord. [...] Il avait de bonnes bourses, un emploi à temps partiel, un compte bancaire canadien et amplement la capacité de payer l’appartement, détaille celui qui préfère garder l’anonymat.
«Mais la propriétaire m’a dit qu’elle ne souhaitait pas avoir d’étranger, lance-t-il. Elle disait qu’ils n’étaient pas fiables, qu’on ne pouvait pas avoir confiance en eux.»
Aucun mécanisme (BI)
Très peu de mécanismes sont mis en place pour prévenir la discrimination raciale, selon les organismes de défenses des droits des locataires interrogés par Le Journal.
Les locataires qui en sont victimes peuvent porter plainte à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ), mais aucune autre instance ne contrôle cette discrimination. Et un «très faible» nombre de personnes décide de porter plainte à cause des délais trop long et du fardeau de la preuve.
Le Tribunal administratif du logement (TAL) lui, est chargé de trancher les litiges relatifs à un bail de logement qui a été conclu. Pour qu’il en soit autrement, il faudrait que la loi soit modifiée.
PEU DE PRÉVENTION
Très peu de mécanismes sont mis en place pour prévenir la discrimination raciale dans le domaine du logement, selon les organismes interrogés par Le Journal. Les locataires qui en sont victimes peuvent porter plainte à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, mais très peu de gens décident de le faire à cause des délais trop longs et du fardeau de la preuve.
Le Tribunal administratif du logement, lui, est chargé de trancher les litiges relatifs à un bail qui a été conclu. Pour qu’il en soit autrement, il faudrait que la loi soit modifiée.