Des joueurs du CH ont appelé Tortorella
Louis Jean
L’embauche de Martin St-Louis à titre d’entraîneur-chef par intérim du Canadien de Montréal a envoyé une onde de choc à travers la Ligue nationale de hockey. Personne ne l’a vu venir, celle-là. C’est une embauche du champ gauche. C’est un choix qui sort des sentiers battus, mais c’est peut-être exactement ce dont le CH avait besoin.
John Tortorella a remporté une coupe Stanley avec St-Louis à Tampa Bay. Lors d’une discussion d’une vingtaine de minutes avec l’auteur de ces lignes, vendredi, il a applaudi cette décision du Canadien. Voici le fruit de notre entretien.
Que répondez-vous à ceux qui avancent que cette décision est davantage un coup de marketing?
Martin et moi, on discute de son approche et de son désir de coacher depuis longtemps. J’ai essayé plusieurs fois de le convaincre de se joindre à moi comme adjoint, mais il n’était pas prêt.
Ce que je peux dire, c’est qu’il a toujours gardé un œil attentif sur la Ligue et il est resté en contact avec plusieurs intervenants auxquels il parlait régulièrement. Nous avons eu plusieurs conversations, et je vous assure qu’il prend cette situation extrêmement au sérieux.
Il s’est préparé pour ce moment, il a des idées bien arrêtées sur la façon de faire les choses et il a des convictions par rapport à ce qu’il peut accomplir comme entraîneur-chef dans la Ligue nationale.
Martin a agi comme conseiller spécial aux Blue Jackets de Columbus sous vos ordres. Qu’est-ce qui vous a motivé à l’embaucher?
«D’abord, c’est un étudiant de la game. Il est constamment en train d’essayer d’apprendre, en train d’essayer de s’améliorer. Sa volonté, son entêtement, son chien, cette attitude «je vais vous le prouver» l’ont mené directement au Temple de la Renommée.
Notre relation a grandi à Tampa Bay et je ne peux exprimer à quel point c’était cool pour moi de le côtoyer à Columbus. Ce n’était qu’un poste à temps partiel, mais nos discussions étaient très différentes d’avant. Ce n’étaient plus des conversations entre joueur et entraîneur, mais plutôt d’un coach à l’autre. Je ne compte plus le nombre de discussions que nous avons eues à décortiquer et analyser la game.
Sa détermination et son intelligence font de lui l’homme parfait pour Montréal présentement. C’est une jeune équipe en reconstruction. Il était tellement intelligent comme joueur et ça va se transposer dans son rôle d’entraîneur.
On m’a déjà dit que St-Louis était similaire à Sidney Crosby, car il défait constamment les conventions et apporte des idées nouvelles pour réinventer certaines façons de faire. Est-ce vrai?
(Rires...) Il faisait ça tout le temps. Ça le rendait meilleur, mais le plus important, je crois, c’est que ça rendait aussi ses coéquipiers meilleurs. Il voulait que l’équipe joue à son plus haut niveau. Il voyait la game différemment de moi. Les joueurs voient la game d’un angle différent des entraîneurs. Mais son approche et ce qu’il voyait, c’était unique. J’ai beaucoup appris de lui. Je crois l’avoir dirigé pendant quoi, 6-7 ans, et nous avons eu nos différends et nos prises de bec. Nous avons eu des moments très tendus et des discussions intenses où nous nous sommes défiés. Mais avec du recul, ça a fait de moi une meilleure personne, un meilleur entraîneur.
Il m’a fait découvrir à quel point il mettait son cœur dans tout ce qu’il faisait. Il a un bon cœur, c’est un homme de cœur. Il demande l'excellence. Quand ça va bien, il veut que les choses soient exceptionnelles. Et il va te défier directement avec honnêteté.
La fraternité des entraîneurs digère mal cette décision. Vous en pensez quoi étant un entraîneur qui a gravi les échelons?
Ce qu’il faut comprendre, c’est que même s’il ne joue plus depuis longtemps, il n’était jamais très loin de la Ligue nationale. Il posait constamment des questions. Vous n’avez pas idée combien de conversations j’ai eues avec lui au fil des ans sur la LNH. C’était toujours son objectif de diriger un club quand ses responsabilités familiales seraient réglées.
Ceux qui soulignent son manque d’expérience ont tout à fait raison. Mais que doit-on faire? Comment fait-on pour gagner de l’expérience? On saute à pieds joints. Est-ce habituel qu’un ancien joueur qui dirigeait son fils dans un programme de hockey mineur fasse le saut directement dans la LNH? Non, ce ne l’est pas et je comprends ça. Mais je crois que c’est exactement ce dont Montréal avait besoin.
Je veux faire attention parce que je ne veux pas critiquer l’ancien entraîneur. Je ne le connais pas et j’ignore comment les choses se déroulaient avec lui. Mais ce dont le Canadien a besoin, c’est d’un enseignant, quelqu’un qui va apporter de la structure. De toute manière, l’équipe est jeune et elle devra repartir à neuf. Je crois que le timing ne pourrait être meilleur pour une personne avec l’intelligence, la volonté et l’intensité de Martin. Je me répète, mais pour moi, c’est un fit parfait. Est-ce qu’une telle embauche fonctionnerait avec une autre équipe? Je ne suis pas certain. Ça dépend du niveau de maturité de l’équipe. C’est une combinaison parfaite.
J’espère que les gens douteront de ses aptitudes. Je suis certain que c’est le cas. Ça ne fera que lui donner de la motivation supplémentaire. Il cherche toutes les sources de motivation possibles. Je ne pourrais être plus fier de lui. Il tente sa chance dans un marché comme Montréal, avec une équipe légendaire comme le Canadien de Montréal. De choisir de relever un défi comme celui-là, ça prend des couilles et il en a! Il va assurément faire des erreurs, beaucoup d’erreurs. Qui n’en fait pas? Mais il bravera la tempête et en ressortira grandi. J’ai hâte de le voir en action.
L’une des raisons expliquant son embauche est sans doute pour qu’il incarne la culture qu’il faudra implanter. Est-ce le bon choix?
J’ai eu des discussions avec Jeff Gorton au sujet de certains individus pour qui il avait un intérêt, dont Martin, pour le poste d’entraîneur-chef. Les gens aiment beaucoup utiliser les mots «culture», «imputabilité» et «standards» dans le monde du hockey. Ce sont de beaux mots qui sonnent bien à l’oreille. Ils semblent importants. C’est un processus de tous les jours et ce sera l’une des principales forces de St-Louis.
Dès qu’il entre dans un vestiaire, on ressent sa présence. Le chemin qu’il a dû emprunter pour atteindre la LNH et la façon dont il s’est comporté chaque jour dans sa carrière... la façon dont il s’est transformé de joueur régulier en bon joueur puis en joueur d’élite jusqu’au Temple de la renommée, tout cela représente un processus et un combat quotidien. Et ce sera la priorité numéro un pour lui avant même de jouer; établir un état d’esprit. Vous savez, cette attitude réacquise quand on vient à l’aréna. Le Centre Bell est tellement un amphithéâtre extraordinaire. Il faut que les joueurs soient fiers de jouer pour le Canadien. Martin va apporter ça.
Je dois vous le dire, et je ne vais pas nommer quiconque, mais après la première rencontre de Martin avec ses joueurs jeudi matin, j’ai reçu deux appels de joueurs dans le vestiaire. Ils ont été TRÈS impressionnés et ont dit qu’il avait frappé en plein dans le mille. Son message a rejoint directement les joueurs. C’est la clé. Oubliez les X et les O et la stratégie. La mentalité des joueurs est la chose la plus importante.
Est-ce que Martin sera en mesure de soutirer le meilleur de ses joueurs?
Martin et moi, ça n’a pas toujours été rose. Il était difficile à diriger. Il avait plein d’idées, mais parfois, il faut tout simplement jouer. On a eu des moments houleux. Mais il était honnête avec moi et je l’étais avec lui. Je crois que cette franchise a solidifié notre relation. Il sera comme ça avec ses joueurs. Il va exiger que tous les joueurs soient imputables. C’est la chose la plus importante qu’il va tenter d’accomplir, puisque la saison est essentiellement perdue.
Il voudra établir des critères bien clairs dorénavant quant aux standards exigés. Et ce ne sera pas que pour ceux qui jouent 8-9-10 minutes. Les joueurs les plus importants sont ceux qui passent 21, 22, 25 minutes par match sur la patinoire, donc ils doivent être imputables. Tout le monde emboîtera le pas. Je crois que ce sera la plus grande force de Martin. Il n’aura pas peur de défier directement les joueurs, peu importe leur statut, combien ils gagnent, à quel rang ils ont été repêchés, etc. Si tu veux jouer pour le Canadien de Montréal, tu devras être à la hauteur des standards établis.
On dit que Martin n’était pas le meilleur pour respecter le système. Est-ce vrai?
Absolument! Comprenez-moi bien, quand on dirige un joueur de cette trempe, et j’en ai eu plusieurs excellents joueurs à Tampa Bay, il faut établir combien d’informations on veut donner au joueur pour ne pas le surcharger. Il est tellement allumé que ce sera l’un de ses plus gros défis.
Il devra apprendre à communiquer ses attentes aux joueurs, comme nous l’avons fait ensemble. Il établira un rapport donnant-donnant. Quelle est la latitude que je te donne pour ta créativité et ton épanouissement offensif, et en retour, quelles sont mes attentes défensivement? Tout cela sans menotter un joueur. C’est une relation qui a évolué entre nous au fil des ans et qui a nécessité beaucoup de communication.
C’est la partie la plus importante dans le coaching de nos jours, puisque la ligue est si jeune et il y a tellement d’erreurs qui sont commises. Tu ne peux pas tout corriger. Il faut permettre aux gars de jouer librement et de ne pas être un obstacle pour eux, pourvu qu’ils fassent des compromis et qu’ils comprennent qu’il doit y avoir une certaine structure sans la rondelle et dans le jeu défensif. Si l’effort est présent dans les replis et le jeu sans la rondelle, alors tu permets au joueur d’exprimer son talent. Martin va renforcer cet aspect. Et c’est comme cela qu’il jouait. Qui suis-je pour dire à Martin St-Louis comment jouer? Je ne vois pas la game comme il la voit. Il fallait lui permettre de se fier à ses instincts et lire le jeu, pourvu qu’il se donne à fond sans la rondelle.
Ce sera selon moi, la plus grande courbe d’apprentissage pour Martin. Combien d’informations il peut partager sans paralyser les joueurs.