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L'article provient de Le Journal de Montréal
Affaires

Des exportations avec l’Iran lui coûtent son entreprise

Le Montréalais est accusé d’exportation vers l’Iran de matériel pouvant servir pour des armes nucléaires

Reza Sarhangpour Kafrani s’est installé au Québec en 2014 avec sa famille.
Reza Sarhangpour Kafrani s’est installé au Québec en 2014 avec sa famille. Photo tirée de Facebook
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Jean-Michel Genois Gagnon et Marie Christine Trottier

2022-01-17T05:00:00Z
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Un homme d’affaires de Montréal accusé d’avoir exporté vers l’Iran du matériel pouvant servir à fabriquer des armes nucléaires voit une de ses entreprises s’en aller en banqueroute pendant sa détention aux États-Unis. 

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Arrêté à la frontière américaine le 5 juillet, Reza Sarhangpour Kafrani, alors président d’Avi-Life Lab et doctorant à McGill, a été placé en détention.  

L’homme originaire d’Iran et un complice, Seyed Reza Mirnezami, qui serait affilié à une université iranienne, sont accusés d’avoir exporté illégalement des machines servant à déterminer le niveau d’enrichissement d’uranium. Le complice n’a pas été arrêté.  

  • Écoutez l'entrevue avec Marie-Christine Trottier, recherchiste pour le Bureau d'enquête, sur QUB radio :    

M. Kafrani fait l’objet de quatre chefs d’accusation pour avoir enfreint l’embargo américain envers l’Iran et six autres pour du blanchiment d’argent. Il a plaidé non coupable en attendant son procès. Il risque 20 ans de prison.

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Dix jours après son arrestation, sa femme, Fatemeh Kazemi Kafrani, prenait le contrôle d’Avi-Life Lab ici, peut-on lire dans le Registre des entreprises.  

Détention difficile 

M. Kafrani est resté presque cinq mois en prison près de Washington, DC. Au début novembre, un juge a ordonné qu’il soit transféré. L’établissement où il se trouvait était surpeuplé et « ne rencontrait pas les conditions minimales de confinement prescrites » selon les US Marshals.  

Il s’est donc retrouvé dans le même établissement où sont détenus les partisans de Donald Trump ayant pris d’assaut le Capitole le 6 janvier 2021.  

Son avocate Sabrina Shroff mentionne dans un document de cour que M. Kafrani aurait perdu 50 livres en prison, où il aurait contracté la COVID-19. Selon elle, il semblait « au bout du rouleau ».

Il y est demeuré jusqu’au 24 novembre avant d’être assigné à domicile dans un appartement de Virginie. 

En plus de devoir porter un bracelet GPS, d’avoir remis son passeport et de ne pouvoir sortir, il ne peut utiliser de téléphone accédant à internet et une personne le visite matin et soir et l’appelle le midi.  

M. Kafrani a réussi à obtenir cette assignation à domicile grâce à l’ami d’un ami, Behrouz Ahvazi, qui a accepté non seulement de le surveiller et de l’héberger en attendant son procès, mais qui a également mis en garantie une de ses propriétés pour 100 000 $ US afin de l’aider à payer sa caution. 

M. Kafrani, de son côté, a dû fournir 20 000 $ US comptant pour payer la caution. S’il se sauvait, il perdrait cet argent et M. Ahvazi son appartement. 

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Risque de fuite 

Pourtant, l’homme sans antécédents criminels représenterait des risques élevés de fuite au Canada ou même en Iran. Selon les avocats de la poursuite, comme il n’a aucune attache aux États-Unis, il pourrait facilement se débarrasser de son bracelet GPS et franchir la frontière canadienne pour retrouver les siens avec l’aide du consulat iranien. 

« Le gouvernement invente une intrigue de l’ampleur d’un roman de John le Carré », a répliqué son avocate dans un document déposé en cour.  

Les risques de fuite étaient tout de même suffisamment sérieux pour faire hésiter un juge pendant des mois. « Soyons réalistes, c’est facile de disparaître dans ce pays », a dit le juge Emmet G. Sullivan.  

Reza Sarhangpour Kafrani doit revenir en cour le 20 janvier. La demande d’entrevue envoyée à son avocate est restée sans réponse. 


 Qui est Reza Sarhangpour Kafrani ? 

Fils d’une famille d’agriculteurs, né dans un petit village à 500 km de Téhéran, Reza Sarhangpour Kafrani a étudié en sciences de l’alimentation avant de fonder son laboratoire de recherche en Iran. 

En 2014, il a tout quitté et vendu son entreprise pour venir s’installer à Montréal avec sa femme et ses deux filles. Il y a enregistré au Registre des entreprises, en 2016, Prolife Global, devenue Avi-Life Lab, et a commencé un doctorat au département des sciences de l’alimentation à l’Université McGill, en 2017. 

La même année, il a fondé Avi-Life GP. 


Qu’est-ce que les Américains lui reprochent ? 

Reza Sarhangpour Kafrani et un complice sont accusés d’avoir détourné les règles restreignant l’exportation de produits pouvant servir à la fabrication d’armes nucléaires en Iran. Les spectromètres de masse qu’ils auraient exportés permettent, notamment, de déterminer le niveau d’enrichissement de l’uranium nécessaire à la technologie nucléaire.  

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Selon l’acte d’accusation, M. Kafrani et son complice se sont renseignés auprès des gouvernements canadien et américain au sujet des sanctions contre l’Iran, ont essayé d’obtenir sans succès des permis d’exportation et ils auraient élaboré un stratagème pour contourner les règles.  

Le complice de M. Kafrani lui a même envoyé un courriel avec un lien vers un reportage rapportant que des Montréalais avaient été accusés d’exporter illégalement de l’équipement ferroviaire en Iran. Il commente, en perse : « C’est dangereux ! Nous devons parler ». 

M. Kafrani a négocié sans succès avec une première entreprise américaine, demandant même quels étaient les coûts pour une installation au Moyen-Orient. En 2016, il a finalement réussi à acheter auprès d’une autre compagnie américaine l’équipement de laboratoire. Il a payé 110 000 $ US à l’aide de comptes de banque basés au Canada, à Taiwan et en Chine. 

Après la réception de la marchandise à Montréal, M. Kafrani et son complice l’ont exportée aux Émirats arabes unis, puis vers l’Iran.


Épinglé à la frontière 

Reza Sarhangpour Kafrani a été arrêté le 5 juillet lorsqu’il a traversé la frontière de Saint-Bernard-de-Lacolle/Champlain vers les États-Unis. Selon des documents déposés en cour, il accompagnait des amis qui avaient besoin de faire étamper leur passeport dans leur processus d’immigration.  

Il a été interrogé tard en soirée par deux agents du département du Commerce et de la Sécurité nationale.  

« Assoyez-vous. Comment allez-vous ? », lui demande l’agent spécial Christopher O’Neill. 

« Pas très bien », répond M. Kafrani. 

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« Non, une longue journée, n’est-ce pas ? » 

« Je ne comprends pas ce qui vient de se passer », ajoute M. Kafrani. 

M. Kafrani a longuement tenté d’expliquer les fonctions des machines exportées, et d’où provenaient les sommes pour l’achat.  

« J’ai trouvé cet argent avec mon autre entreprise », explique-t-il. 

« OK, donc y a-t-il d’autres personnes qui vous ont aidé à financer ? » demande l’agent américain. 

« Non, non, non », répond M. Kafrani. 

« Pas d’autres investisseurs ? » 

« Pas d’autres investisseurs. » 

« Vous devez avoir beaucoup d’argent qui vient d’Iran. » 

« Non, je l’ai apporté. » 

« Pour combien l’avez-vous vendue [l’autre entreprise] ? » 

« Pour 800 000 $. » 

Il ajoute qu’en 2019, il a ajouté un autre million de dollars à ses actifs canadiens. 

« Où avez-vous trouvé cet argent ? », demande l’agent O’Neill. 

« C’était des terres que j’ai vendues », explique M. Kafrani. 


Dette de 420 000 $ envers Desjardins

Le Mouvement Desjardins a comme politique de ne pas investir ou prêter à des entreprises qui sont dans le secteur des armes non conventionnelles. « Le prêt que Desjardins a octroyé à Avi-Life Lab l’a été pour des activités légitimes et rien n’indiquait que l’entreprise ou ses dirigeants pourraient s’être prêtés à des activités illicites », a indiqué dans un courriel le porte-parole de la coopérative Jean-Benoît Turcotti. Avi-Life Lab doit environ 420 000 $ à la Caisse Desjardins du Plateau-Mont-Royal. 

Les équipements de sa compagnie sur le point d’être liquidés  

L’entreprise montréalaise Avi-Life Lab, dont l’ex-président a été arrêté l’été dernier aux États-Unis, a pour plus de 4,3 millions $ de dettes. Une ordonnance de faillite a été rendue contre cette compagnie en décembre. 

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Avi-Life Lab est spécialisée en recherche et analyses en laboratoire, notamment pour le secteur de l’agroalimentaire. La première assemblée des créanciers s’est tenue en ligne, vendredi dernier, à laquelle a participé sa femme Fatemeh Kazemi Kafrani. 

Depuis son arrestation, c’est elle qui est aux commandes, selon des documents judiciaires. Les travailleurs, une quinzaine, ont été mis à pied ces derniers mois. 

« Ma mère a essayé de gérer le laboratoire à Montréal, mais avec ce choc et l’absence de mon père, nous faisons face à beaucoup de problèmes financiers », a écrit leur fille de 15 ans à un juge américain pour faire le point sur leur situation difficile. 

Malgré nos tentatives pour joindre un responsable dans l’entreprise, nous n’avons reçu aucun retour d’appel. 

Reza Sarhangpour Kafrani a fondé son entreprise Avi-Life Lab en 2016.
Reza Sarhangpour Kafrani a fondé son entreprise Avi-Life Lab en 2016. Photo tirée de Facebook

Ça allait déjà mal  

Un rapport indique que les Kafrani ont contracté une hypothèque, dont le montant a été caviardé, et qu’ils ont emprunté de l’argent à des amis afin de tenter de maintenir l’entreprise à flot.  

Selon un document du syndic MNP, qui pilote ce dossier, les difficultés financières d’Avi-Life Lab sont antérieures à l’arrestation du fondateur. L’entreprise éprouvait notamment des problèmes depuis 2020 avec le paiement de son loyer auprès de Concentric Agriculture ainsi qu’avec le remboursement de son prêt chez Desjardins. 

À tout le monde

La PME doit, entre autres, près de 420 000 $ à la Caisse Desjardins du Plateau-Mont-Royal, un peu plus de 187 000 $ à l’Agence du revenu du Canada, environ 210 000 $ à Revenu Québec et 50 000 $ à Hydro Québec et 430 000 $ à Concentric Agriculture. Mme Kafrani a aussi une réclamation de 2,97 millions $ en tant qu’actionnaire. 

Lors de l’assemblée des créanciers, le syndic a indiqué que les revenus bruts d’Avi-Life Lab ont atteint 425 761 $ en 2019 et 112 552 $ l’année suivante. La compagnie possède environ 600 000 $ en machines, équipement et installations qui serviront à rembourser une partie des dettes. 

Le syndic n’a pas trouvé d’informations comptables dans les systèmes informatiques de l’entreprise. Les informations financières proviennent notamment de l’ancien comptable de la compagnie et des réclamations des créanciers. 

Avi-Life Lab a profité de la Subvention salariale d’urgence du Canada durant la pandémie. Le syndic recevra les soumissions pour la vente des équipements dès le 20 janvier. 

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