Des étudiants russes brisent le silence pour dénoncer la guerre en Ukraine
Axel Tardieu
Que pensent les étudiants russes installés au Québec de la guerre en Ukraine? Quatre d'entre eux ont accepté de se confier à 24 heures malgré les risques que cela pose pour leurs proches en Russie.
«Ma vie a complètement changé depuis la guerre», confie Olga Babina, dont le cœur bascule entre son pays natal et l'Ukraine.
«J’ai de la famille en Russie et des amis en Ukraine», explique l’étudiante en psychologie à l’Université Concordia, où 14 étudiants russes sont inscrits cette année.
Déjà, en 2014, Olga Babina avait pris position contre la guerre menée par les troupes de Vladimir Poutine en Crimée, une région qui a depuis été annexée à la Russie. Installée au Canada depuis six ans, elle organise des manifestations pour rassembler ses compatriotes contre les politiques russes.
Trop dangereux de retourner en Russie
Olga Babina est au Québec pour de bon. «C’est triste, mais ce serait maintenant trop dangereux pour moi de revenir en Russie», affirme celle qui doit donner rendez-vous à ses parents en dehors des frontières de la Russie.
Dans ce pays, les opposants de Vladimir Poutine qui s'expriment dans la rue ou sur internet risquent la prison.
La répression s'intensifie d'ailleurs de jour en jour, remarque Kirill Rogov, politologue russe réfugié en Autriche.
«Aujourd’hui, le rythme est passé à 300 ou 400 affaires pénales, du fait, notamment, de l’introduction de nouveaux articles [sur des critiques de l’armée], et cinq, six, ou huit ans d’emprisonnement sont devenus monnaie courante», souligne-t-il en entrevue au journal Le Monde.
«La propagande russe fait croire que nous sommes victimes de stigmatisation, mais c’est faux. J’ai de la chance d’être au Canada», insiste Olga Babina.
• À lire aussi: Un Russe risque la prison en raison d'un dessin de son ado dénonçant l’offensive en Ukraine
Pas de racisme
Quand Evgenii Nikishin, 27 ans, repense aux premières images de l'invasion russe en Ukraine, il a des frissons.
Même si sa nationalité, son accent et son nom rappellent cette guerre, l'étudiant de l’Université de Montréal ne s'est jamais senti stigmatisé depuis qu'il est arrivé au Québec.
«Je suis chanceux d’avoir évité toute forme de discrimination jusqu’à présent. Les gens à Montréal sont compréhensifs, mais la guerre est un sujet difficile à éviter entre amis», mentionne-t-il.
Angoisse de perdre son visa
Originaire de la région de Moscou, Evgenii Nikishin est arrivé au Canada en 2021, avec un visa étudiant qui expire dans un an. Il craint un resserrement des sanctions diplomatiques qui l'obligerait à retourner en Russie.
«Je réfléchis au meilleur pays où aller après mes études, à celui qui m’offrira un passeport qui me permettrait de voyager dans le monde sans problème», explique celui qui n'a pas l'intention de retourner à Moscou.
«Je ne sais pas quand je reverrai ma mère, regrette-t-il. On va devoir se donner rendez-vous dans un autre pays.»
«La guerre ne laisse plus le choix [de fuir la Russie]», estime pour sa part Marina Borisova, qui étudie elle aussi à l’Université de Montréal.
À 28 ans, elle a peu d’espoir pour son pays natal, «au moins pour les 10 prochaines années». «Ça fait peur de se dire qu’on peut aller en prison à cause d’une publication écrite sur internet», déplore-t-elle.
De plus en plus de Russes au Canada
Selon Immigration Canada, le nombre de citoyens russes avec un visa étudiant a triplé en 20 ans, passant de 755 en 2002 à 2350 en 2022.
«Le régime nous a enlevé notre mère patrie. Ils ne nous donnent pas d’autre choix que de partir, surtout tant que Poutine est aux commandes», affirme Tata Pemova, une étudiante à McGill installée au Canada depuis 2014.
• À lire aussi: Mandat d’arrêt pour crimes de guerre: Vladimir Poutine pourrait-il finir en prison?