Désinvestissement des énergies fossiles: des étudiants dénoncent la censure à l'Université de Montréal
Anne-Sophie Poiré
Un mouvement pour le désinvestissement des fonds de l’Université de Montréal dans les énergies fossiles serait victime de censure de la part de l’établissement d’enseignement, dénoncent des étudiants et professeurs. Des affiches appelant à la mobilisation ont été retirées des babillards et des bureaux de certains enseignants.
«Chaque jour on met des affiches sur les babillards de l’Université, au Campus MIL ou aux pavillons Jean-Brillant et Roger-Gaudry. Et chaque jour, ces affiches se font enlever. Notre message n’est pas violent, mais accuse l’UdeM de ses investissements», affirme le porte-parole de l’Écothèque, Quentin Lehmann.
Le mouvement mené par ce regroupement étudiant militant pour la justice climatique, réclame que la totalité des actifs de l’UdeM dans le secteur des énergies fossiles soit retirée d’ici 2025, entre autres.
Selon la politique de l’Université de Montréal, les tableaux d’affichage placés près des locaux des associations étudiantes relèvent de celles-ci.
«On met des messages aux endroits autorisés, sur les babillards des cafés et des associations étudiantes. Mais la sécurité a commencé à retirer ces affiches aussi», assure la militante et étudiante en géographie, Marie-Pier Ménard.
Jeudi soir, le comité de mobilisation a fait le test. Est-ce que la publicité pour le désinvestissement des fonds de l’UdeM dans les énergies fossiles est bel et bien ciblée par la sécurité?
Des affiches en soutien au mouvement ont été placées dans la fenêtre intérieure des bureaux d’un professeur et de certains étudiants au doctorat fermés à clé. Vendredi matin, elles avaient disparu.
«C’est de la grosse censure», plaident les militants.
«Je ne vois pas pourquoi on entrerait dans les bureaux des profs pour enlever des affiches, mais le message semble clair. De toute évidence, on ne veut pas voir ces affiches à l’Université de Montréal», fait valoir le professeur au département de géographie de l’Université de Montréal, Sébastien Rioux.
Des messages faisant la promotion du culte et de l’étude biblique trôneraient quant à eux depuis des mois sur les babillards publics, selon Marie-Pier Ménard. «Et les autres affiches dans la fenêtre du doctorant n’ont pas été enlevées», précise-t-elle.
Une institution démocratique
Le mouvement UdeM sans pétrole a été lancé en 2012. La communauté étudiante demandait alors que l’université se défasse de son portefeuille d'actions investies dans l’industrie des combustibles fossiles qui s’élevait à 119 millions $ en 2015, selon la porte-parole de l’Université de Montréal Geneviève O’Meara.
Ces actions cotées en bourse atteignaient 92,5 millions $ en 2020.
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Le mouvement a trouvé un second souffle à l’automne 2021. La reprise des cours sur le campus le 31 janvier dernier a permis aux étudiants et professeurs de poursuivre la mobilisation avec de l’affichage, notamment.
Les militants ne pointent pas seulement la «censure» dans cette affaire. Ils dénoncent également «l’intimidation» dont ils auraient été victimes.
«Les agents de sécurité ne se sont pas contentés de les enlever [les affiches]. Ils étaient sept autour de nous — quatre étudiants — pour nous faire comprendre que ce n’était pas la façon de faire, qu’on devait avoir une autorisation pour afficher. Ils ont demandé de nous identifier, nos noms, nos numéros de téléphone, sans explication. On s’est fait menacer d’être expulsé du campus si on ne s’identifiait pas», raconte Bruno Lecavalier, militant et étudiant en géographie.
«Le chef de la sécurité a laissé entendre que ça pourrait engendrer des notes à nos dossiers si on ne retirait pas les affiches», ajoute Marie-Pier Ménard.
L’UdeM confirme qu’une intervention a été faite auprès des étudiants, mais que le tout se serait déroulé dans le calme.
La situation inquiète malgré tout le professeur Sébastien Rioux.
«Je trouve ça déplorable, dans une institution qui se dit démocratique, qui se veut pour le dialogue. Cette campagne [de censure] va à l’encontre même des principes fondamentaux de l’université», dit-il.
Un malentendu, soutient l’UdeM
L’Université de Montréal confirme que des affiches ont été retirées par des agents du service de sécurité. Elle pointe cependant «un malheureux malentendu» sur l’application de la politique d’affichage.
«Les affiches n’auraient pas dû être retirées. Nous nous en excusons», a indiqué Mme O’Meara par courriel.
La porte-parole de l’établissement rapporte également que les agents ont avisé les associations étudiantes qu’ils étaient revenus sur leur décision et que les affiches pouvaient être installées dans leurs locaux.
D’ici décembre 2030, l’UdeM entend décarboniser son portefeuille d’actions cotées en bourse de 35%, avec une cible intérimaire de 20 % en 2025.
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Mais un désinvestissement est réalisable à plus court terme, prévient le mouvement.
Dès 2017, l’UQAM s’est engagée à un retrait complet des hydrocarbures, suivie de l’Université Concordia qui s’est fixée la même cible pour 2025.
L’Université Laval a quant à elle réduit de 42% l’empreinte carbone de ses investissements entre 2017 et 2021.
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