Publicité
L'article provient de 24 heures

«Des élèves qui frappent des enseignants, il y en a plusieurs par jours»: le cri du coeur d'une prof

motortion - stock.adobe.com
Partager
Photo portrait de Gabriel  Ouimet

Gabriel Ouimet

2023-11-22T20:37:40Z
Partager

Des élèves qui mordent, frappent, tapent et lancent des objets: les gestes violents auxquels était confrontée Magalie* dans sa classe du primaire l’ont poussée à l’épuisement professionnel. De telles violences pourraient contribuer à mettre en péril l’avenir de leur profession, s’inquiètent la prof et d’autres employés du monde de l’éducation. 

Quand elle a commencé à enseigner en 2021, Magalie était motivée à l’idée de faire la différence dans la vie de ses élèves. La réalité l’a toutefois vite rattrapée: l’enseignante est en arrêt professionnel, moins de deux ans après le début de sa carrière. Ce sont les gestes violents qu’elle vivait au quotidien qui l’ont poussée à bout. 

• À lire aussi: Le personnel de soutien scolaire ramasse les miettes

• À lire aussi: Est-ce que les profs sont payés pendant la grève?

«Dans mon école, des élèves qui font une crise violente et qui frappent les enseignants ou d’autres élèves, il y en a jusqu’à trois ou quatre par jour. Personnellement, ça m’arrive chaque semaine. J’aime enseigner, mais malheureusement, je ne fais plus d’enseignement. Je fais de la gestion de crise», explique la prof spécialisée en première, deuxième et troisième années du primaire. 

Dans les groupes avec plusieurs élèves aux besoins particuliers, la situation est telle que la prof doit toujours être sur ses gardes. 

Publicité

«J’ai une élève en particulier à qui je dois absolument dire “oui” à tout. Je dois lui laisser faire ce qu’elle veut. Dès que je dis “non”, elle me frappe. La dernière fois que c’est arrivé, elle a frappé des élèves qui parlaient à côté d’elle et quand je lui ai dit de ne pas frapper les amis, elle m’a frappé cinq fois au visage, avant de se retourner pour s’en prendre à un autre élève», détaille l’enseignante de Saint-Hyacinthe.

La violence en hausse

La situation décrite par Magalie n’a rien d’exceptionnel. Partout au Québec, le nombre gestes violents impliquant dans élèves est en hausse, notamment dans les écoles primaires. 

Des chiffres obtenus par Radio-Canada indiquent que le nombre de réclamations acceptées par la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) pour divers gestes de violence à l’endroit d’enseignants au primaire a triplé entre 2018 et 2022, passant de 50 à 150 annuellement. Elles ont atteint 163 en 2021.

Ces données ne seraient toutefois que la pointe de l’Iceberg, puisque peu d’enseignants décident de faire des réclamations à la CNESST, soutiennent les syndicats. 

Des ressources limitées

Dans les classes du Québec, les enseignants qui sont confrontés à un élève en crise ont peu de ressources à leur disposition pour apaiser la situation, déplore Magalie. 

«On doit demander à l’élève de se retirer dans un coin ou de sortir de la classe. S’il ne veut pas, on doit prendre le temps de lui parler pour tenter de le calmer. On ne peut en aucun cas le toucher ou le déplacer», rappelle-t-elle. 

Publicité

Si les choses dégénèrent, les techniciennes en éducation spécialisée (TES) peuvent être appelées en renfort. Or, ces professionnelles sont débordées, poursuit Magalie.

• À lire aussi: 12% du personnel de soutien scolaire a recours aux banques alimentaires

• À lire aussi: 12 tweets de François Legault sur les profs et l'enseignement qui ont mal vieilli

«Je suis partie en congé de maladie parce que malgré mes nombreuses demandes, il n’y a jamais personne qui est venu m’aider», regrette-t-elle. 

Même lorsque l’aide arrive à temps, les enseignants doivent souvent se résoudre à interrompre les activités de la classe, mentionne Alexandra, une enseignante de l’Outaouais qui cumule plus 7 ans d’expérience. 

«Trop souvent, nous devons évacuer notre classe parce qu’un élève est en crise et que le personnel ne peut pas le contrôler», dit-elle. 

Dans ce contexte, les enseignants — mais aussi les membres du personnel de soutien scolaire — demandent la collaboration du gouvernement pour mettre en place des mesures concrètes pour apaiser la violence dans les écoles. 

«La violence, ça fait des années et des années que je me bats pour ce point-là. On veut quelque chose de concret dans notre convention collective. On est tannés de se faire dire “oui oui, on travaille là-dessus”. Ça n'a pas de bon sens, ils ne font jamais rien», indique Annie Charland, présidente du secteur scolaire à la FEESP-CSN, qui représente le personnel de soutien scolaire.

L’avenir de la profession en jeu

Il manquera jusqu’à 14 230 profs d’ici quatre ans dans les écoles québécoises, prévoit le gouvernement du Québec. C’est sans compter les départs hâtifs qui pourraient frapper le milieu scolaire dans les prochaines années. 

Comme plusieurs de ses collègues, Magalie craint de devoir quitter la profession si les négociations actuelles ne permettent pas de créer un environnement de travail plus sain.

«Sincèrement, en ce moment, je ne vois pas d’avenir. Je n’arrête pas de me dire que je ne serai pas toute ma vie là-dedans. Je ne me rendrai pas à ma retraite en enseignement parce que je ne me vois pas gagner de l’énergie avec les années et je suis déjà épuisée», dit-elle. 

Un sentiment partagé par Alexandra, qui craint de voir la pénurie de professeurs actuelle s’aggraver. 

«La prochaine étape, si le système d’éducation de s’améliore pas, c’est de nombreuses démissions de professeurs. Si vous pensez qu’il manquait beaucoup d’enseignants à la rentrée 2023, attendez de voir dans les prochaines années. La flamme que j’ai pour l’enseignement est difficile à garder allumée», dit-elle. 

*Nous utilisons un prénom fictif pour protéger l'anonymat de l'enseignante

Publicité
Publicité