Des champignons pourraient causer la fin du monde comme dans «The Last of Us», mais c’est peu probable
Anne-Sophie Poiré
Une question se pose après le dernier épisode de The Last of Us: un champignon pourrait-il déclencher une pandémie comme le suggère la série inspirée du jeu vidéo du même nom? Même si ce scénario est improbable, il n’est pas entièrement impossible, soutiennent des experts. Et s’il en venait à se concrétiser, la pharmacopée mondiale n’est pas du tout équipée pour y faire face.
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Dans la série à succès de HBO, l’apocalypse apparaît sous la forme d’une pandémie fongique: un champignon appartenant au genre Cordyceps est parvenu à muter pour infecter le cerveau des humains.
Une fois contaminés, les hôtes de ce parasite se transforment en créatures violentes et assoiffées de sang, en deux jours à peine. Et elles sont bien déterminées à propager le champignon zombificateur en mordant – ou en dévorant – leur proie.
Si cette souche particulière de Cordyceps est fictive, le champignon existe bel et bien dans le monde réel. Il est même utilisé comme supplément alimentaire.
Il ne s’attaque toutefois qu’aux fourmis et à certains insectes.
«Les Cordyceps peuvent engendrer une modification du comportement des fourmis et des insectes, mais pas d’un comportement complexe de zombie sur une longue période comme on le voit dans la série de HBO», précise le responsable du secteur mycologie à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), Philippe Dufresne.
Et, malheureusement pour l’imaginaire, l’infection ne se transmet pas par morsure.
«Lorsque la fourmi respire les spores microscopiques du champignon, qui sont environ gros comme une pointe d’aiguille – le moyen de reproduction d’une moisissure –, le parasite aura pris le contrôle de son corps à peu près un mois plus tard», explique le président de l’Association des microbiologistes du Québec, Marc Hamilton.
«Il infecte la motricité de la fourmi et non son cerveau, poursuit-il. Elle a toute sa tête, mais n’a plus le contrôle de ses mouvements, qui lui disent de monter au sommet d’une branche ou d’une feuille, soit l’endroit idéal pour que le champignon puisse se reproduire. Il finit par sortir du corps de la fourmi et par la tuer.»
C’est d’ailleurs un épisode de l’émission Planet Earth diffusé en 2006 sur l’infection d’une fourmi par un de ces champignons, qui a inspiré le créateur du jeu The Last of Us, Neil Druckmann, lancé en 2013.
Pourquoi une pandémie fongique est-elle improbable?
La proposition du jeu vidéo est originale, admettent les experts consultés par 24 heures, considérant que dans la vaste majorité des œuvres postapocalyptiques «pandémiques», la fin du monde est causée par un virus. Originale, donc, mais pas nécessairement crédible.
D’abord, parce que les champignons pathogènes ne se transmettent généralement pas d’humain à humain, selon Philippe Dufresne de l’INSPQ.
Il est possible de contracter une infection fongique par les spores en suspension dans l’air.
D’autres, appelées dermatophytoses, qui causent notamment la mycose des ongles, peuvent se transmettre par contact avec une personne, un animal ou des articles infectés. Elles vivent sur les tissus morts de la peau, des cheveux et des ongles.
Ces infections ne risquent toutefois pas de provoquer la destruction de la civilisation. D’abord, parce qu’elles se traitent bien avec un crème antifongique. Ensuite, parce que la croissance du champignon est lente comparativement à celle des virus et des bactéries.
«L’infection prend plusieurs mois à se développer», précise M. Dufresne.
«Les champignons sont des organismes complexes et très évolués. Pour cette raison, ils ne subissent pas un taux élevé de mutation nécessaire pour prendre le contrôle du corps humain», ajoute la professeure de biologie à l’Université d’Ottawa, Allyson MacLean.
On est donc loin du scénario idéal pour un film catastrophe, ironise Marc Hamilton de l’Association des microbiologistes du Québec.
«Ça prend un mois pour que les Cordyceps infectent une fourmi, ce qui équivaut à une grande partie de sa vie [son espérance de vie varie de quelques semaines et 2 ans], illustre-t-il. Si un champignon venait à attaquer les humains, on aurait du temps pour trouver un remède.»
Autre facteur important: la température du corps humain est trop élevée pour qu’un champignon puisse y proliférer.
«Pour qu’un champignon ait du succès pour attaquer un humain, il doit pouvoir tolérer une température de [36,6°C]. Mais la majorité ne survit pas à cette température. Ils se développent généralement entre 4°C jusqu’à 30 ou 31°C», explique le professeur au Département des sciences du bois et de la forêt à l’Université Laval, Louis Bernier.
Une pandémie pas impossible
«Les champignons pathogènes sont opportunistes», ont mentionné les cinq spécialistes interrogés par 24 heures. Certains champignons, qui se sont adaptés à des températures plus élevées, sont ainsi capables d’infecter les humains, notamment les personnes avec systèmes immunitaires affaiblies.
«Une pandémie fongique est un scénario difficile à imaginer, sauf dans les populations humaines qui seraient déjà en mauvaise santé», fait valoir la professeure au Département des sciences biologiques de l’UQAM, Tatiana Scorza.
«Les gens immunosupprimés ou déjà affaiblis par la maladie sont plus propices à contracter des infections fongiques.»
En septembre 2022, le Québec a connu sa première éclosion de Candida auris, un «champignon tueur» dit-on, qui s'attaque aux malades en milieux de soins. Une personne infectée aura de 30 à 60% de risques d’en mourir.
«Pour qu’une pandémie soit causée par un champignon, ça prendrait la tempête parfaite: un événement majeur qui aurait tué une partie de la population et dont les survivants auraient été laissés avec un système immunitaire affaibli», explique Louis Bernier.
Et si, par malheur, survenait cette «tempête parfaite», il pourrait être très difficile d’y résister.
«C’est plus difficile de traiter les infections fongiques, parce qu’il y a moins de différences entre les humains et les champignons, contrairement aux bactéries», souligne la biologiste Allyson MacLean. Comme les humains et les animaux, les champignons sont formés de cellules eucaryotes.
Le manque de médicament pour lutter contre les infections fongiques pourrait aussi être un obstacle, prévient le professeur Bernier.
«Il n’y a pas énormément de produits contre les mycoses humaines et on voit de plus en plus de résistance. Si on commençait à voir de plus en plus d’épidémies causées par les champignons, la pharmacopée actuelle n’est pas suffisamment développée pour les combattre, contrairement aux bactéries ou aux virus.»