Où en est-on avec les caméras corporelles pour les policiers de Montréal?
Alex Proteau
Les dernières arrestations brutales à Québec, dont des images ont abondamment été relayées sur les réseaux sociaux, ont relancé le débat des caméras corporelles pour policiers. Mais, d’ailleurs, où en est-on, à Montréal, en ce qui concerne leur déploiement ? On fait le point.
Contrairement à ce qui avait été annoncé en juillet dernier, les policiers montréalais ne seront pas dotés de ce dispositif avant 2022.
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«Notre volonté, c’est d’aller le plus rapidement possible pour leur déploiement, et de la bonne façon», avait pourtant résumé la mairesse Valérie Plante, expliquant que son administration attendait encore que l'on réponde à certaines de ses interrogations pour aller de l’avant.
Contactée par le 24 heures, la Ville n’a toujours pas répondu à notre demande d’information concernant une éventuelle date de mise en place d’un tel dispositif.
De son côté, l’opposition officielle à la Ville de Montréal, Ensemble Montréal, demande depuis plusieurs années déjà que les agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) soient munis de ces caméras.
Il faut rappeler que Montréal avait lancé un projet-pilote en 2016. Toutefois, le SPVM concluait dans son rapport que l’expérience n’avait pas permis de démontrer sans équivoque que les caméras portatives favorisaient la transparence des interventions policières, mais qu'elle suscitait des questions sur le respect de la vie privée des citoyens.
Qui en veut et qui n’en veut pas?
Pour le moment, la question ne fait pas consensus. La Fraternité des policiers et policières de Montréal, La Ligue des Noirs nouvelle génération et la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP) se sont positionnées en faveur de cet équipement.
D’autres, comme la Coalition pour le définancement de la police – qui rallie une soixantaine d’organismes, notamment Black Lives Matter Montréal et le Réseau de la communauté autochtone à Montréal –, sont contre. «L’argent et la technologie investis dans les caméras corporelles signifient moins d’argent pour la réelle prévention, le soutien aux communautés et à l’investissement», indique Marlihan Lopez, une porte-parole de la Coalition.
Un projet-pilote dans certaines MRC du Québec
Cette année, les policiers de la Sûreté du Québec de quatre MRC les ont testées dans le cadre d’un projet-pilote. Il s’agit des MRC de Rimouski-Neigette, dans le Bas-Saint-Laurent, de La Vallée-de-l’Or, en Abitibi, de Beauharnois-Salaberry, en Montérégie, et de Drummond, dans le Centre-du-Québec.
Le rapport de cet exercice devrait être remis cet hiver à la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault.
À Kuujjuaq, dans le Nord-du-Québec, les policiers sont munis de cet équipement depuis l’an dernier. «Il n’y a pas un policier ici qui n’est pas content d’avoir ça sur lui», avait confié au Journal le capitaine Maxime Mercier.
De grandes villes et le Canada les testent
Au niveau fédéral, le gouvernement Trudeau a annoncé plus tôt l’an dernier une enveloppe de près de 240 millions de dollars sur six ans pour soutenir le déploiement d’un programme de caméras corporelles parmi les policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui a débuté en mai.
Ailleurs au pays et dans le monde, Calgary, New York, Londres et Chicago sont allées de l’avant avec cet équipement.
Un expert en défaveur
Ted Rutland, professeur agrégé à l’Université Concordia, est bien au fait du dossier. Pour lui, les caméras corporelles ne contribueront à diminuer ni la brutalité policière ni le profilage racial.
«Ça n’a presque aucun effet sur le comportement des policiers», dit-il.
Selon l’expert, si les policiers les revendiquent, c’est pour deux raisons: redorer leur image publique et les aider à gagner en cour.
«Nous sommes dans un moment où l’image publique de la police se retrouve dans les mains des citoyens et où tout le monde peut filmer et faire circuler le tout sur les réseaux sociaux. Ça leur permet de reprendre contrôle de leur image publique», explique-t-il.
Le professeur agrégé, spécialiste des questions de sécurité urbaine, cite également une étude réalisée en 2016 par l’Université George Mason, en Virginie. Selon cette étude, dans 92,6% des cas, les images de caméras corporelles sont utilisées en cour pour intenter des poursuites criminelles contre des civils, et seulement dans 8,3% des cas contre des policiers.
Le dispositif se retournerait donc contre ceux-là mêmes qu’il est censé protéger: le public.
De son côté, le SPVM y voit des avantages, comme l’amélioration des pratiques policières par l’utilisation d’enregistrements à des fins de formation et de perfectionnement. Il avance aussi que les caméras peuvent permettre d’établir que les policiers ont travaillé dans le respect des procédures.
− Avec l’Agence QMI et Le Journal