Derrière le long examen qui a fait de Shane Wright un exceptionnel
Nicolas Cloutier
Décembre 2018, Shane Wright et sa famille se lançaient dans un fastidieux processus. Wright devait prouver à la fédération de hockey ontarienne qu’il a l'étoffe d'un joueur de hockey exceptionnel, mais aussi d'un être humain qui l’est tout autant.
Le processus tel qu’on le connaît aujourd’hui qui permet à un hockeyeur surdoué de jouer dans la Ligue junior de l’Ontario (OHL) à l’âge précoce de 15 ans a vu le jour en 2005. Les candidats ayant échoué à cet examen ne sont pas dévoilés publiquement, mais on connaît bien entendu ceux qui l’ont réussi : John Tavares (2005), Aaron Ekblad (2011), Connor McDavid (2012), Sean Day (2013), Wright (2019) et Michael Misa (2022).
Celui-ci est extrêmement rigoureux. On ne détermine pas en criant ciseaux si un adolescent a la maturité requise pour côtoyer des jeunes de 20 ans et devenir non seulement un meilleur joueur de hockey, mais aussi un meilleur individu dans ce contexte. La fédération de hockey ontarienne a une responsabilité tant sportive que sociale.
S’il y a un indice fort qui témoigne de la bonne attitude et du caractère de Wright en tant que jeune homme et hockeyeur, c’est la réussite de cet examen. Le directeur de la fédération ontarienne de hockey, Phillip McKee, qui chapeaute la portion administrative du processus moderne de joueur exceptionnel depuis sa conception, a accepté de décortiquer au TVASports.ca les étapes qui ont fait de Wright un prodige de 15 ans dans la OHL.
D’abord, ce sont les joueurs et leur famille qui doivent initier le processus en formulant une demande avant le 1er décembre.
«À partir de ce moment, je travaille avec la famille sur la candidature, je m’assure que tout est fait en bonne et due forme, explique McKee. Nous devons obtenir trois ou quatre contacts dans différentes sphères du milieu de Wright.
«L’un des contacts se rattache à l’éducation. Nous travaillons avec l’école pour obtenir des échos, des avis, des évaluations à son sujet. Ensuite, nous nous tournons vers ses entraîneurs pour mieux comprendre le joueur, fondamentalement. Puis notre département du recrutement s’affaire à évaluer le joueur de hockey, sa capacité à performer et avoir un impact au niveau supérieur.»
Sur le plan hockey, la candidature de Wright était béton. Ses statistiques avec les Flyers de Don Mills au niveau «minor midget» en Ontario étaient ahurissantes. En 2018-2019, il a survolé la compétition en amassant 150 points, dont 66 buts, en 72 rencontres.
Mais les aptitudes sur glace ne constituent qu’un volet de l’évaluation.
Aptitudes de... vie
«La dernière étape est une entrevue portant sur les compétences essentielles dans la vie quotidienne (life skills interview). Nous faisons appel à quelqu’un qui a un bagage dans les domaines du hockey et de la psychologie pour interviewer le joueur et sa famille.
«Ensuite, le joueur doit se soumettre à un exercice de production écrite. Les questions relatives à celle-ci sont directement liées à l’entrevue.»
Au risque d’insister encore sur cet aspect, la réussite de l’examen nécessaire à l’obtention du prestigieux statut de joueur exceptionnel ne se limite pas à saisir un bâton de hockey et tirer dans la lucarne match après match pour asseoir sa supériorité dans le hockey mineur.
Le jeune hockeyeur doit prouver qu’il appartient à un groupe spécial d’individus dans bien des aspects de la vie.
Une fois toutes les étapes complétées, les informations recueillies sont soumises à un panel spécial de Hockey Canada chargé de la décision finale. Le panel doit répondre par l’affirmative à plusieurs questions avant de rendre un verdict positif.
«Jouer dans la OHL à 15 ans constitue un énorme saut. Est-ce qu’il s’agit d’une opportunité propice au succès? La réponse ici ne se fonde pas entièrement sur les habiletés absolues du joueur. Est-ce que cela placerait le joueur dans la meilleure position pour croître sur le plan individuel, en tant que joueur, en tant que qu’humain, en tant que personne?
«Oui, tu peux jouer dans la OHL comme joueur exceptionnel, mais développeras-tu tous les outils nécessaires pour devenir une bonne personne dans la vie de tous les jours? Devenir un bon être humain à l’extérieur de la glace en grandissant à 15 ans avec des joueurs de 20 ans.»
Et la question évidente : continuer à dominer outrageusement sa cohorte représenterait-il un obstacle au développement du joueur?
Rigueur sans compromis
Wright a fini par cocher toutes les cases. Il est devenu le quatrième exceptionnel en Ontario en l’espace de huit ans, ce qui pourrait faire lever bien des sourcils et remettre en question la crédibilité de ce statut devant par définition être hautement exclusif. D'ailleurs, trois ans plus tard, Michael Misa a obtenu à son tour le privilège.
Mais détrompez-vous, souligne McKee, aucune candidature n’est évidente et prise à la légère. Pas celle de Shane Wright. Pas même celle de McDavid.
«Aucune décision n’est facile. Le panel doit jongler avec tellement de variables différentes pour chaque joueur.»
S’il a été impliqué dans la candidature de Wright strictement du point de vue administratif et ne faisait pas partie du fameux panel, le directeur de la fédération ontarienne a trouvé agréable les contacts avec le clan Wright.
«Mon expérience avec la famille a été très positive. Ils étaient ouverts à la communication, disposés à essayer de comprendre le processus pour soutenir leur fils le mieux possible. Ils étaient déterminés à le voir s’épanouir de la plus belle façon possible.»
Humain de haute performance
Au fil des ans, McKee a décelé une constante chez les athlètes qui réussissaient l’examen exceptionnel.
«Ils sont dévoués à leur objectif. Mais ils ne sont pas seulement des joueurs de hockey. Sur le plan académique, ils étaient très forts. Leurs aptitudes sur le plan de la communication étaient aussi très fortes, tout comme leur habileté à interagir avec des adultes ainsi qu'avec leurs pairs. Puis il y a leurs aptitudes sur la glace. Ils sont des athlètes bien rodés et des êtres humains tout aussi bien outillés. J’ai eu la chance d’accompagner chacun des joueurs exceptionnels en Ontario dans ce processus depuis 2005. Chaque fois, j’ai eu cette impression.
«Nos meilleurs joueurs ne sont pas seulement des athlètes de haute performance, mais aussi des humains de haute performance.»
Un humain de haute performance. L'examen a déterminé que Shane Wright en était un. Les Frontenacs de Kingston en ont ensuite fait le capitaine le plus jeune de l'histoire de la OHL, à 15 ans.
Le directeur général des Canadiens de Montréal, Kent Hughes, a laissé savoir que l'organisation ciblerait un joueur de talent, mais aussi un joueur de caractère, un leader.
Si la réussite du rigoureux examen de la fédération ontarienne ne vous convainc pas, il y aura toujours cette histoire racontée par le DG des Frontenacs, Kory Cooper, à Sportsnet.
«Nous sommes à Peterborough pour un match préparatoire. Après la route du retour en autobus, tout le monde sort, mais Wright, lui, reste à l'arrière de l'autobus pour nettoyer les trucs.
«Je trouve juste que c'est une histoire unique : parmi tous les gars, c'était Shane Wright qui était là, seul, en train de s'assurer que c'était propre.»