Cryptomonnaies: «un problème croissant» pour le climat
Augustin de Baudinière
Une seule transaction de bitcoin génère autant de CO2 qu’un million de transactions avec Visa. En temps de crise climatique, la chute de la valeur des cryptomonnaies serait-elle une bonne nouvelle pour la planète?
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Le fonctionnement des cryptomonnaies dépend majoritairement d’énergies non renouvelables.
L’emblématique bitcoin, dont la valeur a dégringolé au cours des derniers mois, compte pour 66% d’entre elles.
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Dans son dernier rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) les identifie d’ailleurs comme un «problème croissant».
«On peut se demander s’il est pertinent d’allouer des ressources énergétiques et matérielles à des résolutions de problèmes mathématiques qui finalement ne servent à rien, sinon à spéculer financièrement», se questionne Colin Pratte, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).
Les processus de «minages» généreraient 64 millions de tonnes de CO2 par année, selon Alex de Vries, économiste à la Banque centrale des Pays-Bas. C’est plus que les émissions annuelles de la Bolivie et de l’Équateur réunies.
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Un gouffre énergétique
Le bitcoin repose sur une «chaîne de blocs», une technologie de stockage et de transmission d’informations qui exige une puissance de calcul considérable. Toutes les opérations passent par ce registre public mondial décentralisé. Ainsi, chacune d'entre elles, au nombre de 19 millions qui ont lieu quotidiennement, réclame la participation d’ordinateurs pour réaliser les «minages».
Certaines «fermes» regroupent des centaines de machines capables de créer cette monnaie numérique sécurisée. À cause de leur demande énergétique majeure, le Kentucky a dû rouvrir des centrales de combustibles fossiles.
Tandis que 44% du «minage» du bitcoin avait lieu en Chine, le pays l’a interdit définitivement l’an dernier. Les mineurs se sont alors déplacés au Kazakhstan.
«Là-bas, il y a une très grande production d’électricité par charbon. Mais celui du Kazakhstan est du lignite. Il a une empreinte environnementale plus importante que celui brûlé en Chine», précise Colin Pratte.
Le Kazakhstan partage désormais les trois quarts de l’énergie consacrée à la création de bitcoins avec la Russie et les États-Unis.
L’empreinte carbone du bitcoin a progressé de 17% entre 2020 et 2021 à l’échelle mondiale.
Des États ferment la porte au minage
Dans le contexte du changement climatique, des pays comptent interdire les cryptos sur leur territoire, comme la Suède.
Une ancienne centrale de charbon de l’État de New York avait été convertie au gaz naturel pour extraire des bitcoins depuis 2020. Mais les autorités locales ont refusé le renouvellement de son permis d’exploitation. Selon celles-ci, la centrale électrique représenterait une menace pour les objectifs climatiques de l’État.
D’immenses fermes de minage souhaitent donc s’installer dans des endroits qui recourent à des énergies renouvelables, comme le Québec.
Hydro-Québec alimente actuellement en électricité 80 entreprises de minage, ce qui équivaut à la consommation de 7000 résidences. Inquiète de la volatilité de l’industrie, sa patronne, Sophie Brochu, a précisé qu'elle ne voulait pas en accueillir davantage lors d’une entrevue sur les ondes du 98.5 en avril dernier.
«Hydro-Québec a vraiment un tarif spécial [le tarif CB] pour le minage. Ça va sûrement leur permettre de contrôler les projets et la quantité afin d’être sûr de ne pas avoir une surutilisation», précise Mélissa Fortin, professeure au Département des sciences comptables de l’UQAM, spécialisée en cryptomonnaies. La société d’État limite donc l’énergie accessible aux projets de cryptomonnaies à 0,8% de l’ensemble de la production d’électricité de la province. Les fermes pourraient d’ailleurs être déconnectées lorsque les maisons consomment davantage pour se chauffer en hiver.
«Le second enjeu est celui de l’utilisation des terres. Par exemple, installer des fermes de bitcoin en Estrie sur des terres ayant un potentiel agricole très élevé est complètement absurde», ajoute Colin Pratte.
Un avenir moins polluant
Si le fonctionnement du bitcoin demeure complexe et polluant, la troisième génération de cryptos, qui ont fait irruption en 2017, dont fait partie l’Ether, s’avère plus sobre écologiquement parce que son processus de transaction et de minage est plus rapide.
D’ailleurs, selon Mélissa Fortin, l’avenir des cryptos pourrait être lié à l’analyse de données énergétiques afin qu’elles soient comptabilisées de manière plus précise. «C’est le nœud de la guerre: comment comptabiliser l’empreinte carbone, l’utilisation énergétique de l’eau ou autre? Je pense qu’il y a vraiment un enjeu puisqu’à chaque fois on trouve des taux théoriques dont on peut douter», conclut-elle.