Crime organisé: le caïd Gregory Woolley a prédit «un carnage» après avoir échoué à raisonner l’un des gangs qui inquiètent la police
L’influent criminel qualifiait de «malade» l’un des leaders du Arab Power
Eric Thibault, Marc Sandreschi, Félix Séguin et Jean-Louis Fortin
«Ce gars-là est incontrôlable et complètement malade! Il va faire un carnage...»
Ce n’est nul autre que Gregory Woolley qui a fait ce constat alarmant, peu avant son assassinat, en parlant du dirigeant d’un des gangs émergents qui préoccupent grandement les forces de l’ordre, le Arab Power, a appris notre Bureau d’enquête.
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Pourtant, Woolley, qu’on décrivait comme le «parrain des gangs» dans le monde interlope, en avait vu d’autres.

Lui-même accusé de 11 meurtres commis lors de la guerre des motards dans les années 90, mais dont il n’a jamais été trouvé coupable, l’ex-homme de main des Hells Angels était notoirement connu comme l’un des plus puissants et dangereux acteurs du crime organisé québécois.

Woolley a néanmoins livré ce commentaire inquiétant il y a un peu plus d’un an, devant témoins, après avoir vainement tenté, dans son rôle de médiateur de conflits sur la scène criminelle, de freiner les ardeurs du Arab Power et de l’un de ses leaders présumés, Youness Aithaqi, surnommé «Frérot».

Le gangster le plus craint de sa génération, proche des Hells et du clan Rizzuto, a ainsi levé le drapeau blanc, se sentant incapable de raisonner l’une de ces nouvelles bandes de trafiquants violents qui bousculent l’ordre établi dans ce milieu depuis plusieurs décennies.
Contrats de meurtre
Une partie de la prédiction de Woolley s’est réalisée le 17 novembre dernier.
Il s’est fait cribler de balles sous les yeux de sa conjointe et de leur bébé d’à peine quatre jours, dans le stationnement du CLSC de Saint-Jean-sur-Richelieu.
Selon nos sources, les policiers considèrent maintenant l’hypothèse que le Arab Power pourrait avoir fait abattre Woolley.
Le tireur identifié comme suspect serait d’ailleurs un membre de ce gang. Aucune accusation n’a cependant été portée dans cette affaire.
Et signe que la loyauté ne semble plus valoir grand-chose dans ce milieu, le tireur suspect est également soupçonné d’avoir déjà commis une tentative de meurtre contre l’un des ennemis de Woolley il y a quelques années, d’après nos informations.

De plus, les autorités suspectent le Arab Power d’être l’un des gangs qui auraient mis à prix la tête du caïd Jean-Philippe Célestin, un proche des Hells vu comme le «dauphin» de Woolley dans le crime organisé.
Le printemps dernier, notre Bureau d’enquête révélait que Célestin, 43 ans, faisait l’objet d’un contrat de meurtre assorti d’une récompense d’au moins 50 000$.
Son frère cadet, Brandon Jean Célestin, a été tué par balles en quittant une fête familiale dans La Petite-Patrie, le 17 février. La thèse d’une erreur sur la personne est envisagée par la police qui croit que le tueur s’est trompé de cible.

Les enquêtes sur les crimes contre les frères Célestin n’ont encore mené à aucune arrestation. Toutefois, Sylvain Kabbouchi, considéré comme un autre leader du Arab Power, est en attente de procès pour le meurtre de Nitchell Lapaix, qui était le bras droit de Jean-Philippe Célestin lorsqu'il s'est fait tuer en 2021.

Une «aura» autour de Frérot
Absent du radar des policiers il y a trois ans, le Arab Power forme maintenant un gang en pleine expansion dont les membres ont les yeux rivés sur le contrôle du marché des stupéfiants à Montréal et à Laval.
Fait particulier, l’un de ses principaux leaders dirige les opérations du gang derrière les barreaux de la cellule où il purge, depuis l’hiver 2020, une peine d’incarcération à perpétuité pour un meurtre qu’il a commis à Montréal.
Youness Aithaqi est présentement enfermé au pénitencier de Donnacona, situé à une cinquantaine de minutes de route de Québec, où les Hells Angels ont maille à partir depuis un an et demi avec une autre bande de trafiquants récalcitrants, le BFM (Blood Mafia Family) du jeune caïd Dave «Pic» Turmel.

Malgré la cote de sécurité maximum de cet établissement fédéral, Frérot n’aurait aucun mal à avoir un téléphone cellulaire sous la main pour lui permettre de mener ses affaires illicites.
«C’est le genre de gars qui arrive et les autres se tassent pour lui faire de la place. Il a comme une aura autour de lui dans le monde criminel», a expliqué une source de notre Bureau d’enquête pour décrire l’influence manifeste qu’Aithaqi exerce dans le milieu carcéral.

Notre source décrit le gangster de 35 ans comme un bandit de la «vieille école».
«C’est un gars qui fait sa petite affaire. Il est très discret. Il ne demande rien et ne parle presque jamais. Il ne cherche pas la confrontation.»
Sa bande aurait aussi fait de l’extorsion l’une de ses spécialités en réclamant à plusieurs restaurateurs et propriétaires de bars des sommes allant jusqu’à plusieurs centaines de milliers de dollars, pour soi-disant garantir la sécurité de leurs établissements.
Depuis des décennies, on attribuait l’apanage de cette pratique illégale à la mafia italienne, qui l’a baptisée «le pizzo».
Pris en flagrant délit
Le 18 août 2016, Aithaqi, qui habitait dans le quartier Dollard-des-Ormeaux et traînait un casier judiciaire pour vol et extorsion, a mal choisi son moment pour s’attaquer à un trafiquant, Joseph Sarikakis, qui venait d’être accusé d’agression armée aux dépens d’un homme d’origine arabe.
À 11h27, un policier du SPVM assis dans un véhicule banalisé participait à une opération de filature dans le quartier Ahuntsic-Cartierville quand il a vu un homme, vêtu d’une veste de construction orange et d’une casquette, tirer plusieurs coups de feu en direction de la victime à bord d’une voiture de marque Mazda 3, sur la rue Maurice-Lebel.

Aithaqi a été appréhendé une heure plus tard. Mais dans l’intervalle, les policiers l’ont suivi et ont pu l’observer en train de changer la plaque d’immatriculation de sa Hyundai Accent noire.
Ils l’ont aussi vu entrer à l’intérieur d’un appartement du boulevard Pierrefonds et discuter avec un autre gangster bien connu des forces de l’ordre.
Il s’agissait de Marckens Vilme, alors considéré comme «le chef des gangs d’allégeance bleue dans l’ouest de Montréal» en plus d’être «associé en affaires avec des sujets du crime organisé [issus] du Proche ou Moyen-Orient», selon des documents policiers consultés par notre Bureau d’enquête.
Attentat au cyanure
Trois ans plus tard, Vilme, dont le surnom est «Big M», s’est à son tour fait épingler pour meurtre. Mais dans son cas, la victime était un membre en règle des Hells Angels en Ontario, Michael Deabaitua-Schulde.

L’affaire n’en est pas restée là.
À l’automne 2020, Vilme a échappé à une tentative de meurtre pour le moins singulière au pénitencier ontarien où il est détenu, vraisemblablement en représailles au meurtre du motard.
Des codétenus ont essayé de l’empoisonner au cyanure, selon nos informations, soit le même sort que la mafia montréalaise avait réservé au caïd Giuseppe «Ponytail» De Vito, mort au pénitencier de Donnacona en 2013.
Mais Vilme n’a pas ingéré le poison, qui a été saisi par le personnel carcéral.
Pas de successeur
Depuis le meurtre de Gregory Woolley, personne dans les hautes sphères du crime organisé ne semble en mesure de jouer le rôle d’arbitre ou de médiateur qui était le sien auprès des gangs.
D’ailleurs, dans les mois avant sa mort, Woolley avait exprimé la volonté d’abandonner cette responsabilité, face au climat hautement instable et volatil dans ce milieu.
C’est le genre de rôle dont s’était longtemps acquitté le défunt parrain de la mafia Vito Rizzuto, avant d’être emporté par la maladie en décembre 2013, en raison de l’autorité morale qu’il exerçait dans le monde interlope.

«Vito Rizzuto aurait réglé la question avec un coup de téléphone», disait récemment à notre Bureau d’enquête un commerçant montréalais en référence à la vague d’incendies aux cocktails Molotov et aux saccages perpétrés en lien avec l’extorsion.
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